Miossec nous enflamme

Après avoir passé pas mal de temps à Boire puis à Baiser avant qu’il ne se déclare A prendre, Christophe Miossec est de retour. Cette fois il se Brûle. Rencontre dans un restaurant avec l’auteur le moins show-biz de France.

L'artiste revient plus serein

Après avoir passé pas mal de temps à Boire puis à Baiser avant qu’il ne se déclare A prendre, Christophe Miossec est de retour. Cette fois il se Brûle. Rencontre dans un restaurant avec l’auteur le moins show-biz de France.

Quand, pour la première fois, j’ai eu entre les mains le Boire de Miossec, son premier album, je me suis dit : « Encore un breton qui va nous prendre la tête avec des chansons de bistrots ! ». Il faut rappeler qu’en 1995, la chanson française, hormis Dominique A, tournait en rond et qu’il valait mieux s’acheter un disque de NTM ou de Fabe pour se rendre compte que la langue de Molière pouvait servir à autre chose qu'à se contempler le nombril avec des textes insipides et des arrangements à la guimauve. Bref, la France s’ennuyait ferme !
Et puis cet ancien docker a débarqué au milieu de nulle part. De son parcours, on sait qu’il était payé pour manier la plume, déjà, au sein de journaux régionaux et plus étrange, comme rédacteur de bande-annonce pour la première chaîne de télévision française.

On peut avancer aujourd’hui, sans toutefois jouer les Nostradamus de comptoir, que ce Boire restera comme l’un des albums français les plus réussis de ces 20 dernières années. Langage cru mais imagé, vocabulaire sans fioriture et surtout un vrai sens de la mise en scène qui fait de chacun de ses titres un petit film. On n’avait pas entendu ça, depuis Renaud.

Depuis, deux autres albums sont venus nous conforter dans l’idée qu'on avait pas besoin de mettre une casquette à l’envers pour dire des choses intelligentes et qu’on avait encore moins besoin de faire sa pleureuse démagogique pour être tendre. D’accord, l’univers de Miossec est peuplé de mecs qui s’autodétruisent, aiment sans savoir retenir, se demandent ce qu’ils font dans les bars au petit matin, sont des cocus magnifiques, j’en passe et des plus noires. Mais toujours avec humour.

Ses nouveaux déboires font moins dans l'obscurité ! La preuve, il a complètement réenregistré Brûle, les premières prises étant selon lui, trop glauques. Je vous rassure tout de suite, l'album n’est pas un hymne ébahi à l’amour, mais un disque serein, certainement ! «Quand j’ai commencé l’enregistrement de ce nouveau disque, je n’étais pas bien. Et dans ce cas-là, tu te plonges dans le boulot alors que ce qu’il faut faire justement, c’est ne pas bosser ! Le résultat était dépressif, je n’avais aucune envie de l’écouter chez moi.» Du coup, l’auteur de Regarde un peu la France a jeté les enregistrements à la poubelle et a tout repris à zéro. Pourtant, curieusement certaines bandes se sont retrouvées dans certaines rédactions parisiennes. De quoi vous rendre parano.

Ce qui frappe à l’écoute de Brûle, c’est que Miossec a délaissé les travers de nos quotidiens pour décrire des sentiments plus abstraits : «J’ai l’impression que ça décolle du sol ! A force de bouffer de la terre, t’en as un peu marre. J’avais une indigestion de tous ces problèmes de couples, et mon nombril va pas bien et patati et patata… Ça devenait un peu chiant.» Question cliché : est-ce la paternité qui rend serein (il est le père d'un petit Théo depuis 1998) ? : «Non, j’avais envie de faire du bien. C’est mon côté altruiste, j’étais plutôt dans de bonnes dispositions.» Mais on sait bien que les gens heureux ennuient tout le monde. «Les choses détachées ne veulent pas dire malhonnêtes. Je voulais vraiment revenir aux sensations du premier album et que chaque chanson ait sa propre atmosphère, ses propres arrangements.»

Côté musique, il faut plus lorgner vers le Neil Young d’Harvest que vers les Damned. «Ça, c’est une constante chez moi. Mais je voulais surtout, lors des premiers enregistrements retrouver l’état d’esprit d’Astral weeks de Van Morrisson, un de mes disques de chevet depuis que je suis gamin. Il a été enregistré en 48 heures. Mais je me suis planté, faut s’appeler Van Morrisson pour y arriver. Faut que je bosse comme tout le monde, c’est tout !» De cette mauvaise passe ont survécu les titres Brûle, Madame, un hommage à Juliette Gréco et Tendre S. Ce dernier qu’on a qualifié de Gainsbourien : «Avec Brel et son Orly c’est la seule référence que je reconnaisse en France. Et bien sûr, Jean-Michel Caradec ! Euh, non, je plaisante ! »
Remarquez, Miossec le dit lui-même dans Pourquoi ? Parce que : « Pourquoi t’ai-je donc fait un jour la cour, mon sens de l’humour est lamentable ». Faut pas le chercher, le Breton !

Le problème quand on écrit des choses aussi intimes, c’est que le public automatiquement vous identifie à vos textes. C’est forcément l’interprète qui est cocu, looser et alcoolo… «Ouais, mais c’est la chanson qui veut ça. C’est beaucoup de tricheries, c’est donner l’illusion que c’est toi qui subis tout ce que tu racontes, c’est du braconnage ! Tu voles à droite à gauche. Quand tu es chanteur, tu es une caricature ambulante. En concert c’est flagrant, les gens ont l’impression de discuter en direct !» C’est ce qui explique l’attitude de Miossec sur scène, qui n’hésite pas à insulter son public, surtout les jeunes.

Voilà pourquoi le thème de la paternité n’est abordé sur le disque qu’à la fin, avec Grandir, sur l’absence du papa qui restera le sommet de ce quatrième album. Paradoxe de l’interprète qui trouve indécent de parler de sa famille en chanson : « Celle-là effectivement, c’est du direct. C’est du blues. Là, c’est pas indécent en fait, puisque c’est pas moi qui en parle, c’est l’autre ! Au lieu de dire « je suis pas là ! » c’est l’autre qui le dit. Tu retournes cette chanson au masculin, c’est inécoutable.» Cela dit, Miossec ne la chantera pas sur scène. Question de décence !

Nous en resterons là, il y a des priorités dans la vie; manger en est une... Pour l’instant, aucun clip n’est prévu pour accompagner la sortie du simple Brûle, Miossec ne veut pas tourner n’importe quoi. Le cauchemar d’une maison de disques. Mais la sienne est une indépendante, PIAS. Ce chanteur-là n’est pas encore formaté pour la grosse industrie. Ce qui me rassure dans cette histoire ? C’est qu’un artiste comme celui-là obtient les faveurs du public. En ce moment, il n’y a pas assez de bonnes nouvelles pour ne pas s’en réjouir.

Miossec Brûle (Pias) 2001