Le jazz d'Erik Truffaz

Le trompettiste Erik Truffaz est de retour avec Mantis, un nouvel opus offrant une musique plus sensible et épurée, grâce au nouveau groupe dont il s'est entouré. Récit d'une rencontre.

Renouveau avec Mantis

Le trompettiste Erik Truffaz est de retour avec Mantis, un nouvel opus offrant une musique plus sensible et épurée, grâce au nouveau groupe dont il s'est entouré. Récit d'une rencontre.

C'est l'automne à Paris. La lumière est belle, j'ai rendez-vous avec Erik Truffaz... Quelque part entre le Louvre et l'Opéra, le précurseur du nouveau jazz français, conserve une silhouette d'éternel adolescent au regard clair. Léger, long, souple, Erik Truffaz m'apparaît tout entier, à la différence de ses prestations scéniques où il fait corps avec sa trompette, tête baissée, presque lové sur son instrument ! A l'occasion de la sortie de son nouvel album Mantis, il se confie à nous.

Nouveau groupe

"Ce qui est important pour moi quand je crée un groupe, c'est la couleur musicale. C'est vrai que pour ce nouvel album, chaque musicien a une personnalité très forte, mais les individualités se fondent et s'expriment dans un même univers musical". Et c'est le pari réussi que tient Mantis: une formation absolument inédite sur la planète jazz. Gonflé, Erik Truffaz a réuni le guitariste électrique Manu Codjia, le contrebassiste Michel Bénita et l'incroyable batteur Philippe Garcia, habituellement acoquiné au furieux collectif Cosmik Connection.

Autant de musiciens qu'il avait entendus et rencontrés au fil des années, dont il sentait possible la miraculeuse alchimie. "Je voulais changer de son, c'est pour ça que je voulais Manu Codjia absolument. Je l'avais entendu au concours de la Défense 1998 et je l'avais trouvé très bon". Comme un duo guitare électrique et trompette le titre saisir est particulièrement réussi. Ce n'est jamais un affrontement entre Codjia et Truffaz, en tout cas pas une enchère où chacun irait de sa démonstration. Mais plutôt un corps à corps sonore, où chaque proposition est comme une réponse ou une invitation à aller plus loin. Guitare électrique et trompette, explorent de nouveaux territoires sonores et se rencontrent en un point ultime, puis la pression retombe ! Cela en dit long sur la façon dont Erik Truffaz assure son rôle de leader. "Moi j'essaie de laisser les gens le plus libre possible. Ce que j'ai dit au nouveau groupe avant de répéter, c'est que je ne savais pas vraiment ce que je voulais, mais que je savais ce que je ne voulais pas. Je leur donne des idées, des thèmes, on joue et si ça ne me plaît pas je le dis. De cette façon-là, ils peuvent très bien faire quelque chose que je découvre et qui soit mieux que ce à quoi j'avais pensé."

Ce qu'aime Erik Truffaz chez Philippe Garcia, rencontré dans un festival en Tunisie, c'est son énergie et sa polyvalence : "Je l'ai trouvé très vivant, très incarné. Je lui ai fait écouter des formules rythmiques, et il a fait des propositions, dont certaines que j'ai gardées, comme sur le morceau Saisir." Il faut dire que ce batteur qui a largement intégré tous les nouveaux rythmes issus de l'électronique, offre un potentiel musical époustouflant. Entrant dans la sphère atmosphérique du mystique Erik, on découvre d'ailleurs une composition signée Philippe, et intitulée Parlophone, qui ravira les amateurs de voyages lointains. Garcia nous immerge dans une ambiance de gare ou d'aéroport, ailleurs, mais peut-être entendrez-vous tout autre chose ! Et puis la contrebasse de Michel Bénita, musicien plutôt classique et d'esprit ouvert, fonctionne bien avec les tempos de Philippe Garcia. Une ouverture confirmée par un projet commun entre les deux musiciens.

Nouvelle voix

Si Erik Truffaz tente une nouvelle expérience musicale, il continue d'intégrer la voix, comme il l'avait fait dans son groupe précédent, avec le rappeur Nya (Jakson). Ici, c'est Mounir Troudir qui s'y colle, pour un morceau intitulé Magrouni qui devrait faire beaucoup parler de lui. Une chanson traditionnelle berbère, qui parle d'amour comme il se doit. Mounir Troudir commence seul, a capella, vite rejoint par le beat jungle de Philippe Garcia, puis c'est Codjia qui s'en mêle, une guitare mélodique, toujours électrique, comme le refrain d'une chanson.
Et l'histoire ne s'arrête pas là puisque Imothep, artisan du son du groupe marseillais IAM, a déjà remixé le titre. On attend le fruit de cette rencontre prometteuse entre le jazz et le hip hop, dont la sortie est prévue en single ou en maxi-vinyle au début de l'année prochaine.

Incroyable beauté

Il en rêvait et il l'a fait ! Erik Truffaz convie le maître tunisien du oud, Anouar Brahem sur ce dernier album. "J'écoute beaucoup ses disques, je suis vraiment fan de sa musique. Je voulais tellement entendre le son de son oud, que je n'avais même pas envie de jouer". Cette envie, si longtemps mûrie, se concrétise cette fois, dans le choix du total respect. Truffaz a composé pour Brahem un morceau à la rencontre de leurs univers. Le résultat est emprunt de délicatesse et de nostalgie. Et Truffaz de faire remarquer qu'ils étaient sans doute faits pour se rencontrer à la lumière de leurs compositions antérieures. "J'ai composé un morceau, Betty, qui ressemble comme deux gouttes d'eau au Conte de l'incroyable beauté d'Anouar Brahem, c'est la même chose, et pourtant, personne n'a copié sur l'autre." Signe du destin…

Erik Truffaz est seul maître à bord. Lorsqu'il décide de monter un nouveau groupe, c'est son initiative. Lorsque quelques mois plutôt, au printemps, sortait Revisité, un album de remixes, c'est lui qui choisissait alors les morceaux et les artistes à qui les confier. D'où sa rencontre avec Pierre Henry, un des pères de la musique contemporaine et grand-père des musiques actuelles, qui pour la première fois de sa vie (très largement entamée) revisitait analogiquement (avec des bandes), le morceau More.
"Je n'ai pas du tout envie d'être conditionné et qu'on me dise ce que je dois faire. Pour mon nouveau disque, c'est moi qui téléphone au studio pour le louer, c'est moi le producteur. J'ai l'impression que dans le monde artistique, quand ça commence à marcher un peu, on est pris en charge et puis on perd son indépendance." Lié à sa prestigieuse maison de disques Blue Note, Truffaz reste un artiste indépendant, non signé, ce que confirme Nicolas Pflug, responsable du département jazz. "Erik est son propre producteur et je lui fais entièrement confiance." Même dans son changement de direction artistique ? "Pour moi, renchérit Nicolas Pflug, c'est un artiste précurseur. Avec The dawn et the corner, il inventait un nouveau son, une période clôturée par Revisité. Là où tout le monde pensait qu'il allait continuer à explorer cette veine drum'n'bass, il déboule avec une nouvelle formation complètement inédite, qui n'existe nulle part ailleurs. Pour moi, c'est vraiment intéressant !"

Depuis quelques années, Erik Truffaz remplit les salles où il se produit. Cette année, il a rempli la Cigale et l'Olympia à Paris et pour les 20 ans du New Morning, les trois soirs sont déjà complets. Côté vente d'albums, ça se passe aussi bien à l'international qu'en France, 60 000 ventes en moyenne par album, tous pays confondus. En sachant que la profession considère que 10.000 exemplaires vendus en jazz équivaut à 100.000 ventes pour la pop. Hors St Germain, dans la catégorie nouveauté jazz, Erik Truffaz est l'artiste qui rencontre le plus de succès auprès du public. Extrêmement sensible et épurée, sa musique est tout sauf intellectuelle. Ce qui ne va pas de soi. "Je n'ai pas de facilités pour composer, ça me prend du temps, je cherche de longues heures. En fait, je jette beaucoup et en général, je trouve que les gens ne jettent pas assez. Je pense qu'on ne devrait garder que 20% des musiques qui sortent". Qu'on ne se méprenne pas, c'est dit avec humilité, non pas avec arrogance…

L'épure, la spiritualité, c'est justement ce qu'il cherche. Lui, il appelle cela le mystère : "Sans le mystère et les climats qui sont autour de ça, je n'ai aucun intérêt à faire de la musique. Ce que je cherche, c'est quelque chose du cœur qui relie avec le ciel et la terre." En ces temps mouvementés, n'hésitez pas à écouter Mantis, un album qui porte le nom d'un homme sage et généreux rencontré aux Etats-Unis par le trompettiste. La musique d'Erik Truffaz est un souffle, une prière pour les non croyants.

Erik Truffaz Mantis Blue Note-EMI 2001
Sort en France, Suisse, Belgique et simultanément en Europe.
En tournée en novembre dans toute la France et en concert au New Morning les 26, 27 et 28