SPIRIT OF AFRICA
Paris, le 29 novembre 2001 - A la veille de la 14ème Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1er décembre, sort Spirit Of Africa. En réunissant des artistes de toute l'Afrique, cette compilation cherche à faire passer un message fort au continent le plus touché par le virus.
Des chanteurs africains contre le sida
Paris, le 29 novembre 2001 - A la veille de la 14ème Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1er décembre, sort Spirit Of Africa. En réunissant des artistes de toute l'Afrique, cette compilation cherche à faire passer un message fort au continent le plus touché par le virus.
En conjonction avec le label Real World de Peter Gabriel, Spirit Of Africa est une initiative du Mercury Phœnix Trust, organisation caritative fondée par les musiciens du groupe rock britannique Queen à la suite de la disparition de leur leader Freddie Mercury, emporté il y a tout juste dix ans par le sida. Les fonds recueillis sont redistribués à de nombreuses autres structures de lutte contre le sida. En Afrique, le disque est distribué gratuitement dans divers lieux publics (bars, boîtes de nuit, associations). Ces dernières années, le Mercury Phœnix Trust a centré ses activités sur ce continent, séduit par ces hommes, ces femmes, ces familles et ces communautés qui réagissent à la nouvelle situation instaurée par la maladie.
Le sticker collé sur l'album est explicite : «Pour aider à lutter contre le sida en Afrique». On se demande combien il faut de disques pour stopper la propagation de la plus grave pandémie que le monde ait connue depuis six siècles… Aujourd'hui, ils sont quatorze artistes africains, parmi lesquels Youssou N'Dour, Papa Wemba, Omar Pene, à tenter de traduire à travers ce disque l’esprit de leur continent, le plus touché par le virus HIV (25 millions de personnes contaminées). Cet esprit qui veut que l’Afrique lutte contre ce fléau en comptant d'abord sur elle-même, à l'instar de l'Afrique du Sud (pays le plus touché au monde), qui a fini par faire plier les multinationales pharmaceutiques pour produire des médicaments génériques et ne plus leur payer des royalties exorbitantes pour les brevets. La plupart des pays africains n’ont pas les moyens d’en fabriquer et il leur est toujours interdit d’importer ces remèdes à bas prix, comme cela à été entériné au sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce à Doha ce mois-ci.
Le message de Spirit Of Africa est clair : Les Africains doivent aider les Africains. On connaît les résultats ridicules obtenus à l’issue de la session extraordinaire de l’assemblée générale des Nations Unies sur la lutte contre le sida, qui s'est tenue à New York, en juin 2001. Les chefs d’Etat et de gouvernement y avaient brillé par leur absence, notamment les dirigeants africains…
Par ailleurs, alors que le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, estime que «7 à 10 milliards de dollars par an» sont nécessaires pour financer la distribution des médicaments dans le tiers-monde, les USA promettent 200 millions de dollars, la France 150 millions d’euros sur trois ans. Une paille. Ils sont pourtant les seuls pays riches à s’être ainsi engagés. Et puis à quoi bon distribuer des médicaments contre le sida en Afrique où les gens «n’ont pas la notion occidentale du temps», selon Andrew Nastios, le responsable de L’USAID (US Agency For International Development, sorte de ministère de la Coopération). «Vous devez prendre ces médicaments à certaines heures du jour sinon ils n’ont pas d’effet. Des tas de gens en Afrique n’ont jamais vu une pendule ou une montre. Et si vous leur dites “une heure de l’après-midi”, ils ne savent pas de quoi vous parlez. Ils savent simplement ce qu’est le matin, le midi et le soir», a déclaré celui-ci au journal Boston Globe. Précisons que les médicaments se prennent matin et soir et n’ont pas besoin d’être conservés dans un réfrigérateur. Bien sûr, de telles inepties ont déclenché un tollé de protestations dans la presse américaine, exigeant la démission de cet irresponsable qui semble ne connaître l’Afrique qu'à travers les vieux films de Tarzan. L’autre absurdité vient des milieux politiques américains les plus conservateurs qui ont inventé le concept de risk avoidance (évitement des risques). Ce qui veut dire en clair : pas de sexe !
Un vœu pieux quand à peine débarqué à Harare, la capitale du Zimbabwe et le second pays africain le plus touché, on vous dit : «Ici, les vieux ne veulent plus coucher qu’avec les vierges». Il ne reste plus de place au cimetière de Harare. Au Zimbabwe, l’espérance de vie à la naissance a chuté de 65 à 43 ans à cause du sida.
Sur le CD, la chorale polyphonique zimbabwéenne, Imbizo, chante en ndebele un poème de circonstance : «Le paradis est ma demeure / Le paradis est l’endroit où je trouverai la paix éternelle et le repos / La terre n’est pas ma demeure / On y rencontre la faim et la maladie».
Malgré la gravité du sujet, les quatorze chansons de ce Spirit Of Africa ne sont pas toutes marquées par ce spleen désespéré, mais d'un optimisme et d'un espoir, venants d’un continent où la pauvreté entretenue par les puissants, reste tout de même le premier facteur de développement de la maladie.
Défenseur des Droits de l’Homme, pourfendeur de la corruption, de la drogue, le Sud-Africain, Mzwake Mbuli, surnommé «le poète du peuple», lance de sa voix de prophète : «Ce monde est triste / Les gens sont harcelés par le sida / Choisissez la vie choisissez le bonheur (...) / Hommes choisissez une meilleure façon de vivre, évitez le sida / Utilisons des préservatifs, préservatifs, préservatifs...». Il faut être fait de pierre pour ne pas suivre le conseil de Mzwake quand sa cadence mbaqanga vous entraîne dans une frénésie heureuse et irrésistible. Une exaltation sœur de celle du soukous de Remmy Ongala, originaire de l’ex-Zaïre et figure charismatique de Tanzanie, sa patrie d’adoption. Là, le nombre d’enfants de moins de 14 ans, ayant perdu leur mère ou leurs deux parents du sida, s’élevait en 1999 à plus d’un million. Dans sa chanson, Remmy joue carrément la métaphore footbalistique où les joueurs doivent porter des chaussettes quand ils jouent, pour se protéger.
Egalement présent sur l'album, Omar Pène, le héros des périphéries populeuses de Dakar, chante: «Jeunes gens protégez-vous / Je suis allé partout et tout le monde cherche le remède / Frères et sœurs ne soyons pas dilettantes protégeons-nous contre le sida». Avec le Super Diamono, il joue une musique trépidante où le mbalax crépite et la phrase claque sans fioriture. Cela tranche singulièrement avec la douce chanson Xale (Notre jeunesse) de l’autre régent du tempo senégalais, Youssou N’Dour, reprise ici plus de dix ans après sa publication sur l’album Set. Youssou y appelle les jeunes générations sénégalaises à se mobilier pour l'avenir du pays.
Enfin, l’ex-pape du soukouss, le Congolais Papa Wemba, à la voix fine et au clavier mélancolique, chante un blues intense fait d’accents gospel, gorgé de larmes contenues qui date de 1998 : «Si tu pars aujourd’hui / Qui va surveiller les champs que nous labourions ensemble / Si tu pars aujourd’hui qui va surveiller les fleurs de notre amour / Et qui va prendre soin de l’enfant / Que nous avons amené à la vie ensemble». L’enfant serait peut-être l’Afrique dans ce chant prémonitoire qui ouvre Spirit Of Africa.
Bouziane Daoudi
Spirit of Africa (Real World/ Virgin)
Spirit of Africa en ligne