Le monde de Richard Bona
Reverence, le deuxième opus du surdoué camerounais, Richard Bona, parti à la conquête du vaste monde avec sa seule basse, vient d'arriver dans les bacs. Les paris sont tenus. Détracteurs et partisans semblent tous apprécier la grâce et le doigté d’un artiste qui promet de tordre le cou à bien des idées reçues qui courent dans l’univers étriqué de la world ambiante.
Bassiste, chanteur, conteur
Reverence, le deuxième opus du surdoué camerounais, Richard Bona, parti à la conquête du vaste monde avec sa seule basse, vient d'arriver dans les bacs. Les paris sont tenus. Détracteurs et partisans semblent tous apprécier la grâce et le doigté d’un artiste qui promet de tordre le cou à bien des idées reçues qui courent dans l’univers étriqué de la world ambiante.
L’angoisse qui accompagne l’accouchement d’un deuxième album, veut que l’on s’interroge sur la maturité d’un artiste. A-t-il, oui ou non, pris de la bouteille ? Avec Reverence, Bona sait se montrer audacieux et rêveur. Artiste de convictions, il pense que le monde irait mieux si les hommes prenaient le temps de se connaître un peu plus. Qui est l’Autre ? Doit-il être notre semblable ou bien doit-il plutôt nous enrichir de ses différences ? Richard Bona, qui vit aujourd’hui son succès à New York aux côtés des plus grands, a réalisé un objet musical et moral, composé de dix titres, au son raffiné et sublimé. Un univers dans lequel il a pris le temps de convier quelques amitiés sûres du monde du jazz, comme Pat Metheny et Michael Brecker. Interview.
Cet album est-il plus construit, voire plus écrit que le précédent ?
C'est parce que cette fois, j'ai eu beaucoup plus de temps pour construire les choses. L'album reste cependant dans la même lignée que l'autre. Je continue à raconter des histoires différentes mais qui vont dans le même sens que celles du premier album. Je suis toujours conteur. Reverence est dans la continuité. C'est l'histoire qui suit son cours. Je n'ai pas changé de méthode de travail. Je suis juste resté un peu plus en studio. Je me suis d'ailleurs équipé d'un studio chez moi. Quand je me lève le matin, si j'ai une mélodie, je compose de suite dans de bonnes conditions. Cela facilite pas mal de choses. C'est peut-être pour ça que l'album sonne un peu plus mature que le premier.
L'expérience joue t-elle ?
Si on veut. Maintenant, si j'avais à le refaire, il serait encore plus mature. En réécoutant, j'entends des choses sur le disque que je ne referais plus de cette manière. La musique, vous savez, reflète exactement ce qui se passe dans la vie de tous les jours. Or la vie est une école, on y apprend des choses à chaque instant. En musique, c'est le même principe. Parfois, tu crois avoir tout vu. Et tout d'un coup, tu entends un truc et tu te dis que tu as encore beaucoup à apprendre. Quand j'écoute ce que j'ai fait, je pense toujours à tout ce que j'aurais pu faire. Je n'ai pas la même écoute que celle d'un auditeur qui n'a pas vécu le truc depuis le début. C'est moi qui ai composé ces musiques et qui ai réalisé l'album. Donc chaque fois que je me réécoute, je reste critique.
Cet album s'est-il réalisé avec un objectif précis dès le départ ou s'est-il élaboré au fur et à mesure des découvertes et des échanges avec les artistes conviés ?
Au fur et à mesure. C'est difficile pour moi de prévoir exactement ce que je vais faire. Je n'aime pas planifier les choses comme ça. J'aime les laisser venir. J'aime surtout qu'elles se fassent naturellement. Donc je n'ai jamais su comment il allait sonner une fois terminé. C'est vraiment vers la fin que j'ai commencé à entendre les choses, à savoir à quoi elles allaient ressembler.
Tu ne peux pas décider qu'une musique doit sonner d'une façon et d'une autre, sans prendre le temps de la vivre. Et quand tu amènes les gens à jouer dessus, les choses prennent une autre tournure. Il suffit que tu amènes un batteur qui joue différemment de ce que tu imaginais au départ pour que les choses changent du tout au tout. Il fera sonner ça autrement. Du coup, la musique peut prendre une autre direction. C'est pour cela qu'il faut laisser aussi les musiciens s'exprimer sur les compositions. Il faut leur donner un peu de liberté, pour qu'ils mettent un peu de leur esprit dans le morceau ou dans le disque.
On a l'impression que vous souhaitez donner une autre image de la world music avec ce disque ?
World music est une expression un peu galvaudée. Je ne sais pas s'il y a un terme précis pour moi. Disons que c'est quelque chose comme un souffle nouveau. J'ai besoin d'apporter quelque chose au monde de la musique. Un besoin de faire évoluer aussi les mentalités chez nous et de se faire plaisir. Je veux dire que je sais faire les choses d'une certaine manière et je le fais. S'il fallait une étiquette, je dirais que c'est la musique de Bona. Mais si je prends un morceau comme Reverence, on ne peut pas savoir que c'est moi qui l'ai composé. Ça pourrait être n'importe quel musicien. James Taylor par exemple. Si c'est le cas, est-ce que j'appellerais ça de la world music ? Non !
Mais ceux qui prêtent l'oreille ont besoin qu'on leur prenne la main ?
Non ! Je refuse. Moi je n'ai pas besoin que quelqu'un me prenne la main quand j'écoute de la musique. Pour m'emmener où ?!
L'album Reverence parle d'une planète mise à mal. Je pense aux messages contenus dans des morceaux comme Te misea ou encore Sweet Mary. Ce sont de vrais hymnes contre la bêtise humaine ?
Je parle du monde qui nous entoure. Un monde malheureusement mal géré par ses habitants. Il m'arrive de penser parfois que la race humaine ne mérite pas de rester sur cette planète. Sinon comment se fait-il qu'on ait besoin de l'eau et qu'on soit les premiers à la polluer ? C'est une partie de nos besoins vitaux. Ce n'est pas comme un vêtement. On pourrait marcher à poil, ce ne serait pas grave. L'équivalent de la Belgique disparaît tous les ans en Amazonie. Et on laisse faire alors que l'oxygène que l'on respire vient des forêts. On est les premiers à les détruire.
Tu te poses parfois des questions. On est une race redoutable, nous les Hommes. Je pense qu'on a besoin d'être rééduqué, de repenser aux choses simples et aux valeurs de base. On n'a pas besoin d'aller polluer les océans, ni brûler les forêts. Pourquoi ? Pour de l'argent souvent ! Je blâme les politiques pour ça.
Il y a beaucoup d'humour également sur cet album. Mbanga Kumba raconte ainsi l'histoire d'un train qui marche tellement lentement, qu'on peut le rattraper en courant…
Mbanga Kumba parle d'un petit autorail reliant deux villes, mais qui s'arrête n'importe où et va tellement lentement que ça en devient une particularité du lieu. C'est mon enfance ça. Parfois, on arrivait à la gare, on demandait après le train et on nous disait qu'il venait de s'en aller. Et on se mettait à courir pour le rattraper. Il faut raconter ces histoires que personne n'arrive à imaginer ailleurs. En France, c'est impossible de penser à ça. Il faut surtout raconter ces histoires, qui sont quand même rigolotes, pour partager notre vécu avec le monde. Imaginez-vous un train qui peut s'arrêter n'importe où parce que le conducteur du train veut s'acheter de la viande ou faire pipi. Il voit du gibier quelque part. Il s'arrête pour l'acheter. C'est quand même fou. Pourtant, c'est vrai. C'est la liberté. En même temps, c'est beau. Il faut toujours garder un accent un peu joyeux dans un album.
En résumé, vous avez écrit un album où à travers une histoire locale, on parle aussi du monde entier. Mbanga Kumba s'inscrit dans cette perspective. Tout comme Ekwa Moto, morceau sur lequel vous revenez aux sources de façon appuyée ?
Il faut savoir raconter des histoires pour être compris. Sur Ekwa Mwato, c'est un peu comme pour dire 'home sweet home'. Il faut garder ce qui est notre authenticité. La source. C'est elle qui fait la diversité de ce monde. C'est ça aussi qui met ce monde en balance. Le fait que tu peux apprendre de moi, que moi je peux apprendre de toi, même si on est originaire de deux coins différents. Et dans Ekwa Mwato, j'encourage aussi le peuple à être fier de ses racines, pas simplement le mien, mais tout le monde. Si on est originaire d'un coin ou d'un petit village, il faut en être fier. C'est une richesse.
Il y aussi cette histoire de la veuve qui porte la même robe pendant cinq ans avant de retrouver la vie à nouveau lors d'une grande fête. Elle enterre son veuvage...
Ce sont toujours les histoires de chez nous. Quand une veuve perd son mari, il y a comme des rites de passage qui durent des années. On quitte une certaine façon de s'habiller. Tout le monde sait ainsi que c'est une veuve. Après elle reprend sa liberté par une fête, avant de recommencer sa vie. Le jour où elle enlève sa robe de veuvage, on la fait danser. C'est une danse qui est joyeuse et triste à la fois, parce qu'elle replonge du coup très loin dans les souvenirs. En même temps, elle libère aussi. C'est un peu une nouvelle vie qui commence. C'est pour ça que j'ai voulu faire chanter un peu mon fils au début du morceau. L'enfant chante quelque chose d'innocent.
Vous déclarez : "C'est le dernier disque dans ce style. Je ne crois pas que je rechanterai ainsi. Mon livre a 452 pages. Deux ont été tournées. J'ai trop de musique dans ma tête"?
Je vais faire autre chose. Il ne faut pas que je te dise quoi. Il faut me laisser faire ce que j'ai envie de faire. On verra bien quand ça sortira.
Richard Bona Reverence (Sony/Columbia)