Jorane en 16mm
A la sortie de son premier album, Vent fou, on avait comparé Jorane à Tori Amos ou Alanis Morisette. Petit bout de femme à l’aspect fragile, la jeune Québécoise est parmi les plus doués des nouveaux talents francophones. 16 mm, le second album fraîchement sorti va en surprendre plus d’un. En visite à Paris pour son concert du 10 décembre à la Cigale, nous avons rencontré cette jeune artiste.
L'artiste au violoncelle ensorcelant
A la sortie de son premier album, Vent fou, on avait comparé Jorane à Tori Amos ou Alanis Morisette. Petit bout de femme à l’aspect fragile, la jeune Québécoise est parmi les plus doués des nouveaux talents francophones. 16 mm, le second album fraîchement sorti va en surprendre plus d’un. En visite à Paris pour son concert du 10 décembre à la Cigale, nous avons rencontré cette jeune artiste.
Jorane compose, écrit, joue de cent instruments, est une magicienne du violoncelle et a une voix qui lui permet tout. Jorane est belle, jeune (26 ans), sympathique et fraîche. Mais elle ne se classe pas, voilà son plus grand défaut (c’est pour vous dire !). D’abord répertoriée dans le rock avec son précédent Vent fou, elle laisse aujourd’hui perplexe. Certains parlent de jazz, d’autres de chansons, d’autres d’électronique acoustique. Les étiquettes s’inventent, tombent, se ridiculisent. Mais peu lui importe, elle est tout simplement heureuse. Alors, elle ne cesse de sourire à travers ses longs cheveux qui ondulent, elle tourne la paille dans son jus de pêche et se réjouit de la surprise provoquée. « Pour moi c’est normal d'évoluer... Ce qui semblerait fou serait de faire deux fois la même affaire. Mais il y a quand même des liens, une continuité. Avec 16 mm c’est comme si j’avais pris une des ambiances de Vent fou. Cette album partait vraiment dans tous les sens, de tous côtés sans trop savoir ce qu’il cherchait vraiment. Mais il témoigne de quelque chose d’important… Alors j’ai pris une de ces ambiances-là et je l’ai approfondie dans la couleur et les nuances. C’est beaucoup plus fignolé. Si on veut s’installer dans une ambiance on peut mettre 16 mm alors que Vent fou était plus disparate. Puis je suis très contente d’avoir réussi cela dès le deuxième album. C’est un climat, une atmosphère. »
Le mot est lâché : climat. En fait, 16 mm c’est cela, de la voix et du violoncelle, auxquels n’ont le droit de s’ajouter qu’une contrebasse et des percussions, et plus rarement une basse. Après cela, tout est permis ! Les instruments sont bousculés jusqu’aux confins de leurs possibilités, les idées sont des concepts à elles-seules. Puis surtout, pas une seule parole. Uniquement des onomatopées, des vibrations de cordes vocales. «C’est drôle, la plupart des gens me disent : «Il n’y a pas de texte et pourtant je comprends mieux !» Pour moi la musique parle autant que les mots. Ce sont deux langages totalement différents. Les mots sont un art, la musique en est un autre. Pourquoi toujours vouloir les mettre ensemble ? Et pourquoi surtout vouloir absolument utiliser la voix pour dire des mots ! Elle a beaucoup moins de limites que celles qu’on lui donne. Moi je passe beaucoup plus mon émotion par la musique que par les mots. C’est ce que j’ai choisi de faire avec cet album.» L’émotion chantée sans paroles, Jorane l’avait déjà proposée dans son premier album. Mais uniquement pour quelques morceaux (ou ‘pièces’ comme dit la chanteuse avec son adorable accent québécois). Cependant, 16 mm va beaucoup plus loin, parfois jusqu’à l’impression de l’expérimental. «Expérimental oui, mais pas froid, précise Jorane. C’est plutôt tourné vers l’ambiance, comme des musiques de films (d’où le titre 16 mm). Ce ne sont pas des chansons c’est vrai, ce n’est pas un couplet-refrain, mais je trouve cela très aérien. Battayum 2 par exemple, est un morceau que je trouve presque incantatoire, que l’on peut mettre pour partir loin… Cela ne part de rien et c’est une espèce de boule d’énergie qui grossit tout le temps. C’est entrer dans une atmosphère et y rester. Parce que souvent quand on écoute une musique, on aime un thème particulier, certains arrangements qui passent fugitivement. Alors on est obligé d’enfoncer la touche «repeat» pour revenir au petit passage qui nous plaît. Là je suis restée sur un genre de thème que j’ai développé sans jamais passer à autre chose. On l’aime, on reste là, on l’écoute. On le change, on le transforme, on va plus loin, plus profond. Mais on prend le temps ! Mais bon, c’est vrai qu’il ne s’agit pas de chansons. Pour moi c’est un trip instrumental. La voix est un instrument de musique et 16 mm est un album instrumental.»
La jeune artiste aime d’ailleurs penser que le public peut voir des images en écoutant cet album. Le spectacle 16 mm offre d’ailleurs tout un aspect visuel (projections sur écran, lumières, mise en scène) conçu tout spécialement. Etrange univers pour d’étranges morceaux. Rien que leurs titres sortent de l’habitude : Film I, Film II, Film III, Battayum 2, Work#3, CB/vox… «Ce sont les noms que je donnais aux morceaux pendant que je les travaillais. Il est venu un moment où je me suis demandée s’il fallait les changer. Je n’y suis pas parvenue. C’est comme si je débaptisais quelqu’un pour le renommer. Puis le titre qui collait le mieux était celui de départ, alors j'ai tout laissé.»
Etrange également cette dernière plage qui reprend sept minutes après la fin, comme pour un titre caché, le même thème arrangé différemment.
«Je ne vois pas d’inconvénient à ce que les gens mettent cet album pour s’endormir le soir. Ou alors pour partir dans des idées, pour finalement méditer. Et le morceau caché est très vivant ! Alors je l’ai mis loin pour ne pas que cela nous réveille ! Mais je voulais qu’il soit présent parce que c’est un moment où on s’était beaucoup amusés avec les musiciens, on faisait les fous. »
La dernière surprise de ce deuxième opus est l’adjonction sur certains morceaux d’un autre violoncelle (James Darling) et d’une autre voix (Geneviève Jodoin). Les deux éléments qui ont fait le succès de la chanteuse, les deux signatures essentielles de Jorane sont donc partagés. « Cela donne une autre texture de voix, une autre texture de violoncelle, un autre son. Puis cela nous permet d’enregistrer tout en même temps. Les morceaux où je suis accompagnée d’autres musiciens ont été enregistrés en live. On était en studio, dans plusieurs petits coins différents mais avec un système de miroirs pour que l’on puisse se voir. Vraiment, j’adore cela ! Un jour je composerai peut-être des choses que je ne jouerai ou ne chanterai même pas. Pourtant j’aime ça, faire de la scène, mais j’aime aussi diriger un groupe, écrire de la musique et qu’elle soit jouée comme je l’entends. J’ai besoin de beaucoup composer. C’est la base. J’adorerais écrire un spectacle entier, prendre des musiciens pour le faire et être assise dans la salle le soir de la première !»
Et des envies, des idées, Jorane en a encore plein. Il y a déjà dans sa besace de quoi faire un troisième album. Elle le promet encore totalement différent. Mais ce sera pour plus tard : le Québec et la France découvrent à peine 16 mm.
Jorane à la Cigale, à Paris, le 10 décembre.