Barsony et Coralie en famille
C'est le hasard de l'actualité qui nous les envoie en même temps : Maya Barsony et Coralie Clément. Deux chanteuses jeunes et inconnues, deux premiers albums, rock'n'roll d'un côté, suranné de l'autre. Le point commun ? Cherchez le frère…
Deux soeurs de...
C'est le hasard de l'actualité qui nous les envoie en même temps : Maya Barsony et Coralie Clément. Deux chanteuses jeunes et inconnues, deux premiers albums, rock'n'roll d'un côté, suranné de l'autre. Le point commun ? Cherchez le frère…
Barsony : essentiellement partagée
Barsony, 24 ans, est issue d’une famille d’artistes : un père peintre, une mère qui gravite dans le milieu musical, mais ici, c'est son Arthur H de demi-frère qui nous intéresse. Celui-ci pose sa voix, reconnaissable entre mille, sur un superbe duo, cruelle fable entre une aveugle et un sourd-muet… Le ton est donné.
Sur la pochette de son premier album éponyme (une pochette conçue par son père Piotr), Maya Barsony, jeune fille brune et légèrement vêtue, mange une pomme. Notre Ève post-punk, accroupie sur une table, fixe intensément un point sur sa gauche, comme prête à bondir. Trois silhouettes humanoïdes peintes en noir et blanc soutiennent le mur du fond. Détail étrange : la brunette a souligné, d’un trait noir parfaitement dessiné, la médiane de ses bras, jambes et front. Pour signifier qu’elle est profondément partagée ?
Dès le premier morceau, Loup, (sympathique réécriture hot du Petit chaperon rouge par une sorte de Catherine Ringer), la voix de Barsony, nasale, en déséquilibre entre stridence et sensualité, surprend. Sa musique, quant à elle, attire. Elle propose un mélange nouveau dans la chanson, technoïde, limite drum’n’bass. Mais, surprise : son premier refrain est gentiment mélodique. Le second morceau, Aujourd’hui, est un hymne latino à la sensualité exhibée (avec un pont raggamuffin un peu à côté) : la demoiselle n’a pas froid aux yeux. Il est vrai que son Couvent des Oiseaux à elle, a été un sound system, quelque part dans les quartiers populaires de Paris.
Avec C’est ça le problème, les choses se compliquent. L’idée d’ironiser sur la reproduction sociale séduit . Ce ragga électronique impeccable sait aussi être un pamphlet habile et léger. Jusqu’à l’intervention lourdaude, dans son dernier couplet, d’un quelconque MC exhumé de Skyrock (radio rap) par erreur. À couper lors du remixage.
Ainsi va ce premier album, dispersé, attachant et bizarre. Toujours quelque chose pour mettre en rogne quand on va l’aimer. On aimerait que tout aille dans la direction du très beau Eve et Adam, esprit jazz canaille. Et, boum, on subit le Groupe, didactique… Deux instants d’énergie pure enlèvent, sur la fin, la décision positive : la Brank qui braque les banques, au rythme diabolique et Alzheimer, dissonant et hyper-réaliste. Maya Barsony est, sans conteste, une fille à suivre. Mais avec prudence.
Barsony (Inc@/ EMI) 2001
Jean-Claude Demari
Coralie Clément : la chanteuse qui susurre Qu'on le déplore ou non, l'époque se veut favorable aux chanteuses vocalement bien loties. Alors, quand dès l'ouverture de son premier album, Salle des pas perdus, Coralie Clément chuchote sur une guitare désuète "Mon nom ne vous dit rien", on craint effectivement que son nom reste pour beaucoup confidentiel… Et alors ?
Si Coralie Clément a une petite voix, elle a aussi un grand frère : Benjamin Biolay. Auteur-compositeur de son propre album Rose Kennedy au printemps, ce dernier concocta Salle des pas perdus dans la foulée. Et difficile de parler de Coralie sans parler de Benjamin, tant les deux galettes ont un air de famille. Si vous aviez trouvé que Rose Kennedy était ennuyeux, poussiéreux, que c'était de la musique de vieux, abstenez-vous d'écouter le disque de la sœurette. C'est pareil. Mais si vous avez aimé ces atmosphères surannées, ces orchestrations entre jazz et croonerie, évocatrices d'un cinéma en noir et blanc, au charme trouble, vous adorerez !
Après la version garçon de Benjamin Biolay, plus grave, plus sombre, cet album est la version fille, plus léger, plus amoureux. Elle s'est appropriée ces chansons écrites à l'origine pour Jane Birkin, en posant un jour sa voix dessus. Presque par hasard. Même si, comme ce fut souvent écrit pour son frère (leurs biographies se ressemblent), elle est née dans une famille musicienne. Violon et solfège furent longtemps son quotidien. Mais cette fan de Vanessa Paradis a aussi grandi en écoutant les mêmes disques - encore - que son frère : Hardy, Gainsbourg ou les Beatles.
De fil en aiguille et d'influences en circonstances, voilà Coralie devant un micro, dirigée par Benjamin. Et le résultat est charmant, tout en ambiances. A commencer par la pochette, conçue comme celles des années 50, au carton épais et aux photos élégantes, façon Peggy Lee, avec liste des titres et logo Capitol Records. Le contenu ? Ce sont des chansons mélancoliques, souvent évocatrices d'un passé disparu, du temps qui passe en emportant tout, de l'amour qui finit. On n'y parle jamais de futur ou alors pour le rejeter ("Je ne conjugue rien au futur lointain"). Le vocabulaire est intemporel, pas de mots modernes, mais plutôt vieille France ("l'amour fol", "un fichu jacquard", "que c'est cloche de se dire adieu"…). Biolay s'essaie aux rimes façon Gainsbourg ou Vian : "Le jazz est in le gin est là/Et le bœuf est sur le toit". Le disque aurait pu être écrit en 1960, il n'y aurait guère de différence. Mais le nom d'Alex Gopher à la masterisation, nous situe dans un temps dont ce disque nous fait parfois perdre la notion.
Quant au chant de Coralie Clément, il est fluet, certes, mais est-ce un défaut ? Sa voix est juste et présente, joliment produite comme un réalisateur filme avec talent une femme qui le touche. Parfois, on se surprend à la confondre avec Keren Ann, autre présence féminine importante de l'univers Biolay, voire avec la destinatrice originelle, Jane Birkin. C'est justement le seul reproche, cette similitude des genres trop évidente, trop flagrante, dans cette famille de sang ou de cœur. Coralie saura t'elle s'épanouir hors de l'univers familial ? On lui souhaite.
Catherine Pouplain
Coralie Clement Salle des pas perdus (EMI/Dièse) 2001