Serge Lama

Réalisé par son percussionniste Nicolas Montazaud, illuminé par l’accordéon de Sergio Tomassi, ce disque est mieux qu’un retour : c’est la mue d’un chanteur populaire jusque là essentiellement passionné par la chanson coup de poing. En attendant qu’il porte à la scène ses nouvelles chansons en mars prochain, rencontre avec un artiste heureux d’avoir changé.

La mue d'un chanteur populaire

Réalisé par son percussionniste Nicolas Montazaud, illuminé par l’accordéon de Sergio Tomassi, ce disque est mieux qu’un retour : c’est la mue d’un chanteur populaire jusque là essentiellement passionné par la chanson coup de poing. En attendant qu’il porte à la scène ses nouvelles chansons en mars prochain, rencontre avec un artiste heureux d’avoir changé.

Sur scène, vous semblez souvent atteint d’une sorte d’ivresse, de jubilation, comme une goinfrerie de scène.
C’est une euphorie. Charles Aznavour, quand il est venu voir mon spectacle Symphonique, m’a dit que j’étais gourmand. En fait, je suis chez moi sur scène, c’est mon appartement, et il y a chez moi une gêne, qui peut être désagréable pour certains, mais il faut dire que le public aime ça. Les gens trouvent peut-être une énergie qu’ils aiment. Je ne fais pas de rock’n'roll mais je ne laisse pas respirer les gens. Je ne supporte pas d’attendre entre les chansons.

Dans ce nouveau disque, votre chant est beaucoup plus sobre.
J’ai changé de façon de chanter, je ne mets de véhémence que quand c’est nécessaire. Pendant Symphonique, il fallait chanter en première ligne, sinon j’étais battu par l’orchestre. Après ces concerts, j’ai décidé d’en prendre le contrepied. J’ai commencé par supprimer le piano. Et c’est là que je me suis rendu compte, aussitôt, que c’est un instrument lourd. En prenant cette décision presque technique de retirer ce piano, je ne me suis pas aperçu que j’étais en train de changer mon univers. Et je suis reparti en tournée avec seulement accordéon, guitare et percussions. Avec ces trois jeunes musiciens, j’ai vécu une belle avancée musicale par rapport à ce que j’ai fait avant. J’ai dépoussiéré mes anciennes chansons et découvert plein de choses nouvelles. Très vite, j’ai commencé à chanter différemment - plus librement, moins fort. Après cent vingt concerts dans cette formule, j’ai décidé de continuer sur cette lancée et que l’album suivant serait dans le même esprit. C’est un disque fait dans l’enthousiasme, avec des gens qui se connaissent depuis trois ans mais qui ne sont pas usés de jouer ensemble. J’ai déjà eu des producteurs qui ne pouvaient travailler que s’il y avait des cris, ce que je trouve insupportable. Ce disque a été enregistré sans aucune colère.

Avez-vous déjà pris des leçons de chant ?
Jamais. Mon père était chanteur et je lui ai tout piqué. Tout gosse, déjà, je chantais instinctivement. En fait, mon instinct et mon cerveau sont très distincts. Mon intelligence, si j’en ai, est très séparée de mon corps, ce qui cause un dilemme entre, d’un côté, un animal, et, de l’autre, un littéraire, qui se contrarient mutuellement. C’est cela qui explique, je pense, qu’après trente-sept ans de chanson, beaucoup de gens ne savent pas que je suis auteur de mes chansons, ne me considèrent que comme un interprète. Dans ce disque, je pense qu’on entend enfin que je suis un auteur, parce que je respecte la mélodie telle qu’elle est, sans vouloir la pousser, la démontrer. Alors, les gens peuvent recevoir les mots, tout simplement. Moins vous le faites remarquer, plus les gens remarquent que vous écrivez.

Qu’est-ce qui vous a fait changer de manière de chanter pour ce nouveau disque ?
C’est mon expérience de comédien qui m’a appris à me retenir dans les chansons. En énonçant le texte d’autres auteurs, j’ai appris qu’il ne faut pas pousser chaque phrase, qu’il ne faut pas jouer absolument chaque mot. J’ai découvert qu’il faut respecter les chansons, même si c’est moi qui les ai écrites. Bien sûr, si je ne pousse pas la note à la fin de Je suis malade, les gens vont se dire que quelque chose ne va pas, mais, depuis un an et demi, sur scène, j’ai commencé à chanter sans donner partout toute la puissance. J'essaie d’être surtout le véhicule d’une idée, d’une émotion.

Regrettez-vous de n’avoir pas suivi plus tôt cette évolution ?
Non, je n’ai jamais de regrets. Et évoluer est un plaisir. Tous les artistes qui ont bien terminé leur carrière l’ont fait en allant vers la simplicité.

Serge Lama Feuille à feuille (Warner) 2001