Idées de cadeaux : Gréco
A l'approche des fêtes de Noël, les admirateurs de Juliette Gréco auront de quoi être ravis par la parution simultanée d'une biographie et d'un coffret de 3 CDs. A découvrir.
Ses vies, son œuvre
A l'approche des fêtes de Noël, les admirateurs de Juliette Gréco auront de quoi être ravis par la parution simultanée d'une biographie et d'un coffret de 3 CDs. A découvrir.
Juliette Gréco, monument de la chanson française, n’avait jamais eu droit jusqu’à présent à une biographie «à l’américaine», appuyée sur de nombreux entretiens et sur une enquête, avec ses recoupements, ses hypothèses vérifiées et ses vérités rétablies. C’est maintenant chose faite, grâce à notre confrère Bertrand Dicale, journaliste au Figaro.
Les années 30 dans la bourgeoisie bordelaise… Une sphère étrange, lointaine, exotique : voilà le cadeau que nous offrent les premières pages des Vies d’une chanteuse, LA somme de la vie de Juliette Gréco. C’est une époque où l’on a encore des domestiques, auxquels il est interdit de parler. Une époque où deux petites filles, Charlotte, l’aînée, et Juliette, la cadette, vivent dans l’ombre encaustiquée de leurs grands-parents. Le grand-père est architecte. C'est lui qui donne à Juliette un peu de l’affection dont elle manque si cruellement. Mais il meurt quand elle n’a que dix ans. La mère de Charlotte et Juliette, elle, vit sa vie à Paris. Elle a eu ses deux petites en 1923 et 1927, à Montpellier, en se mésalliant avec un policier, Louis-Gérard Gréco. Un Corse, natif de Belgodère, en Balagne. Puis l’a quitté. A Juliette, il restera de cet homme un beau patronyme qui lui évitera le mauvais goût d’emprunter un pseudo…
Haine de la mère et Gestapo
On aimerait, avec un tel commencement, que débute une superbe fiction, romanesque en diable : cinq cents pages sur la vie, les rites et les malheurs de deux petites filles riches, il y a si longtemps. Mais nous ne sommes ici, ni chez Régine Desforges ni chez Max Gallo : c’est Bertrand Dicale, critique musical au Figaro (et à RFIMusique) qui tient les rênes. Nous n’aurons donc pas notre fiction en costumes mais une autre histoire, tout aussi passionnante et bien écrite (en sept cents pages) : celle de la vie de l’un des plus jolis mythes chantants du siècle passé et des années à venir, Juliette Gréco.
Une biographie dite «à l’américaine» où chacun s’y retrouve : le journaliste qui ne joue pas les porte-plumes et l’artiste, qui fait parler d’elle au moment où sort l’une de ses compilations les plus réussies (chronique ci-dessous).
« L’ours, le premier ours, celui qu’on préfère toujours, elle l’a jeté. (C’est Gréco qui parle, p. 19.) Ça aussi, ça fait partie de ma haine. Et ma mère m’en a acheté un neuf, ridicule, hydrocéphale. Elle était nulle pour ces choses. Elle était faite pour les choses glorieuses.» La haine de sa mère est sans doute un moteur essentiel du talent de Juliette Gréco. Sans jamais l’affirmer, Dicale le démontre, fait après fait. Ainsi cette anecdote terrible racontée dans Jujube, l’autobiographie de Juliette Gréco : sa mère, résistante, et sa sœur Charlotte ont été arrêtées par les nazis et déportées à Ravensbrück. Toutes deux en reviennent miraculeusement vivantes. Mais, le jour de leurs retrouvailles, le premier mot de la mère à Juliette sera pour s’inquiéter d’une autre, Antoinette, la femme dont elle partageait la vie au début de la guerre…
Sartre, Kosma, Canetti
Le morceau de choix de cette biographie, c’est bien sûr l’époque de Saint-Germain des Prés. Au début, en 1945, des Jeunesses Communistes aux soirées zazous, la petite Juliette poursuit sa socialisation. Puis les grands noms se pressent : Marguerite Duras, encore anonyme malgré un premier roman, diffuse L’Humanité et console Juliette en rupture (rapide) de PC ; le philosophe Maurice Merleau-Ponty fait une rechute d’adolescence (à trente-sept ans) pour séduire l’une ou l’autre des deux sœurs (et apprendre à danser à Juliette…) tandis que, bientôt, se profilent les silhouettes de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Boris Vian et Miles Davis…
Les premiers pas de Juliette Gréco dans la chanson seront guidés par Jean-Paul Sartre, qui lui offre un choix de textes parmi lesquels elle distingue ce qui va devenir Si tu t’imagines, de Raymond Queneau. C’est encore Sartre qui s’entremet pour que Joseph Kosma écrive la musique de cette chanson… Ainsi va ce beau livre, de petits rappels en grandes révélations : première montée en scène de Gréco le 22 juin 1949 au Bœuf sur le Toit (rebaptisé L’œil de Bœuf) et trois chansons dont Si tu t’imagines, et le trac ; premier enregistrement le 30 juin 1950 pour Columbia ; premier vrai disque, sous la houlette de Jacques Canetti, le 4 avril 1951 pour lancer le label Philips…
On en apprend de belles, aussi, dans cet ouvrage, sur la liberté d’expression au début des Trente Glorieuses. En 1953, un an avant l’interdiction restée, elle, célèbre du Déserteur, de Vian, Paris canaille de Léo Ferré («Paris marlou/ Aux yeux de fille/ Ton air filou/ Tes vieilles guenilles») est systématiquement interdite de radiodiffusion. Il est vrai qu’elle contient dans sa version originale une attaque contre le Faubourg Saint-Honoré : «Des sociétés/ Très anonymes/ Un député/ Que l’on estime»… Autre époque, autre révélation : c’est Juliette Gréco qui fut choisie par son attaché de presse (Louis Nucera) pour parrainer, chez Philips, les débuts d’un jeune chanteur : Alain Baschung (alors avec un « c »), pour son premier 45-tours chez Philips, en 1966. Et ensuite le cinéma, Sagan, Saint-Tropez, et Piccoli, mais aussi le succès international, celui qui bâtit à Gréco, à l’étranger, une statue du Commandeur de la Chanson Française. Jusqu’à nos jours et à ses concerts de juin 1999 à l’Odéon, qui ouvrent et ferment cette saga Gréco.
Le livre et le disque
En bonne fille de Saint-Germain des Prés, Juliette Gréco n’a jamais pu concevoir de séparer une actualité discographique de la parution d'un beau livre. Ce fut le cas en 1983, lorsque son album Gréco 83 suivit de peu la sortie de son autobiographie, Jujube. Puis en 1993, Juliette Gréco, un album pour lequel elle s'était opportunément entourée d'Etienne Roda-Gil et de Caetano Veloso, fut accompagné d'une nouvelle mouture de Jujube (chez Stock), cette fois augmentée d'un entretien avec la critique littéraire du Monde, Josyane Savigneau. Enfin, en 1998, la sortie de son dernier album, Un jour d'été et quelques nuits (MEYS DISQUES), a accompagné la parution chez Actes Sud d'un superbe album de photos en noir et blanc, Juliette Gréco. Un album qui constitue, encore aujourd’hui, l’indispensable complément illustré, de l’indispensable travail de mémoire ici entrepris par Bertrand Dicale.
Jean-Claude Demari
Bertrand Dicale : Gréco. Les vies d’une chanteuse, Paris, JC Lattès, 2001.
Parlez-moi d’amour, un coffret de trois CDs pour retrouver les vingt premières années de la carrière discographique de Juliette Gréco chez Philips.
Ce n’est pas la dame brune dans sa longue robe de légende et ses sourires de Saint-Germain-des-Prés qu’Universal a choisi de mettre en couverture du nouveau long box consacré à Juliette Gréco, mais la quadragénaire sûre de ses charmes que Just Jaeckin photographia en robe métallique en 1967. Visage posé dans l’arc des deux paumes ouvertes, brun regard droit et un peu hautain, c’est la femme superbe qui va, cette année-là, enregistrer Déshabillez-moi. Ces trois CDs résument le travail de Juliette Gréco dans sa richesse et sa diversité exceptionelles, des grands poètes des premiers enregistrements aux splendeurs écrites pour elle au début des années 70. Au total plus de vingt ans d’une des carrières discographiques les plus prestigieuses de la seconde moitié du XXe siècle.
Au commencement, il y a Jacques Prévert, que Jacques canetti lui fait enregistrer lorsqu’elle arrive chez Philips en 1951, à peine deux ans après avoir commencé à chanter : Je suis comme je suis, A la belle étoile, Les enfants qui s’aiment, Embrasse-moi et bien sûr Les Feuilles mortes, mais aussi Je hais les dimanches, sur un texte de Charles Aznavour, son premier grand succès qui obtient le prix Edith-Piaf au concours de Deauville... Poètes encore, avec Robert Desnos (La Fourmi) ou Raymond Queneau (Si tu t’imagines, Chanson de Gervaise). Puis, au milieu des années 50, sa rencontre avec les plus grands de ceux que le métier va bientôt appeler les ACI (auteurs-compositeurs-interprètes) : Georges Brassens (Chanson pour l’Auvergnat, La Marche nuptiale), Jacques Brel (Ça va-Le Diable, On n’oublie rien), Léo Ferré (Dieu est nègre, La Rue), Guy Béart (Chandernagor, Qu’on est bien) et le tout jeune Serge Gainsbourg (Les Amours perdues). Ce dernier, d’ailleurs, ouvrira superbement les années 60 de Gréco avec La Javanaise et Accordéon, deux chansons qui ne quitteront pratiquement jamais plus son répertoire, comme Jolie Môme de Ferré qu’elle enregistre à cette même époque.
Ces années voient Juliette Gréco pratiquer en même temps deux répertoires : des chansons proches des variétés de l’époque et de fréquentes plongées dans le plus classique patrimoine français. Ainsi, elle alterne Un petit poisson, un petit oiseau de Rivière et Bourgeois et la reprise du légendaire Madame Arthur d’Yvette Guilbert. Elle crée C’était bien (Le P’tit bal perdu) et interprète Parlez-moi d’amour, elle chante La Cuisine de Jean Dréjac et crée des chansons de Mac Orlan qui évoquent toutes le début du siècle...
Accompagné par une belle et originale iconographie, ce recueil contient bien sûr les grands tubes de Gréco, mais aussi quelques chansons plus ou moins oubliées. Ceci constitue un tableau assez fidèle pour aborder une œuvre discographique somptueuse, en attendant une future réédition intégrale de ses disques.
Juliette Gréco Parlez-moi d’amour, 3 CDs (Philips-Universal) 2001