NOS ALBUMS PRÉFÉRES

Paris, le 21 décembre 2001 - L'année 2001 se termine, avec ses drames, ses guerres et en dépit de tout, quelques beaux instants musicaux. Notre rédaction vous présente, comme chaque année, son choix hétéroclite : Pierre Akendengué, Arielle, Benjamin Biolay et les Enfants des autres.

Le choix 2001 de la rédaction de RFI Musique

Paris, le 21 décembre 2001 - L'année 2001 se termine, avec ses drames, ses guerres et en dépit de tout, quelques beaux instants musicaux. Notre rédaction vous présente, comme chaque année, son choix hétéroclite : Pierre Akendengué, Arielle, Benjamin Biolay et les Enfants des autres.

ARIELLE : Imbécile heureuse

A mi-chemin entre Françoise Hardy et Barbara, Arielle s'est fait en quelques années une place à part dans l'univers de la chanson française. Avec son quatrième album "Imbécile heureuse" sorti cet automne, elle réussit le pari d'intégrer les rythmes du Cap-Vert à sa pop toute en finesse. La rencontre avec Teofilo Chantre, un des compositeurs attitrés de Césaria Evora, lui permet d'explorer de nouveaux horizons.
Parolière émérite, chacune de ses chansons est une petite pièce de théâtre. Le Rez de chaussée qui ouvre cet album, sur une composition du mythique auteur cap-verdien Manuel de Novas, montre que la morna est bien proche de la bossa brésilienne et qu'une artiste française peut se permettre d'être le lien entre ces deux continents, si lointains, si proches.

Mais il n'y a pas que le Cap Vert au menu de cet album finement ciselé. Alain Chamfort y compose une mélodie dédiée à Mes petites filles chéries où Arielle, d'une manière un peu "fleur bleue", parle tout de l'amour qu'elle porte à ses deux filles. Dominique A, avec l'Idiot du village, montre une autre facette de sa personnalité à fleur de peau, dans laquelle la voix d'Arielle explore des climats sonores que l'on n'avait pas entendus depuis Barbara.
Et c'est sur une musique de Johannes Brahms qu'elle part retrouver l'univers de la "Dame en noir", sur les rives du Lac de Côme. Sylphide et mystérieuse.

Pierre René-Worms

Imbécile Heureuse (Island-Universal Music)

LES ENFANTS DES AUTRES : Graines et bulbes

Pour les amateurs de bilans, de rappels en tous genres, voici le moment de sélectionner LE disque de l'année. Celui dont on ne pourrait se séparer, celui que les obsessionnels écoutent en boucle, celui que les voyageurs trimbalent partout dans leurs pérégrinations, celui que les gourmets du laser savourent jour après jour. Cette année fut à mes yeux un bon millésime. Alors dans ce cas, que choisir ? L'album de Brigitte Fontaine, celui de Dominique A, des LNV (Négresses Vertes), de Françoiz Breut, de Noir Désir, des Little Rabbits ou encore du très "barré ailleurs" Christophe. Quel dilemme ! Finalement, l'indécision planant, je vous présenterais plutôt le disque du moment, celui des Enfants des Autres qui en cette fin d'année, vient réchauffer nos oreilles.

Si l'expression "musique d'ambiance" peut signifier autre chose que "musique que l'on entend mais que l'on écoute pas", nous pouvons l'utiliser pour Graines et bulbes, le premier opus d'un quintette de musiciens doués, par ailleurs accompagnateurs de chanteurs.
Le groupe a pris forme en 98 autour de Michel Schick, clarinettiste et saxophoniste, pilier musical sur lequel s'appuient tour à tour, ou en même temps, banjo, violon, violoncelle, batterie, derbouka, clarinette et Telecaster joués par ses acolytes. Même s'ils ne sont pas chantés, les morceaux sont construits comme des chansons, refrains/couplets, d'où la très nette impression, que ces Enfants font partie d'une clique d'artistes qui ne nous est pas inconnue : Nery, Jasmine Band, les Pires ou les Fils de Teupuh lesquels d'ailleurs, jouent avec eux sur l'album. Leur musique est joyeuse, parfois mélancolique. Elle s'échappe du côté du jazz, de la musique traditionnelle (tsigane, zydeco…), de la fanfare et du cirque. Ambiance donc, avec cette formation atypique qui nous apporte fantaisie et légèreté, et nous emmène dans un voyage imaginaire aux confins du rêve. Un peu de poésie dans un monde de brutes !

Valérie Passelègue

Les Enfants des Autres Graines et bulbes (Acousti/PIAS 2001) Le site des Enfants des Autres

BENJAMIN BIOLAY : Rose Kennedy

Puisque qu'il s'agit de donner un avis subjectif sur mon album préféré de cette année 2001, j'exécute un tri rapide dans ma tête et choisis le Rose Kennedy de Benjamin Biolay. Je ne reviens pas sur son parcours déjà conté dans ces cyber pages, (29 ans, arrangeur en vogue, auteur avec Keren Ann du Jardin d'Hiver immortalisé par Salvador). Concentrons-nous sur ce seul disque, objet de ma préférence.

Rose Kennedy, c'est ce qu'on appelle un disque concept, où la totalité des titres tournent autour d'un thème, ici la chronique d'une dynastie marquée par la gloire et par la mort, par l'élégance et le mensonge. A travers 13 chansons, Benjamin Biolay évoque le poids de la légende, trace le décor de ce film entre Hollywood et Cape Cod, suggère les atmosphères des années 50 ou 60, le temps qui passe, les larmes derrière le luxe. On croise des personnages de la saga Kennedy, John la figure emblématique, Joseph le père impérieux, Rose la mère, survivante de toutes les souffrances (décédée à 105 ans), mais aussi les seconds rôles essentiels, Marilyn ou Lee Harvey Oswald…

Pour peu que, comme son auteur, on soit sensible à ces ambiances en noir et blanc, désuètes et fascinantes, légères et dramatiques, tel un vieux film noir, on aime ce disque. D'ailleurs, à observer Benjamin Biolay sur scène, avec sa face juvénile et volontaire, son costume et sa cravate sombre, ses souliers noirs, sa désinvolture, on pense au "Brat Pack", la bande à Sinatra (Sammy Davis, Dean Martin et l'acteur Peter Lawford, marié à… Patricia Kennedy, sœur de John). Mais outre l'histoire, ce disque est aussi une mine mélodique. Au fil de l'écoute, on navigue entre de magnifiques airs dont on ne se lasse plus telle cette entêtante envolée de cordes dans les Cerfs Volants, juste après les mots susurrés par Marilyn : "There is a river called the river of no return". Magnifique. L'écoute des seules intros nous montre un Biolay qui sait jouer de ses multiples influences : le goût du passé (Un été sur la côte façon vieux palace suranné), les Beatles (Soixante-douze trombones et son mellotron, clavier polyphonique, ancêtre du synthé), la variété très Las Vegas (la Monotonie) et surtout, Gainsbourg (les Joggers sur la plage, troublant héritier de Melody Nelson).

L'album de remixes sorti ces jours-ci n'apporte pas grand chose. Benjamin Biolay s'amuse avec ses chansons, aidé en cela par divers as des machines, plus ou moins connus : le groupe anglais Alpha, l'ex-Deee-Lite Towa Tei, le Français exilé en Suède, créateur du label Svek, Stéphane Grieder, entre autres. Mais, le charme des machines de notre temps opère moins que celui des vieilles robes de Rose Kennedy

Catherine Pouplain

Rose Kennedy (Virgin)

le site de Benjamin Biolay

PIERRE AKENDENGUE : Obakadences

La classe. La grande classe. S’il faut qualifier l’œuvre, trop rare et trop méconnue, de Pierre Akendengué, c’est l'expression qui s’impose. "Classieux", comme aurait dit Gainsbarre. Pas le genre à rentrer dans le lard, avec de gros sabots. Toujours, au contraire, une subtile montée en puissance, entrée progressive des instruments, installation des rythmiques, lente arrivée du plaisir et, au final, un bel orgasme comme l’est chaque album du Gabonais.

A quand remonte son dernier CD ? On ne sait même plus. Peu importe. Akendengué est décidément en dehors du temps, en dehors de tout. Dommage, quelque part. Beaucoup pensent que, s’il n’avait décidé un jour de rejoindre son Gabon natal, il serait sans doute devenu un Grand de la musique mondiale, tant il est vrai que son talent échappe à la notion géographique d’Afrique – même si, lui, pense le contraire.

Akendengué ne fut-il pas le premier Africain à avoir signé avec une major (CBS), dans les années quatre-vingt ? Et Epuguzu aura beau rester dans les mémoires des aficionados comme la plus belle chanson écrite au sud du Sahara au XXème siècle, l'artiste n’a pas aujourd’hui la place qu’il mérite.

Voici, peut-être, l’occasion de racheter nos fautes. Cela s’appelle Obakadences, contraction de "abaca", un discret triangle de bois dont le rôle est de relier harmoniquement tam-tam mâles et femelles, et de "cadence". La synthèse, la fusion, c’est le maître mot du Maître. Pas étonnant donc qu’il commence à nous embarquer sur un m’baganqa, rythme d’Afrique du sud, redigéré bien sûr à sa manière, avec des guitares que l’on aurait jadis qualifiées de zaïroises. EUA est, une fois de plus, un hymne à l’unité africaine, thème récurent dans l’œuvre et la foi du musicien.

Le chef-d’œuvre harmonique de cet album, c’est Benibeni où la voix de Pierre, ses chœurs féminins impeccables, la guitare classique et les percus complexes, se marient sans le moindre hiatus. Dans un autre genre, difficile de résister au Confidentiel ô Très Haut où le conteur Akendengué se superpose au mélodiste de génie. Le Gabonais est un des rares chanteurs africains à être aussi convaincant en français qu’en langue locale. Sans doute parce qu’il a des choses à dire, mais aussi parce qu’il connaît la musique des mots, souvenir sans doute de son passage au « Petit Conservatoire de la Chanson » de la regrettée Mireille !

Il y aurait aussi le puissant et dansant Afrika Idod’ Iningo à signaler, mais je sens que mes petits camarades avec lesquels je partage cette chronique, vont commencer à faire la gueule et penser que je tire trop la couverture sur moi… Alors, je n’aurais qu’un mot : merci, Akendengué !

Jean-Jacques Dufayet

Obakadences (Celluloïd)