Papa Wemba

A 52 ans, le "Rossignol du Kasaï " signe son nouvel enregistrement, Bakala Dia Kuba ("Un homme averti" ), sorte d’anthologie où figurent quelques invités de marque. Un album que Papa Wemba va défendre le 31 décembre prochain à Bercy. L’occasion de fêter plus de trente ans de carrière pour le pape de la rumba congolaise. Gonflé à bloc, le "Sapeur rangé" fait le point en homme à la fois responsable et sensible. Rencontre.

Un homme avisé

A 52 ans, le "Rossignol du Kasaï " signe son nouvel enregistrement, Bakala Dia Kuba ("Un homme averti" ), sorte d’anthologie où figurent quelques invités de marque. Un album que Papa Wemba va défendre le 31 décembre prochain à Bercy. L’occasion de fêter plus de trente ans de carrière pour le pape de la rumba congolaise. Gonflé à bloc, le "Sapeur rangé" fait le point en homme à la fois responsable et sensible. Rencontre.

Votre nouveau disque s’appelle Bakala Dia Kuba qui signifie "Un homme averti." Est-ce que le choix de ce titre reflète votre état d’esprit actuel ?
A travers ce titre, j’ai voulu faire passer une partie de moi-même, dans le sens où je me sens investi d’une responsabilité par rapport au clan. Je m’explique : il y a toute une tribu derrière moi sur laquelle je dois veiller pour qu’elle ne bascule pas du mauvais côté. D’ailleurs, je la surveille car si vous regardez la pochette de mon disque, je ne présente que mes yeux. C’est très précieux pour un être humain, le pouvoir du regard. Pour ma part, cela reflète la mélancolie parce que je suis quelqu'un de très mélancolique et en même temps, cela traduit la vigilance parce que je regarde loin. C’est un peu la conception que j’ai de ma personnalité.

Après plus de trente ans de carrière et une multitude d’enregistrements, peut-on parler d’album bilan ?
Je n’emploierais pas le mot bilan pour cet opus car je ne vais pas m’arrêter après cet album ! Je dirais plutôt que je fais le point avec Bakala Dia Kuba. Avant de m’y atteler, j’ai réécouté pratiquement tous mes enregistrements et notamment ceux que j’ai sortis depuis que je vis en France, c’est-à-dire depuis quinze ans. En regardant en arrière, je me suis rendu compte qu’aujourd’hui j’étais un peu à la croisée des chemins. Car j’ai toujours joué plusieurs registres en parallèle, d’où l’idée de mettre ces différents genres musicaux dans un seul compact. Il y a des morceaux aux accents soul, certains plus soukouss ou pure rumba congolaise de Kinshasa, d’autres avec des couleurs latines.

Quelles que soient les tendances, votre musique se veut dansante avant tout, mais les textes ont aussi leur importance. Mis à part les incontournables remerciements en ouverture de certains titres, quels sont les thèmes que vous abordez en tant qu’homme averti ?
Il y a différents sujets qui me préoccupent, comme l’intolérance ou l’ignorance. J’exprime aussi l’importance de l’amitié et de l’amour dans la vie, afin que règne la paix sur notre terre. Je prône également le respect de la parole des anciens. Par exemple, un enfant est sensé obéir à sa maman et à son papa, mais il doit aussi écouter son grand-père ou sa grand-mère, même si ce n’est pas eux qui l’ont mis au monde. Je n’oublie pas non plus mes parents et mon fils dans mes chansons.

Pour ce dernier album, vous avez fait appel à quelques compatriotes comme, par exemples, Ray Lema ou Lokua Kanza. Pourquoi ? En tant qu’artiste, Papa Wemba ne se suffit-il pas à lui-même ?
Vous savez, je me considère encore comme un artiste "dans le tunnel". Je n’en suis toujours pas sorti ! Si j’ai contacté certains musiciens, c’est avant tout parce qu’ils connaissent bien la musique. Une personne comme Ray Lema est née et a grandi dans la musique congolaise. Même s’il n’a jamais joué le style rumba, il le maîtrise parfaitement. Pour moi, c’est un privilège que Ray ait accepté mon invitation, car il est venu avec son art, son savoir-faire, son âme. En ce qui concerne Lokua Kanza, c’est un garçon que j’apprécie énormément, c’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup de respect. Lui aussi, a un bagage très fourni musicalement et il sait s’imposer sur le plan artistique. Il y a d’autres invités sur mon album comme Suzy Kasseya. C’est un grand lui aussi ! Dans les années 70-80, on l’appelait communément dans le milieu, le "faiseur de hits". Chacun à sa manière a donné le meilleur de lui-même et moi j’ai régné en maître (rires).

On vous surnomme le « Rossignol du Kasaï », grâce à votre voix haut perché. Ce don naturel a été entretenu par votre mère. En quoi vous a-t-elle encouragé ?
Mon père ne voulait pas que je devienne un artiste, car j’étais son premier garçon. Il aurait préféré que je sois médecin, avocat… Bref, quelqu’un dans la société, car le travail de chanteur n’était pas, à ses yeux, un bon métier. A sa disparition, je me suis retrouvé seul avec ma mère. A l’époque, ma maman était pleureuse dans des veillées mortuaires et chantait toute la nuit à la belle étoile. J’ai grandi avec ce chant mélancolique, car nous étions très proches, je la suivais partout. En fait, elle a été mon premier formateur et aussi mon premier public. Lorsque je vocalisais, elle était toujours là pour me stimuler. Plus tard, quand je suis arrivé en France en 1986, je voulais prendre de vrais cours de chant pour perfectionner mon timbre. Puis j’ai reçu les conseils d’un aîné, Ray Lema encore. Il m’a dit que je n’avais rien à apprendre d’un professeur de chant. Cela m’a donné confiance en moi. A partir de ce moment-là, j’ai décidé de faire de ma voix un instrument à part entière.

Durant votre parcours, il y a eu l’étape avec Real World, le label de Peter Gabriel. Aujourd’hui le contrat avec la pop star est terminé. Que vous a apporté cette rencontre ?
Franchement, je dirais que Peter Gabriel m’a fait connaître à un autre public, le public rock. Quand il m’a amené faire le tour du monde avec lui, j’ai pu pénétrer le monde rock et me faire apprécier. A ce moment là, j’ai compris que la musique anglo-saxonne était la référence. Elle domine l’univers musical. Car si l’on veut être considéré comme « moderne », il faut toucher cet auditoire qui est beaucoup plus large. Cela dit, je suis aussi resté fidèle à mon public communautaire africain, avec mon orchestre Viva la Musica. En quelque sorte, je menais deux carrières simultanément.

A propos de l’Afrique, vous retournez de temps à autre en République Démocratique du Congo. Après les troubles qu’a vécus votre pays, quelle est l’ambiance musicale à l’heure actuelle à Kinshasa ?
C’est vrai que lorsque je n’ai pas d’engagements particuliers à Paris, je rentre au Congo pour quelques semaines. Cela fait du bien, car le pays me manque. En ce qui concerne la vie à Kin’, je ne vous dirais pas qu’il y a des « ambianceurs » à tous les coins de rue, mais vous savez les Kinois et Kinoises se moquent pas mal de la politique ! Ils aiment faire la fête, adorent leur ville et bien sûr leur musique. Ça bouge bien, rassurez-vous…

Qu’en est-il du mouvement que vous avez créé au début des années 80, la Sape (« Société des ambianceurs et personnes élégantes »), une tendance ou mode et musique allaient de paire ?
Plus de vingt ans après, la Sape n’existe plus que de nom, car nous avons tous vieilli. Désormais, nous sommes responsables, pères de famille ou même grands-pères… Les temps ont changé, on a d’autres préoccupations dans la tête. Toujours est-il que nous aimons toujours nous habiller élégamment mais l’attitude n’a plus la même signification qu’à l’époque. Cependant, le phénomène a fait école, il y a toujours des « sapeurs » dans les boîtes de nuits africaines sauf qu’ils sont plus jeunes. Tous tirés à quatre épingles, bien sapés, les garçons, comme les filles d’ailleurs.

Vous allez vous produire à Bercy pour défendre votre nouvel album. L’un des plus grands lieux parisiens. C’est un challenge pour vous ?
Chanter devant 17.000 personnes, c’est vrai qu’il faut le faire. Mais honnêtement je n’ai pas le stress. Pour moi, le Palais Omnisports de Paris Bercy est une scène comme une autre. En effet, j’ai joué à travers le monde dans des endroits beaucoup plus grands que cela à l’occasion de festivals qui regroupaient 25.000 voire 30.000 personnes. Donc, je n’ai pas peur pour Bercy. La seule salle qui jusqu’à présent m’a impressionné, c’est l’Olympia. Je le répète Bercy ne m’angoisse pas, je sais que ma voix va passer et toucher ce vaste public.