Le génie des Rita Mitsouko
Plus que jamais, on aime les Rita Mitsouko. Parce que leur répertoire reste singulier et populaire à la fois. Parce que la voix de Catherine Ringer est remarquable. Parce qu'ils ont géré leur carrière avec intégrité. Le Bestov qui sort ces jours-ci confirme l'incroyable présence du duo dans notre mémoire collective.
Bilan avant la suite
Plus que jamais, on aime les Rita Mitsouko. Parce que leur répertoire reste singulier et populaire à la fois. Parce que la voix de Catherine Ringer est remarquable. Parce qu'ils ont géré leur carrière avec intégrité. Le Bestov qui sort ces jours-ci confirme l'incroyable présence du duo dans notre mémoire collective.
Si les Rita Mitsouko jouissent aujourd'hui d'un large capital sympathie, c'est que certaines de leurs titres ont, depuis 1984, échauffé chaque fête, chaque teuf, chaque bal chic ou popu de l'Hexagone. Marcia Baïla, avec lequel ils ont débuté, est une véritable institution ! Couple novateur, extravagant, surprenant, Catherine Ringer et Fred Chichin ont changé la face de la chanson en France. Mais aussi du rock ou de la pop. Le mythique magazine anglais The Face écrit en 86 : "Rita Mistouko est un des rares vrais groupes de rock en France." C'est encore vrai aujourd'hui.
Leur parcours est un mélange d'intelligence et d'audace, la plus naturelle qui soit, sans l'obsession de provoquer. Mais ça, on l'a compris plus tard parce qu'à ses débuts, la paire fait l'effet d'une association incontrôlable, célèbre pour quelques concerts au scénario imprévisible. Ils ne ressemblent à personne, se foutent de ce qui se fait ou ne se fait pas. Pour preuve, leurs tenues longtemps proches du n'importe quoi et peu imitées (pour cause…). Dès 1982, Lionel Rotcage écrit dans le très docte Monde de la musique : "Fred porte avec élégance un sac Félix Potin en guise de chemise et sa longue mèche brune pirouette sous son œil droit. Catherine s'attife de matières bariolées, turbans, écharpes et châles, jupe de laine et collant jaune. Au premier abord on les prend pour des "barjes", on localise la voix sauvage, on cherche les mots, on reçoit des sensations, on se fraye un chemin, un rayon, dans l'espace sonore que synthés et guitares, boîte à rythmes et claviers remplissent complètement." Aujourd'hui assagis, ils n'en restent pas moins terriblement insolites. Entre autres, par le fait d'ignorer certaines sphères branchées qui auraient bien voulu se les approprier. Toujours résidents des quartiers populaires de Paris, longtemps dans l'annuaire du téléphone, le couple ne pense qu'à sa musique.
La sortie d'un best of semble une curiosité dans leur discographie. Il a fallu presque 20 ans de carrière pour qu'ils se sacrifient à ce rituel, auquel certains cèdent après deux albums… Pourquoi un best of ? Pourquoi maintenant ? Pas de réponse, le duo ne communiquant pas sur ce coup-là. Mais chez les Rita, rien n'est fait n'importe comment et surtout, sans leur aval. Ce disque est donc leur choix. Ils en ont eux-mêmes remasterisé les 17 titres.
On y retrouve Don't forget the Nite, un de leurs premiers titres, paru en 82, sur une face B. Remarqué par quelques radios, il était ressorti en face A. Mais le jackpot, ils l'emportent en 85 quand sort le single Marcia Baïla que selon la légende, ils ont enregistré dans leur cuisine. Phénomène rare, ce titre n'a jamais cessé d'être dans le coup. En 87, c'est dans sa globalité que leur deuxième album, The No Comprendo produit par Tony Visconti (Bowie) connaît un écho assourdissant (Prix Charles-Cros, Victoire du Meilleur album de l'année 87). Le Bestov en recense les trois plus fameux morceaux : Andy (en hommage à un génial petit héros macho de BD britannique, Andy Capp), les Histoires d'A (et son mythique "Michel aimait Gérard") et C'est comme ça, dont le clip signé Mondino est resté aussi célèbre que l'accoutrement à rayures des chanteurs.
L'album Marc et Robert en 88 (toujours réalisé par Visconti) "déçoit". Il souffre de la comparaison avec le précédent. Pourtant, en surgit un titre étonnant, le Petit Train. Sous des dehors joyeux, il n'évoque rien d'autre qu'un convoi de déportés menant, entre autres, le père de Catherine ou les grands-parents de Fred, vers les camps de la mort. Le clip, tourné dans les studios de cinéma de Bombay dans le style naïf d'un film indien, ne collant volontairement pas au texte, est un de leurs meilleurs. Le Bestov nous rappelle aussi que Marc et Robert est l'occasion d'une rencontre avec deux autres allumés, les Sparks, sur le single Singin' in the Shower.
Avec le sous-estimé Système D, paru en 93, commence pour le groupe une deuxième décennie moins flamboyante que la première. Plus laborieuse peut-être, mais qui n'entache pas l'aura du duo. De ce disque, le Bestov ne retient que le langoureux les Amants et le rock'n'roll Y'a d'la haine. Dans la même foulée que ce dernier, on aurait autant aimé le duo avec Iggy Pop, My love is bad ou le "Jamesbrownien" Get up get older. On passe direct au nouveau siècle avec quatre titres tirés de Cool Frénésie, dernier microsillon en date (mais l'ordre du Bestov n'est pas chronologique). Enfin, on cherche l'inédit, le jamais-entendu. On nous en vend un en bout de liste : Clown de mes malheurs. En fait, issu des sessions de Marcia Baïla, ce titre pas tout jeune était déjà paru en face B de C'est comme ça en 88. On s'autorise à croire que les tiroirs secrets des Rita renferment mieux.
Le journaliste Bayon a un jour qualifié les Rita Mitsouko de groupe "inégal et inégalable". Inégalable, peut-être, mais encore inégalé en France, c'est sûr. Leur singularité les a sans doute toujours protégés des ersatz. Quant à la notion d'inégal, il est vrai qu'avec le ménage Ringer/Chichin, bosseurs invétérés, le très bon est tellement génial, que le bon semble moyen. C'est ça un groupe qui produit des chefs-d'œuvre. Ça rend les fans capricieux… En tout cas, pour leur Bestov, les amateurs sont là. L'album s'est classé sixième des ventes de compilations* (sur quarante) dès sa sortie. Certes, cet opus n'apportera rien à leur parcours. Mais plus qu'une étape vide de sens, considérons-le comme une mise à plat du passé de la part d'un groupe qui ne craint pas le labeur et les remises en question. Et, à une époque où il est de bon ton de fustiger les chanteuses à voix, rendons hommage à celle, puissante et savoureuse, de Catherine Ringer. Du bonheur.
*Sources SNEP/IFOP-Tite Live
Rita Mitsouko Bestov (Sony/Delabel) 2001