LES VETERANS DU PUNK

Paris, le 9 janvier 2002 - Même les trois lascars qui forment Ludwig Von 88 ne savent pas exactement combien de disques ils ont pu faire. Aujourd'hui, nos calculs indiquent que le dernier en date, La révolution n’est pas un dîner de gala, est le huitième album studio et le 28ème tout compris (45t, maxis, lives…). Il faut dire que Karim, Charlu et Bruno (devenu Sergent Garcia) gambadent gaiement dans les chants du punk et du rock alternatif depuis près de 20 ans.

Nouvel (et dernier ?) album de Ludwig Von 88

Paris, le 9 janvier 2002 - Même les trois lascars qui forment Ludwig Von 88 ne savent pas exactement combien de disques ils ont pu faire. Aujourd'hui, nos calculs indiquent que le dernier en date, La révolution n’est pas un dîner de gala, est le huitième album studio et le 28ème tout compris (45t, maxis, lives…). Il faut dire que Karim, Charlu et Bruno (devenu Sergent Garcia) gambadent gaiement dans les chants du punk et du rock alternatif depuis près de 20 ans.

Dans un petit appartement en banlieue parisienne, où le salon est gouverné par un ordinateur et sa cour de périphériques, Karim, le chanteur du groupe s’active en bon maître des lieux. C’est lui qui a toujours écrit les paroles, dessiné, collé et conçu les pochettes.

L'interview démarre sur le sujet de Mao Zedong. Le titre de l'album qui peut paraître si étrange, est bien une citation du leader chinois. «Absolument ! Elle figure dans le Petit Livre rouge. Je vais tout te lire.» Karim farfouille quelques instants et revient s’asseoir : «La révolution n’est pas un dîner de gala. Elle ne se fait pas comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie. Elle ne peut s’accomplir avec autant d’élégance, de tranquillité, de délicatesse ou avec autant de douceur, d’amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d’âme. La révolution c’est un soulèvement, un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre.» «Voilà, on aurait voulu appeler le disque comme cela ! C’était un peu long donc j’ai juste mis le début. C’était une idée qui me faisait marrer depuis pas mal de temps. J’ai rarement vu des révolutions comparées à des dîners de gala. Généralement, c’est beaucoup de morts et de chaos ! Je trouve qu’il y a des trucs assez comiques là-dedans. Cela ne devait pourtant pas être le but !» Le ton est ironique et joueur.

Les Ludwig Von 88 ont toujours été ainsi. Dans la dérision, la moquerie et surtout l’engagement. Karim revendique l'étiquette "groupe engagé". Est-ce le rôle de l’artiste ? «C’est en tous cas celui de Ludwig ! L’artiste fait ce qu’il veut. Son rôle est de créer. Après, est-ce que créer c'est être révolutionnaire ? Peut-être… Mais cela dit, il y a plein de gens qui font de la musique et qui n’ont pas inventé la poudre pour autant. Remarque, Ludwig n’a pas inventé grand chose non plus.»

Treize minutes pour deux accords

L’histoire et l’actualité sont les grandes sources d’inspiration de Karim. La violence, la bêtise, la drogue, les méchants et les salauds, l’injustice et le racisme en sont les grands thèmes. Mais il y a des délires également, comme toujours. De l’humour dans la gravité, du grave dans l’absurde. «A la fin de l’album, il y a une belle chanson qui s’appelle Rémy. Elle dure treize minutes et est juste composée de deux accords : ré et mi. Evidemment, cela ne va pas faire rire tout le monde et certains vont encore nous dire que nous ne faisons pas de la musique ! On l’a déjà entendu. Mais de quel droit ? A partir du moment où j’ai décidé que cela en était, cela en est ! Si Ricky Martin décide qu’il fait de la musique, il fait de la musique ! L’important est de pouvoir faire ce que l’on veut.»

Et ils ont fait bien d’autres choses encore, comme ce triptyque au titre de Baby. Mêmes accords et même thème pour une variation des genres : version punk, reggae et country. Le tout à la façon Ludwig bien sûr : une boîte à rythmes, peu d’accords et quelques mots chocs. Il faut avouer que les trois jeunes gens ont toujours donné l’impression de délaisser sciemment l’aspect musical au profit du texte. «Pas du tout ! Karim réagit d’emblée. Musicalement ce qui nous intéresse c’est de trouver des trucs bizarres, de sortir du conventionnel. Le problème est que l’on reste un peu prisonnier de notre propre style. A force d’être à trois on a tendance, non pas à refaire la même chose, mais à toujours fonctionner de la même manière. Mais si on a envie de faire un morceau entier avec un seul accord ou un son de cloche, on va le faire. Du moins si on trouve cela original ou un peu provocant. Mais c’est vrai que l’on a toujours aimé les paroles. Même quand elles sont complètement débiles, j’essaie de les sortir des sentiers battus.»

Punk d'aujourd'hui

Le seul point qui fasse franchement éclater de rire Karim est celui concernant sa voix. Il faut dire que la justesse n’est pas toujours au rendez-vous. Le jeune homme est honnête : «Je ne suis pas Placido Domingo, c’est sûr ! Pour penser que j’ai une capacité vocale, il ne faut pas avoir d’oreilles ! Mais à la base, Ludwig von 88 est un groupe punk. Même si on n’a pas les crêtes, c’est plus une idéologie politique militante. C’était aussi le fait qu'à l'époque, tout le monde avait le droit de faire un groupe. Avant il fallait quand même savoir jouer un minimum ! Donc je chante ce que je chante ! C’est du Ludwig, ce n’est pas très difficile.»

Charlu, Bruno et Karim avaient fondé Ludwig Von 88 comme un groupe punk. Jamais coiffés ou vêtus comme l’étiquette du genre l’aurait exigé, ils ont pourtant toujours eu un fonctionnement interne en rapport. Aujourd’hui encore ils continuent de s’auto-produire, refusant les structures et institutions. Le mouvement punk est également le sujet d’une chanson de ce nouvel album (Soixante-dix sept). «Ce qui est amusant quand on a fait un groupe punk, c’est d’essayer de provoquer les punks ! C’est pour cela que l’on faisait des chansons sur les petits oiseaux au début ! De toutes façons, les durs de durs ne nous écoutaient pas. On n’était pas assez violents. Soixante-dix-sept, c’est une chanson pour les jeunes qui idéalisent un peu cette période et les années 80. Maintenant, quand je vois certains groupes qui se croient punk parce qu’ils crachent par terre, cela me fait plier de rire. En plus il y a tout un côté plastique, genre mode… Pour moi les punks d’aujourd’hui, ce sont les gens qui vont dans les free-parties et qui font de la techno avec trois bouts de ficelles. Ils sortent des auto-produits à cinquante exemplaires.»

Il ne restait plus, avant de partir, qu’à faire part des rumeurs qui circulent. La révolution n’est pas un dîner de gala, est-il ou non le dernier album des Ludwig Von 88 ? L’aventure se terminera t-elle là-dessus ? Karim sourit. «Disons que comme Bruno, alias Sergent Garcia est devenu une star internationale, il ne participera plus au groupe. Il n’en a plus le temps et je ne crois pas qu’il en ait l’envie. Ce ne sera plus jamais cette formation-là, c’est sûr. Mais peut-être que Charlu et moi en ferons d’autres avec d’autres personnes. Nos débuts datent de 83 ! Cela fait longtemps maintenant. Arrivé à ce stade, tu as l’impression que les gens attendent quelque chose de toi. C’est un peu stressant. Donc on fera des disques si on le veut, quand on le voudra, de la manière que l’on voudra… Disons que l’on se met en pré- retraite !»

Marjorie Risacher

Ludwig Von 88

La révolution n’est pas un dîner de gala (Crash Disques)