Cheb Mami en tournée

Pour fêter ses vingt ans de métier, Cheb Mami a relevé un défi : être le premier artiste maghrébin à remplir avec son seul nom, un Bercy bourré à craquer (17.000 places) en décembre 2001. Un évènement qui conforte définitivement l’humble chanteur algérien dans son rôle de star internationale. Rencontre avec ce besogneux du raï toujours aussi modeste malgré sa popularité. Interview.

Une star modeste avant tout

Pour fêter ses vingt ans de métier, Cheb Mami a relevé un défi : être le premier artiste maghrébin à remplir avec son seul nom, un Bercy bourré à craquer (17.000 places) en décembre 2001. Un évènement qui conforte définitivement l’humble chanteur algérien dans son rôle de star internationale. Rencontre avec ce besogneux du raï toujours aussi modeste malgré sa popularité. Interview.

Avant que ne commence votre tournée, vos deux décennies de carrière ont été marquées par un passage tout dernièrement dans la méga salle parisienne de Bercy. Que représentait pour vous cette scène après avoir joué devant 100.000 personnes en Algérie et 80.000 aux Etats-Unis ?
C’était un peu logique. Quand j’ai commencé à chanter dans des endroits qui comptent à Paris, il s’agissait du Bataclan, de l’Olympia et après du Zénith, des salles de plus en plus grandes. Donc, pour fêter mes vingt ans de chanson, j’avais besoin d’une grande salle comme le Palais omnisports de Paris Bercy. En même temps, c’était un rêve de chanter à Bercy. Après les Algériens qui ont été mon premier public, les Parisiens ont compté pour mon succès international. Composé de la communauté, de Français et d’Africains, ce parterre représentait la fraternité et la solidarité. Que peut-on espérer de mieux comme public !

Depuis votre premier passage au début des années 80 à la Radio télévision algérienne, où vous obtenez le 2ème Prix d’un radio-crochet, à aujourd’hui : c’est un parcours Oran-Paris-New York quasiment sans faute. Comment expliquez-vous votre succès ? Par la chance ou plutôt le travail, puisque vous avez la réputation d’être un bosseur ?
Je pense que c’est plutôt le travail. Il y a un peu la baraka c’est vrai ! Mais c’est surtout le boulot parce que depuis que je suis arrivé ici en France, je n’ai cessé d’apprendre, de répéter, de travailler... Il n’y a que si l’on trace son sillon tous les jours que l’on arrive à une carrière planétaire. Honnêtement, mon ascension est surtout le fruit de mon acharnement.

Avec votre dernier album Dellali, vous êtes déjà numéro un dans les pays arabes et vous avez reçu récemment le World music Award du meilleur vendeur d’albums arabophones. Selon vous est-ce porteur d'une certaine responsabilité à l’heure où le rapport Occident-Orient est en crise ?
Sincèrement, je ne crois pas avoir une responsabilité particulière en étant l’artiste qui vend le plus de disques en langue arabe. J’avoue plutôt que c’est une fierté d’être considéré comme le chanteur arabophone le plus connu dans le monde. C’est bien, non ? Pas seulement pour moi, mais pour le raï et la musique orientale en général. Dieu merci, si ça marche au niveau mondial à l’heure actuelle !

Vous êtes aujourd’hui sollicité par les plus grands noms de la chanson internationale. On vous a vu aux côtés de Charles Aznavour, Ziggy Marley ou encore Sting, pour ne citer qu’eux. Comment interprétez-vous cette consécration dans la profession ?
Pour moi, ces rencontres sont de véritables cadeaux tombés du ciel. Vous imaginez quelqu’un comme Charles Aznavour qui accepte de m’écrire une chanson, Viens Habibi. C’est vraiment une reconnaissance de la part d’un grand comme lui ! Ma collaboration avec Ziggy est différente, c’est un copain de Nile Rodgers, le principal producteur de mon dernier disque. Au moment du mixage du titre Madanite, Ziggy était là dans le studio. Lorsqu’il a entendu cette chanson à la rythmique reggae, tout de suite, il a voulu placer sa voix dans les choeurs. Nile Rodgers m’a demandé ce que j’en pensais. Je lui ai répondu, pourquoi pas ? Mais es-tu sûr qu’il s’agisse du fils de Bob Marley ? (rires). En ce qui concerne mon travail avec Sting qui ne date pas de mon dernier enregistrement, c’est une réussite d’un point de vue notoriété. Il m’a ouvert beaucoup de portes et notamment, le marché américain. C’est un créneau très fermé. Surtout pour un chanteur en langue arabe, sans même parler du contexte actuel suite aux attentats du 11 septembre 2001. Vous savez, il y a beaucoup d’artistes anglophones qui n’ont pas réussi à percer comme je l’ai fait aux Etats-Unis. Pour moi, cet impact a été une véritable conquête. Mais cette ouverture a été réciproque. Sting est désormais connu dans le monde arabe. Si je devais résumer cette aventure, je ferais le parallèle avec mon arrivée en France. Imaginez qu’après avoir fréquenté quelques cabarets, j'ai bossé tout de suite avec Johnny Hallyday ! Du jour au lendemain, boum ! Vous êtes connu en France. C’est ce qui m’est arrivé avec Sting. En un mot, j’ai beaucoup de gratitude par rapport à ces artistes qui m’ont suivi, voilà tout.

Maintenant que vous êtes reconnu, vous gagnez beaucoup d’argent. Qu’est-ce que cela vous fait de savoir que vous pouvez dépenser sans compter ? En tant qu’ancien soudeur dans une usine en Algérie, est-ce une revanche sur la vie ?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, je ne dépense jamais sans compter. J’ai gardé la notion de l’argent, même si j’en ai un peu plus aujourd’hui qu’avant, je vis simplement. Vous savez, je suis comme tout le monde. Il me faut un repas pour manger, une maison pour dormir et une voiture pour me déplacer. Après, j’essaye de faire profiter mes proches. Par exemple, mon cachet pour le concert de Bercy a été entièrement reversé aux sinistrés du quartier de Bab el-Oued de novembre dernier, à Alger (inondation dévastatrice, ndlr). Je cherche à aider ceux qui sont dans le besoin. Parce que j’aime bien les gens. Et si on aime son prochain, on doit partager. Moi j’adore partager ma vie, mon amour et bien sûr mon argent.

C’est un peu à votre image cette générosité discrète ?
Je ne sais pas si c’est à mon image, mais en tout cas cela me tient à cœur de participer à des causes qui me sont proches. De mon point de vue, c’est noble. En fait, je fais ça pour les autres mais aussi pour moi, car je me sens bien. J’ai l’impression d’être utile. Aider l’être humain, cela représente quelque chose d’indispensable. En ce qui me concerne, c’est une manière de garder le contact avec la vie.

Par rapport aux contacts justement, vous êtes resté très attaché à votre terre natale. Aujourd’hui, vous vivez entre Paris et Oran. Cet ancrage algérien est-il vital pour vous ?
En ce qui me concerne, c’est essentiel ! C’est indispensable de conserver le lien avec mon pays natal, l’Algérie. D’ailleurs, j’ai toujours dit que j’aime vivre en "stéréo" entre la France et l’Algérie. Quand je suis en Algérie, j’ai besoin de la France, quand je suis ici, le pays me manque. Il me faut les deux, c’est un peu comme ma mère et ma mère adoptive. Et puis, cela permet de me ressourcer, de mesurer mon parcours en retournant au départ. C’est grâce à cela que je ne perds pas le Nord !

A propos du bled, que sont devenus les cheb sur la Corniche à Oran? Est-ce qu’il y a encore des chanteurs de raï, comme vous l’étiez dans les années 80 ?
Oui, il y a encore des chanteurs de raï en Algérie. Disons qu’à Oran, les cheb continuent à chanter dans les cabarets, à enregistrer des cassettes. Mais bon… Ce n’est plus pareil, car nous leur donnons du rêve. Je veux dire par là que lorsque que j’ai commencé, il n’y avait pas de cheb de renommée internationale. C’est pourquoi, les artistes algériens d’aujourd’hui ont la chance d’avoir des chanteurs à l’étranger. Nous sommes des modèles ! Des références de réussite. Et c’est très bien quelque part pour toute une nouvelle génération. Car elle existe, je vous le jure !

Le raï a donc encore de belles années devant lui, puisque d’après-vous l’après Cheb Mami est assuré ?
Bien sûr que la relève existe. A condition que le raï de demain soit toujours ouvert à l’oreille occidentale. Car si les cheb se contentent de reproduire la musique d’il y a 20 ans, ils n’ont pas beaucoup de chance de percer. C’est mon avis.

Cheb Mami Dellali (Virgin) 2001