Paris-Bamako : un mariage électro
A l'occasion de la Coupe d'Afrique des Nations, ou CAN, qui débute le 19 janvier au Mali, RFI-Musique consacre ces trois prochains jours à la scène musicale de ce pays.
Afro-électro ou techno façon africaine ?
A l'occasion de la Coupe d'Afrique des Nations, ou CAN, qui débute le 19 janvier au Mali, RFI-Musique consacre ces trois prochains jours à la scène musicale de ce pays.
Plus que Dakar ou Abidjan qui attirent respectivement les rappeurs et les reggaemen, la capitale malienne inspire les princes français de l’électronique en mal de sonorités africaines. C’est bien à Bamako que Marc Minelli, Frédéric Galliano et Madioko (alias Dany’o et Isaac, deux transfuges de la Malka Family) sont allés puiser leurs derniers matériaux sonores. Aller simple vers la facilité ou perpétuel va-et-vient entre groove contemporain et richesse du continent noir ?
Quand les frimas de l’hiver européen commencent à pointer, les maisons de disques sortent généralement leurs arguments exotiques pour réchauffer les pistes de danse. Cette année, le géant Universal a sorti un album justement intitulé Electro Bamako(Universal Jazz) qui réunit la voix malienne, de Mamani Keita, et les bidouillages français de Marc Minelli. Les amoureux du son africain, lassés par les pillages successifs de l’héritage musical du continent, pourraient rejeter la galette en prétextant qu’elle sent l’opération commerciale à plein nez… Et pourtant, le disque s’avère plus savoureux que prévu. En fait, en ce début d’année 2002, quelques petits bijoux sont sortis grâce aux unions plus ou moins libres entre producteurs français, voix et instruments africains…
Frédélectrique Galliano
Le premier producteur de musique électronique tricolore à s’être intéressé au Mali est Frédéric Galliano. Il y a cinq ans, son premier maxi sur le label What’s up s’intitulait Nangades Maafric et sonnait déjà comme un hommage à l’Afrique. Instigateur avec St Germain de l’ouverture au jazz du label F-Com, Frédéric Galliano est aussi le premier à s’être aventuré dès la fin des années 90 sur les pistes maliennes. Il en a rapporté des carnets de voyages sous forme d’une série de vinyles, aujourd’hui regroupés dans deux volumes, Collection 1 et 2, illustrant les traitements électroniques qu’il a soumis au son malien.
Depuis, Frédéric Galliano a poussé l’aventure jusqu’à créer son propre label Frikyiwa qui a produit des albums de remixes de musiques africaines mais aussi un album de musique traditionnelle (Manding-ko de Hadja Kouyate et Ali Boulo Santo). Même s’il joue actuellement sur scène avec une Guinéenne (Hadja Kouyate) et un joueur de kora sénégalais (Ali Boulo Santo), notre homme a beaucoup voyagé au Mali. Il a remixé et joué avec de nombreux artistes locaux, dont la fameuse Nahawa Doumbia qui fit sensation avec son album Yaala (Cobalt/Melodie), réalisé avec la complicité du guitariste jazz français Claude Barthélemy. Mais Galliano a aussi remixé Abdoulaye Diabaté, Ramata Doussou, Lobi Traore… Bref, toute la génération des Maliens qui ont marié leur musique acoustique aux tempos fiévreux de l’électronique. « Ce n’est pas toujours facile d’adapter mon chant à ces rythmes, car le temps est différent », confie Mamou Sidibé qui a travaillé avec Yves Verner (Ingénieur du son) et Moussa Kone (ex-guitariste d'Ali Farka Touré) des mois avant de trouver le son juste.
Même s’il fut le premier à importer un sampler à Bamako il y a trois ans, Frédéric Galliano se méfie tout de même de l’utilisation intempestive que l’industrie musicale électronique pourrait faire du patrimoine musical malien. « L’arrivée de samplers, boîtes à rythmes et autres déchets technologiques utilisés par des Européens peu doués et peu scrupuleux, a souvent pollué le son africain et éloigné les artistes de la richesse du son traditionnel souligne-t-il. Je suis proche de la culture club résume-t-il, mais j’aime aussi la musique traditionnelle africaine et je cherche donc à avoir la démarche la plus authentique possible et la moins néo-colonialiste pour qu’il y ait un réel échange avec les artistes maliens ou africains en général.»
Isaac et Dany'o : la Madioko mobile
Comme Galliano, Marc Minelli et le duo Madioko cherchent aussi à ne pas dénaturer le « son malien , à ne pas l’occidentaliser à outrance ». Mais pour Isaac, ex-membre de la section cuivre de la Malka Family, « la musique malienne se prête particulièrement à l’expérience électronique puisqu’elle se base beaucoup sur des répétitions et superpositions de boucles. Il y a quatre ou cinq ans, je me souviens avoir vu Mama Keita en concert au Hot Brass. Je venais d’acheter ma machine et à l’époque je me disais déjà que, plus encore que la musique sénégalaise qui a trop de breaks, cette musique était faite pour être travaillée par l’électronique. » Pour ces deux Parisiens d’adoption (l’un d’origine tunisienne et l’autre antillaise), la rencontre avec un certain Philippe Conrath (à la tête du label Cobalt et à l’origine du festival Africolor) a été déterminante. Après avoir introduit Galliano au Mali il y a quelques années, il a permis aux Madioko de rencontrer des artistes maliens, mais aussi réunionnais, zaïrois ou centrafricains, avec qui ils ont frotté leurs machines et leurs riffs de cuivres funky.
Tout a commencé en décembre 2000, quand le festival Africolor les a invités à accompagner sur scène le Malien Issa Bagayogo, un ancien paysan de la région du Wassoulou au sud de Bamako, monté à la capitale et devenu chauffeur du bus. Après cette rencontre, les deux compères ont eu envie d’aller au Mali enregistrer les artistes à domicile grâce leur studio mobile, soit quelques dizaines de malles et des kilos de matériel qui leur rappelèrent l’époque des « discomobiles » (fêtes plus ou moins improvisées du temps de la Malka Family au début des années 90). Cette fois les machines ont pris la direction de Koutiala, au sud du Mali pour travailler avec Abdoulaye Diabaté et Modibo Diabaté.
Dany’o, le bassiste du tandem, avoue avoir été séduit par le kamalé n'goni malien, une grosse calebasse séchée, coupée en deux, sur laquelle une peau est tendue, le tout relié à un manche avec 5 ou 6 cordes. « C’est la guitare de la jeunesse ! s’enthousiasme Dany’o. Les musiciens utilisent une gamme pentatonique, c’est–à-dire la gamme de blues, donc un style très proche de ce que nous connaissions en funk, blues et jazz au sein de Malka Family et Taudis Symphony. Dès qu’on a commencé à jouer avec les machines, à faire des programmations, on s’est aperçus qu’on jouait surtout des rythmes ternaires, proches des rythmes africains, donc il fallait y aller un jour ! »
Sur cet album R’N Brousse volume 1, le duo se contente de remixer certains morceaux maliens ou de les restituer tels quels (comme ceux de Mamou Sidibé ou St Germain), dans un respect des rythmes et structures traditionnelles couplets-refrains. Le sens des textes est gardé, les phrases ne sont pas coupées ou déphasées, puisque le beat et le rythme funky s’insèrent plutôt bien avec les voix et instruments maliens. On y voit même parfois planer l’ombre d’un Fela ou Manu Dibango qui ont tant bercé Isaac. Mais les deux garçons ne cachent pas avoir pour projet de pousser leur expérience plus loin dans une veine électronique pour remixer des bribes de voix ou des mesures musicales déstructurées. Lorsqu’on va au Mali pour travailler avec Abdoulaye Diabate, par exemple, on doit respecter l'image qu'il a dans son pays. "On ne peut pas mettre une grosse caisse pour en faire un tube club dansant !" souligne Dany’o. qui précise « Au Mali, toute la nation est dans la musique, il n’y a pas un style pour les jeunes et un autre pour les vieux. La musique parle aux fils, aux pères, aux tantes, aux enfants : c’est la musique de tout le monde. »
Mamani Keita et Marc Minelli : un paris électro
La rencontre entre Mamani Keita et Marc Minelli est elle aussi le fruit de la clairvoyance d'un producteurs celui d'Universal.
Née à Bamako, Mamani Keita a été élevée dans la tradition bambara jusqu’à 22 ans, âge auquel elle est partie pour Paris. Elle y a fait ses armes aux côtés de Salif Keita, Sory Bamba, Hank Jones ou encore Cheikh Tidiane Seck. Tandis que Marc Minelli, Havrais de souche se passionnait pour le rock et le punk. Il y a quelques années, lorsque Marc s’achète des machines et commence à « bricoler » des sons, il est à la recherche de projets. Un ami lui confie une cassette DAT de Mamani, sur laquelle elle a enregistré sa voix et une ligne de guitare. « Au départ, je suis resté perplexe, raconte Marc. Je ne connaissais pas grand chose à la musique africaine à part Fela ou Mory Kante et je me demandais ce que je pouvais apporter à la musique de Mamani. Et puis quand j’ai commencé à travailler je me suis rendu compte que le mélange se révélait magique. Tout existait déjà et la musique électronique n’était là que pour révéler cette richesse. » On sent bien que c’est ce soucis de respect qui animait le travail de Marc Minelli et même si au début Mamani Keita n’a pas « reconnu sa voix », elle est aujourd'hui « très, très contente du résultat ». Elle jure que sa famille à Bamako s’y reconnaît aussi. Il faut dire que leur subtil mélange, qui entremêle habilement les vocalises Bambara de Mamani et le jazz électro de Minelli, c'est un son naturel, l’évidence avec laquelle chaque sonorité se digère. Chaque style intègre les différences de l'autre sans pour autant chercher à s’imposer. Une humanité qui n’a pas trompé le public, massivement acheteur d'Electro Bamako, grâce à quoi Mamani Keita a pu enfin s'offrir quelques vacances à Bamako après douze ans de vie parisienne…
Frédéric Galliano and the African Divas (F Com/Pias) 2002
Issa Bagayogo Timbuktu (MaliK7/Sixdegrees)
Mamani Keita et Marc Minelli Electro Bamako (Universal Jazz) 2001
Nahawa Doumbia (Cobalt/Mélodie) 2000
R’N Brousse volume 1 (Cobalt/Melodie)