Nouveau son pour les Rita

Après William Sheller (en 2001) ou Bernard Lavilliers (en 2000), c’est au tour des Rita Mitsouko d’être accueillis par l’Orchestre Lamoureux pour sa « carte blanche » annuelle. Confrontation de l’univers classique et du monde des variétés les plus cinglées. La rencontre est musicalement arrangée ces jours-ci par Bruno Fontaine (20 et 27 janvier).

Fontaine met son grain de sel

Après William Sheller (en 2001) ou Bernard Lavilliers (en 2000), c’est au tour des Rita Mitsouko d’être accueillis par l’Orchestre Lamoureux pour sa « carte blanche » annuelle. Confrontation de l’univers classique et du monde des variétés les plus cinglées. La rencontre est musicalement arrangée ces jours-ci par Bruno Fontaine (20 et 27 janvier).

Bruno Fontaine, ce personnage unique dans le paysage musical français, enregistre de très savants disques classiques avec le quatuor Ysaye et travaille avec Johnny Hallyday, écrit des musiques de films et accompagne Ute Lemper... Jadis enfant prodige, il est devenu un musicien hors normes qui joue à saute-frontières. Prochainement, il s'attaquera au concerto de Chostakovitch avec l’orchestre de l’Opéra de Massy et fera une tournée aux Etats-Unis en compagnie de Michel Portal et du Quatuor Ysaye pour jouer un hommage à Astor Piazzolla. Cela après la sortie du film de François Ozon, Huit Femmes, pour lequel il a arrangé des tubes de variété française chantés par les actrices du film.

C’est ce même pianiste, arrangeur et compositeur qui a mis en place le concert des Rita Mitsouko en compagnie de l’orchestre Lamoureux les 20 et 27 janvier au prestigieux théâtre des Champs-Elysées : «Il y a une époque où cette versatilité m’a plutôt nui, reconnait Bruno Fontaine. Souvent, on me disait qu’on ne comprenait pas pourquoi je travaillais avec Johnny Hallyday ou Mylène Farmer en même temps qu’avec Ute Lemper. Aujourd’hui, je me suis un peu éloigné des variétés, je me suis rapproché de choses dans lesquelles je retrouve mes vraies racines. Mais, lorsque je suis allé explorer ce monde-là, c’était vraiment par plaisir.»

Comment expliquer autrement que ce jeune garçon «assez brillant», comme il le reconnait lui-même, bénéficiaire d’une dispense pour entrer à l’âge de dix ans au conservatoire, échappe à «cette espèce de moule qui devait [le] mener aux concours internationaux et à une carrière de pianiste». Car le petit prodige du piano aime passionnément la chanson, s’émerveille des arrangements de François Rauber pour Jacques Brel, de Jean-Michel Defaye pour Léo Ferré. Il a une sorte de révélation, vers sept ou huit ans, en voyant Gilbert Bécaud en scène : un pianiste - comme lui - qui porte chansons, scène et public à des hauteurs qui le sidèrent. Alors, plus tard, «ces incursions dans le monde de la chanson étaient comme une passerelle obligatoire par laquelle [il] avait toujours su qu'[il] passerait.»

C’est d’ailleurs le généreux François Rauber, légendaire arrangeur de Jacques Brel qui lui a mis le pied à l’étrier. Celui-ci le pistonne pour devenir le répétiteur de Mireille Mathieu pendant qu’elle travaille sur un album produit par Paul Anka : «La première fois que j’ai assisté à l’enregistrement d’un album, c’était au studio Ocean Sound de Los Angeles.» Du coup, à dix-huit ans, il se retrouve directeur musical et chef d’orchestre de la plus grande star internationale française de l’époque, pour une tournée mondiale de six mois. Sa carrière dans la variété est lancée, on le verra travailler avec Alain Chamfort ou encore mettre au point la première tournée de Mylène Farmer.

Bruno Fontaine fonctionne surtout au coup de foudre professionnel. Un soir qu’il joue du piano dans le premier spectacle chanté de Lambert Wilson, une jeune femme vient le voir dans sa loge : «Elle m’a dit : 'J’ai envie qu’on travaille ensemble. J’enregistre un show à la BBC début janvier sur des reprises de Piaf et de Dietrich. Il y a vingt chansons et je n’ai pas d’arrangeur.' Nous étions début novembre. J’ai pris l’avion le lendemain pour Londres et, en une journée, on a décidé ce qu’on ferait sur une quinzaine de chansons.» Bruno Fontaine entame ainsi dix ans de collaboration avec Ute Lemper : « Une connivence parfaite.»

Pour elle, il revisite le répertoire de cabaret allemand et de la chanson française, posant sa marque délicate, érudite et curieuse sur ces grandes mélodies. «J’ai une espèce d’obsession, avoue-t-il, je me dis souvent que, musicalement, les chansons n’ont pas la place qu’elles méritent. Dans un festival, l’été dernier, j’ai fait un récital avec une première partie totalement classique - Schumann, Chopin, Liszt - et en seconde partie des œuvres très courtes - un prélude de Debussy, un lied de Schumann - enchainées avec des chansons sur lesquelles j’improvisais. Les gens venaient me voir pour me dire que les chansons, bien qu’on imagine qu’il s’agit de musique facile, sont des œuvres qui tiennent la distance à côté de la musique écrite. Ce n’est pas une position militante, mais je trouve dommage que les chansons anciennes ne vivent pas plus. Les Anglo-Saxons développent l’idée de standard avec les chansons de Porter, de Gershwin ou d’Ellington, dont la vie se renouvelle à chaque génération.»

Fontaine et les Rita

Justement, cette «carte blanche» des Rita Mitsouko avec l’Orchestre Lamoureux est une belle occasion de revisiter quelques chansons importantes du répertoire. «D’emblée, Catherine Ringer m’a dit qu'elle voulait chanter du Ferré. Et elle m’a sorti le triple CD qui regroupe les adaptations de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud et Apollinaire.» Les Rita Mitsouko interprèteront aussi, avec l’orchestre Lamoureux, une chanson de Gainsbourg chantée il y a trente ans par Jane Birkin, Le Velours des vierges, une reprise A Man Needs a Maid de Neil Young, une chanson de Trenet peu connue, Où sont-ils donc...

«J’ai vraiment beaucoup aimé leur disponibilité artistique, note Bruno Fontaine. Quand Jean-Luc Caradec, l’administrateur de l’Orchestre Lamoureux, m’a appelé au début de l’année dernière en me proposant de travailler sur cette «carte blanche» des Rita Mitsouko, je me suis embarqué aussitôt. Sans les connaître, j’étais sûr que la rencontre correspondrait à mon univers. Et, quand je les ai rencontrés, il est apparu comme une évidence qu’on allait bien travailler ensemble. Ce sont vraiment des gens inventifs et ouverts et je souhaitais que les envies viennent d’eux.»

Le dispositif orchestral est stimulant : trente-huit cordes, deux cors, un hautbois, une clarinette, percussions et piano. Les Rita Mitsouko y confrontent un classique line up rock - voix, guitare, basse, batterie. Et ils chantent une dizaine de leurs chansons : deux inédits de leur prochain album (fini il y a quelques semaines à peine), quelques classiques (dont Andy) et des raretés, comme La Fille qui venait du froid, une chanson de leur premier album. «C’est un matériel très inspirant, se réjouit Bruno Fontaine. Ils ont un univers auquel il est amusant de rajouter des couches. J’ai essayé pour chaque chanson d’aller le plus loin possible, en sachant qu’ils sont disposés à des expériences. J’ai écrit des introductions originales ; sur Andy, j’ai ajouté des lignes de violon un peu Barry White en même temps que des envolées un peu ravéliennes...»

 

Théâtre des Champs-Elysées à Paris le 27 janvier