CharlElie

Recevant dans son atelier-studio près de la gare de l’Est (la tentation de Nancy n’est jamais loin), CharlElie ne cache pas sa fierté (justifiée) pour 109, son nouvel album, régénérant, poétique. Le tutoiement est de rigueur pour la "simplicité de rapport" explique t-il. Nous allons donc voir de quel bois CharlElie se chauffe.

Denrée rare et impérissable.

Recevant dans son atelier-studio près de la gare de l’Est (la tentation de Nancy n’est jamais loin), CharlElie ne cache pas sa fierté (justifiée) pour 109, son nouvel album, régénérant, poétique. Le tutoiement est de rigueur pour la "simplicité de rapport" explique t-il. Nous allons donc voir de quel bois CharlElie se chauffe.

Ce disque intitulé 109 a d’abord été l’occasion de faire une grande fête le 4 décembre à l’Olympia. Etait-ce pour célébrer tes vingt ans de musique ?
Oui, c’était un concert spécifique dans la mesure où, quasiment date pour date, cela tombait vingt ans après mes débuts. Et comme, je tenais à la force du symbole, j’ai voulu faire un concert ce jour-là avec mes amis Arthur H, M, François Hadji-Lazaro, mon frère Tom (Novembre) et même mes filles.
En mars, suivront les "109 shows" qui sont spécifiques à l’album. Cet album, j’en suis fier parce que c’est vraiment l’enregistrement qui est le plus abouti, pour ne pas dire le meilleur. C’est un disque que j’ai pu faire et refaire jusqu’à l’outrance dans la mesure où c’est la première fois que j’ai pu enregistrer entièrement en numérique sur ordinateur. Pour la première fois, j’ai eu la possibilité de retravailler sur ma musique comme je travaille sur un tableau, c’est-à-dire toujours sur le dernier état. Auparavant, on enregistrait puis, on mixait. Là, je pouvais œuvrer dans la continuité.
Travailler sur un disque, c’est comme travailler sur l’architecture d’une maison où différents corps de métier interviennent. Et puis, tu fignoles, tu fignoles et tu te déchires parce que la peinture n’est pas comme tu veux ou que cette porte est mal placée à trois centimètres près.

Bref, c’est un travail interminable. Quand as-tu pris la décision d'arrêter ?
A un moment donné, les fignolages deviennent de plus en plus légers. Mais, concernant une chanson, on sait parfaitement que le succès tient à rien. Si on était à la même période que celle où j’ai commencé, avec une ferveur pour la musique énorme, le problème ne se poserait pas. On était beaucoup plus libre. Aujourd’hui, les contraintes sont beaucoup plus rigoureuses. La force énorme, l’influence qu’ont pris les médias font que la fascination pour la musique est bien moindre que ce qu'elle représente. On écoute de moins en moins la musique pour la musique, mais pour ce qu’elle évoque, pour l’effet produit. C’est comme pour l’information, ce qui compte ce n’est pas sa qualité, mais l’effet qu’elle va produire sur le public. Du coup, nous, personnages assez casaniers, secrets, on se retrouve engagés dans un processus qui fait de nous des artisans du grand commerce.

Cette constatation est assez surprenante de la part d’un artiste comme toi qui aux yeux du public, a une certaine latitude de choix, un vrai esprit d’indépendance…
Je me l’impose... Mais sache que je vends beaucoup moins de disques que Cabrel ou Star Academy, pour prendre un exemple récent. J’ai moins de place pour mes disques dans les grandes surfaces qu’il y a vingt ans alors que je trouve que celui-ci est meilleur que ce que j’ai fait par le passé. La raison est simple. Le système de la distribution a changé et maintenant, l’essentiel de la distribution de disques se fait par le biais des grandes surfaces. Celles-ci gèrent leurs stocks de disques comme leurs stocks de yaourts, c’est-à-dire comme des denrées périssables.

Cette situation t’agace, t’exaspère, te fais enrager ?
Je ne sais pas très bien. (silence) Ce qui est sûr c’est que mon sort est dix fois plus enviable que celui de ceux qui débutent dans le métier. Heureusement, j’ai des amis, des gens qui me soutiennent. Je fais des concerts où là, j’ai la preuve de facto que je suis dans le vrai. Mais en même temps, je ne peux pas faire autrement que de constater objectivement la situation. Quand on me dit que je fais partie des "entités de la chanson française" ou des conneries de ce genre, c’est comme si on me collait deux semelles de plombs et qu’on me jetait au fond d’une rivière. T’es foutu tout de suite. C’est figé, tu deviens CharlElie Couture, un point c’est tout. Les gens m’accueillent comme si c’était gagné d’avance, alors qu’il n’y a rien de gagné justement.

Peut-on dire que les dés sont pipés par les maisons de disques, la distribution, les médias ?
Prends l'exemple de la télé... J’adore l’idée de cette association qui s’est constituée dans les lycées et qui dit qu’il faut boycotter la télévision comme on boycotte les Mc Do en n’y allant pas. C’est marrant parce que ça devient presque un acte révolutionnaire.

Est-ce qu’il ne faudrait pas y aller au contraire pour pervertir le système de l’intérieur plutôt que de laisser le champ libre à la vacuité ambiante ?
Non, c’est foutu à ce niveau-là. Tu ne peux pas lutter. Quand José Bové (ndlr : militant de la Confédération paysanne) va faire l’émission d’Ardisson (Tout le monde en parle est diffusée sur la deuxième chaîne française), tout José Bové qu’il soit, l’interview est remontée dans son dos et il se fait phagocyter comme tous les autres. Peut-être qu’il faut entrer dans le système pour le pervertir, mais le problème c’est qu'il est tellement bouclé qu’il t’absorbe comme du sable mouvant.
Jean-Marie Messier, il a du Zebda plein la bouche dans ses interviews alors que je suis certain qu’il n’a jamais écouté leur disque. Mais, comme alibi, c’est génial pour lui ! Et encore, je ne tape pas sur Messier lui-même. C’est trop facile, il est identifiable et tellement médiatisé que c’est le premier exemple qui nous vient à l’esprit quand on parle de la création. C’est la figure de proue du capitalisme aujourd’hui.

Sur l’album, l’un des titres fort est la Violence. Pourquoi ce thème ?
Je crois qu’il y a un phénomène actuel qui est celui du rajeunissement de la violence. Les actes de barbarie qui commencent de plus en plus jeunes, c’est spécifique à notre époque et c’est lié à un autre problème de notre époque qui est celui de la consommation. Des trucs que tout le monde convoite : une paire de pompe, un portable, une bagnole, un organizer. Que sais-je encore ? Des trucs qu’il faut que tu aies. Et si tu ne peux pas les avoir, tu ressens un sentiment d’injustice car tout, autour de toi, est fait pour t’inciter à posséder… La «merco» (Mercedes), la tasspé en string, la Rolex… Il te les faut coûte que coûte. Ce ne sont même pas des actes de violence liés à des opinions politiques ou religieuses, mais aux frustrations elles-mêmes liées à la consommation et au manque suscité.

Une violence et un sentiment de manque qu’on retrouve entre autres dans le rap...
C’est-à-dire, que le rapport des jeunes avec la musique a changé. Ce qu’ils écoutent, ce sont des messages dont on les saoule à longueur de journée. Des messages de trois minutes, des messages flagorneurs, d’angoisse à outrance qui se veulent percutants et qui entraînent la surenchère. Les jeunes puisqu’ils cherchent des messages nouveaux, se tournent vers l’étranger et en particulier vers le seul pays qui les fascine, ou plutôt celui qui a imposé le système binaire, à savoir "soit tu es avec moi, soit tu es contre moi" : les Etats-Unis. Et nous, qui sommes un peuple colonisé culturellement et surtout économiquement, on ferme notre gueule comme les Gaulois la fermaient sous l’empire romain.

Parlez-moi d’amour de Lucienne Boyer qui devient Parle-moi d’amour sur ton album, c’est donc ton acte de résistance d’irréductible Gaulois ?
On peut prendre le message de Parlez-moi d’amour au premier degré car il est cool même si ça peut paraître kitsch ou naïf. Intérieurement, la personne qui chante n’est pas naïve, elle sait bien que c’est du baratin. Mais, ça fait du bien par où ça passe. Quand j’ai écrit "Aime-moi encore, au moins jusqu’au petit matin" c’était la même chose.

Il y a beaucoup de femmes sur cet album dont la rappeuse Bam’s. Comment l’as-tu rencontrée ?
Je l’ai croisée par hasard le jour de la sortie de son album. Elle m’avait dit qu’elle aimait bien ce que je faisais. De mon côté, j’avais été séduit par son rap qui a certaines qualités littéraires. Une intelligence qui changeait des habituelles éructations du genre. Quand j’ai écrit le titre Sang neuf, je me suis demandé si le propos que je voulais faire passer pouvait être perçu. Il fallait donc que je fasse appel à une autre voix, d’une autre génération pour qu’elle le dise d’une autre manière.

Dans cette chanson, il est question de se recharger, se ressourcer. Comment CharlElie s’y prend-il pour se ressourcer ?
(Longue réflexion) Disons que la seule manière de rester vivant, c’est d’accepter l’autocritique. Si tu es trop persuadé de tes vérités, tu capotes. En l’occurrence, il faut garder la foi dans tous les sens du terme et prendre conscience qu’on n’est pas tout seul. La foi ce n’est pas une définition ridicule considérant Dieu comme un personnage extraterrestre, mais plutôt une entité qui flotte à l’intérieur de nous et qui nous relie les uns aux autres. Cela m’aide. Sinon, d’une manière générale, je me saoule de travail. On a besoin d’être ivre. Je suis work’holic... J'essaie d’être le plus réaliste possible. Dans le métier qui est le nôtre, ce n’est pas difficile d’apparaître mais c’est très difficile de ne pas disparaître. Et en ce qui me concerne, c’est plutôt tranquille puisque je joue, j’enregistre, je tourne, j’écris, je peins… Tout va plutôt bien pour moi.

Tu surfes également sur ton site...
Heureusement ! Je reçois des e-mails et ça m’aide à prendre conscience de beaucoup de choses. J’en reçois entre 25 et 30 par jour ! C’est un piège et en même temps, c’est une passion (rires). Je vais sur beaucoup de sites de photographes qui m’envoient d’un site à l’autre. Hier soir, par exemple, je pensais me coucher à minuit et à deux heures du matin j’étais sur un diary (ndlr : journal intime en ligne). Tu te prends au jeu, tu t’intéresses, aux personnages et des fois, c’est vachement bien. C’est du voyeurisme mais pas comme Loft Story. C’était une correspondance entre deux amoureux, ils s’envoyaient des lettres, des photos, c’était saisissant, captivant ! Et finalement, je ne sais même pas si ces deux-là se sont rencontrés… Internet, c’est dix fois plus swing que la télé !

CharlElie 109, V2 Music

Photo de home-page : Martial Lorcet