Laurence Revey joue
La cinquième édition du festival itinérant Les Jeux se déroule depuis le 23 janvier à Genève avant de se poursuivre à Paris dès le 3 février puis à Nantes, Bruxelles et Liège. A cette occasion et avant qu'elle ne se produise le 4 février au Batofar dans la capitale française, nous avons rencontré une des nouvelles venues de la chanson suisse, Laurence Revey. Cette séduisante jeune femme conjugue climats éthérés et danses telluriques à grands coups de vocalises oniriques.
Un elfe helvétique
La cinquième édition du festival itinérant Les Jeux se déroule depuis le 23 janvier à Genève avant de se poursuivre à Paris dès le 3 février puis à Nantes, Bruxelles et Liège. A cette occasion et avant qu'elle ne se produise le 4 février au Batofar dans la capitale française, nous avons rencontré une des nouvelles venues de la chanson suisse, Laurence Revey. Cette séduisante jeune femme conjugue climats éthérés et danses telluriques à grands coups de vocalises oniriques.
Dès les premières notes de ce Creux des fées, on est saisi par le pouvoir de fascination, quasiment d'envoûtement de sa voix. En ce temps du Seigneur des anneaux, Laurence Revey pourrait être la sœur de Galadriel, la fameuse reine des Elfes qui hypnotise Frodo. Comme un chant de sirène, mi-Zap Mama, mi-Kate Bush, Laurence Revey brode un disque de dentelles vocales envoûtantes.
Cette artiste suisse, que rien ne prédestinait à la carrière de chanteuse, étudia d'abord le théâtre au studio 34 et au Cours américain à Paris. "Ce n'était pas un parcours évident de choisir la musique. Je l'ai fait de manière totalement instinctive et intuitive. Je n'étais pas du tout dans un milieu familial artistique et musical. C'est le théâtre qui m'a rattrapé. J'ai fait une ou deux expériences de chœurs dans des groupes ethniques, dans des formations greco-albanaise ou africaine. J'ai fait une dizaine de concerts pour un artiste suisse qui s'appelle Eric Kube".
Mais la vocation lui vint plus tard, grâce au contact de différentes cultures lors de ses séjours parisiens où, paradoxalement, elle prend conscience de l'importance de ses propres origines. "Cela n'était qu'un puzzle multiracial, multiculturel et dans ce puzzle j'avais, moi, toute une partie de ma propre culture que je connaissais mal et qui m'avait presque échappée. Chez nous aussi il y a des sorciers, des guérisseurs et en fait tout cela est universel, ce n'est pas propre à ma culture. Simplement, moi, je l'ai redécouvert".
C'est alors que Laurence Revey se souvient d'une jeunesse passée dans les montagnes suisses avec sa grand-mère. "Elle vivait comme au siècle dernier. C'était très particulier car je ne comprenais pas très bien son monde. C'était un code culturel et un code de vie complètement différents du mien. C'était aussi particulier pour moi de vivre avec elle dans ces montagnes, que si on m'avait envoyé au fin fond du Pérou ou en Chine, un dépaysement total ! Elle allait toujours aller chercher l'eau à la fontaine et elle gardait ses vaches. Elle portait le costume des femmes du début du siècle. C'était dans les années 80 où tout le monde passait à la modernité alors qu'elle ne le voulait pas. Et donc elle parlait patois, une langue que je ne connaissais pas et qui s'est perdue avec sa génération. Une langue de mystère dont les racines sont franco-provençales. Je ne la parle toujours pas. Mais par la suite, je suis allée voir un vieux monsieur, André Pont, en insistant pour qu'il me prête son vocabulaire que je ne possédais plus pour qu'on écrive une chanson sur un thème et une mélodie que j'avais en tête. Je ne voulais absolument pas refaire un chant traditionnel mais quelque chose d'original. On a fait deux titres ensemble".
De 1992 à 1997, Laurence Revey tourne, rencontre, échange avec des compatriotes versés dans ce patois si austère et sibyllin. "Je l'ai utilisé pour parler de l'âme et de l'émotion alors que le patois n'est pas du tout à l'origine prévu pour cela, mais pour parler de choses concrètes et quotidiennes. C'est une langue de tradition orale. Il y a du vocabulaire qui manque quand il s'agit de parler des choses de l'âme, d'amour ou d'émotion".
Un premier disque sort en 1997 : Derrière le miroir. Laurence fait les premières parties de Sting ou Lavilliers et multiplie les festivals. Elle collabore avec le producteur Chris Birkett (Sinead O'Connor, Talking Heads) et Hector Zazou l'invite à participer à son propre spectacle Lights in the dark sur le thème des musiques irlandaises.
Puis en 1998, Laurence Revey retrouve un ami d'enfance, Joël Nendaz qui lui écrit des paroles en patois. Une rencontre enrichie également par le don que lui fait Isabelle Raboud, une ethnomusicologue qui travaille pour les Archives Suisses de la Chanson Populaire. "J'ai eu dans les mains des bandes transmises par Isabelle qui m'a dit : surtout, ne respectez pas ces chants !. La musique traditionnelle n'existe pas, ceux qui ont enregistré cette musique, l'ont enregistré il y a un demi-siècle, à l'âge de vingt ans. Et leurs enfants à qui ils l'ont transmise oralement n'avaient pas du tout envie de chanter les "chansons à papa". Un peu comme, nous, aujourd'hui nous refusons ou nous voulons autre chose que la chanson de nos parents. Et donc, la tradition a été transmise mais en la détournant ou en s'inspirant de chansons d'ailleurs. Comme nous on se tourne vers le rock américain ou la pop anglaise. Elle m'a donc dit de détourner ces chansons, de les transformer, de les "batardiser" pour employer un néologisme".
Pour fuir l'orthodoxie de cette tradition de toute façon aléatoire, Laurence Revey a donc fait appel à quelques-uns des meilleurs remixeurs du moment : les Islandais de Gus Gus, les Anglais du Transglobal Underground, un pianiste norvégien Bugge Wesseltoft ou le contrebassiste suisse Mich Gerber. Ce qui nous vaut un album mixte débutant par un dépouillement séduisant où Laurence Revey reprend des chants païens et valaisans comme Allélouya : "Alléluia, les choux sont gras/ sont pas pour nous/ sont pour l'épiscopat". La guerre en prend un coup sur le bec également avec, cette fois, un chant français traditionnel Brave Soldat où l'on découvre une Laurence Revey fan de Malicorne (groupe folk des années 70) puisqu'elle y chante en duo avec Gabriel Yacoub. "La seule condition pour sa participation était que l'arrangement lui plaise". Un arrangement à deux voix qui plaira certainement à beaucoup d'autres.
L'autre partie du disque correspond donc à des remix où une Pastourelle (dialogue moyenâgeux entre une bergère et un chevalier) prend un tour nettement techno. On gage que les tourtereaux médiévaux se retrouveront sur le dance floor..."J'avais envie que tout ce travail soit ancré dans un contexte actuel et dans la modernité explique, Laurence Revey. Je ne fais pas un travail ancestral pour moi. C'est plus un travail introspectif sur mes origines mais tourné vers une certaine modernité". Une introspection qui plongera l'auditeur dans un monde féerique. De quoi inciter chacun à retourner au creux de ses origines.
Laurence Revey Le creux des fées (Muve / Naïve) 2000