Croisille brille encore

Alors que Nicole Croisille joue les prolongations au Théâtre de Dix heures jusqu'au 8 février à Paris, la chanteuse dont les concerts affichent complet depuis deux mois déjà, présente aujourd'hui son Best of, plus de 35 ans compilés dans un disque. Un piano (Aldo Franck, le complice de toujours), des percussions, et voilà une vie de chansons rhabillée et une interprète à nouveau sous les feux de la rampe.

La chanteuse est de retour sur scène

Alors que Nicole Croisille joue les prolongations au Théâtre de Dix heures jusqu'au 8 février à Paris, la chanteuse dont les concerts affichent complet depuis deux mois déjà, présente aujourd'hui son Best of, plus de 35 ans compilés dans un disque. Un piano (Aldo Franck, le complice de toujours), des percussions, et voilà une vie de chansons rhabillée et une interprète à nouveau sous les feux de la rampe.

Mais où étiez-vous passée Nicolle Croisille ? Voilà près de dix ans que l'on ne vous avait plus revue dans les médias ?
C'est vrai qu'ils m'ont passablement ignorée depuis une décennie. Pourtant j'étais là. Je faisais des téléfilms, je travaillais en tant que comédienne, je tenais des rôles dans des pièces de théâtre.

Vous aviez envie de prendre du repos par rapport à la musique ?
Pas vraiment, j'avais fait des maquettes mais les maisons de disques n'en voulaient pas. Et j'ai préféré refuser les compilations pendant un certain temps parce que je savais qu'il fallait créer une demande… La dernière datait d'il y a quatre ans. Sur celle qui vient de sortir, il y a deux nouveaux titres et des anciens qui ne figuraient pas sur la précédente.

N'auriez-vous pas préféré défendre de nouvelles chansons ?
En réalité, j'aurai voulu faire les deux ! Alors bien entendu, on peut toujours rêver en se disant que si cette compilation marche très bien, la maison de disques aura accès à un budget pour enregistrer de nouvelles chansons. Mais ce sont des projections, il n'y a absolument rien de sûr. C'est la loi de l'industrie. En même temps, l'accueil chez Universal a été très respectueux, très chaleureux et très admiratif. J'en suis même tombée des nues ! Quand je suis entrée dans les bureaux d'ULM, j'ai rencontré trois jeunes gens qui pouvaient être mes fils, avec une considération incroyable à mon égard. Je n'avais pas l'habitude de cela ! Moi je continuais à vivre dans un milieu où on se tape gentiment dans le dos, à tort ou à raison, avec franchise ou pas, avec souvent beaucoup d'hypocrisie. Alors cela m'a touchée et plein de bonheurs se sont ainsi succédés : la maison Universal m'accueille, le directeur du Théâtre de Dix heures m'envoie un fax… Bref, il y a eu tous ces signes. Il faut toujours être à l'affût des choses qui se présentent et ne pas les laisser filer parce qu'on a cligné des yeux au moment où elles passaient. Il y a des choses et des gens qui passent très vite, que l'on peut rater à vie. On peut ne plus jamais les rencontrer.

"Pendant qu'on espère, combien de choses meurent, combien d'oiseaux on perd, à regarder ailleurs". C'est bel et bien ce que vous chantez dans Au revoir et merci ?
Jean-Lou Dabadie a vu très juste dans ce texte. A l'époque, j'avais déjà ramé pendant 15 ans. J'avais envie de dire aux gens que cela a été long et dur. Mais je n'avais pas envie de les faire pleurer pour autant… Dit mais digne ! C'est vrai que le chemin a été très long : je suis arrivée à l'Olympia à 40 ans ! J'ai fait par deux fois cette salle mythique. C'est ça aussi, je me suis dit : l'Olympia je l'ai fait, le Théâtre des Champs-Elysées je l'ai fait, le Zénith je n'ai pas envie… J'ai horreur des usines ! Si j'étais Mylène Farmer avec son âge, sa forme, son envie de faire des grands spectacles, j'irais bien sûr ! Donc, vous voyez, la taille du Théâtre de Dix heures me convenait parfaitement. Et puis j'avais envie d'aller chercher le suc de chaque chanson : Qui est cette femme qui parle ? Que lui est-il arrivé ? Que lui arrive t'il ?

En effet, vous revisitez totalement tous vos succès… De Une femme avec toi, à Emma, la Garonne, … Tous sans exception sont arrangés de façon dépouillée, interprétés de manière nouvelle… Ce sont d'ailleurs vos talents de comédienne qui entrent beaucoup en jeu…
Absolument, j'y tenais beaucoup ! Il faut dire qu'au début de ma vie j'étais partie pour être à la fois comédienne, danseuse et chanteuse et faire des comédies musicales. Ce n'était pas le bon moment, j'avais 40 ans d'avance, maintenant on le sait ! Mais du coup, j'avais démarré un certain travail.. Par exemple, au moment où l'on me connaissait pour chanter Un homme et une femme, j'étais en même temps la doublure de Zizi Jeanmaire pour la pièce La Dame de chez Maxim de Feydeau. Je jouais d'ailleurs certaines matinales… J'étais déjà totalement ambivalente. Mais la chanson a décollé, et quand ça arrive, quand le public vous choisit, on ne lutte pas !

Seriez-vous en train de dire que vous êtes chanteuse par accident ?
Non, parce que j'ai franchement insisté les années suivantes. Mais c'est vrai qu'au départ je n'avais pas choisi de chanter. J'avais envie de faire du tour de chant, mais pour moi ce n'était pas exclusif. En réalité, je n'ai jamais eu d'envie exclusive, hormis la danse quand j'étais toute petite. Je me suis rendue compte en grandissant que ce que je désirais vraiment était de monter sur une scène devant des gens et de leur procurer des choses. C'était complètement égotiste... On a besoin de savoir si l'on vaut quelque chose, on a besoin d'entendre dire qu'on nous aime, on a très souvent un gros manque affectif (pas forcément dû à la famille mais il se trouve que je suis fille unique).

Sur scène vous êtes à la fois "vieille école" et très moderne, mais vous n'êtes jamais pathétique…
Parce que je n'ai pas encore 80 ans (je n'en ai que 66) ! Mais surtout parce que je suis toujours en quête de quelque chose. Mon corps vieillit, je suis bien obligée de m'en apercevoir parce qu'il me joue des tours monstrueux. Il faut que je tienne compte de la machine que j'ai dans les mains… Elle est moins performante qu'avant, demande plus de temps de récupération. Depuis que j'ai commencé le spectacle je ne sors plus le soir, je ne bois plus une seule goutte d'alcool, je ne vais plus manger avec mes copains après.

Avant de commencer cette série de spectacle que craigniez-vous le plus ?
De paraître ou d'être élitiste. L'endroit est tout petit. Du coup le travail est en finesse, en dentelle…J'ai demandé à ce que l'on me dise toujours quand je dépasse la frontière du trop artificiel ou sophistiqué. En même temps, comment voulez-vous faire ? Une chanson comme Emma par exemple ! Je sens difficilement la possibilité de la faire passer avec la force qu'elle peut avoir en trois couplets ! Emma se tue au troisième quand même ! Au premier elle s'emmerde, au second elle est séduite et au troisième elle meurt ! Alors je la parle-chante, pour qu'elle entre dans cet endroit tout petit…

Dans votre tour de chant, la comédie musicale est présente. Tout d'abord par un medley de West Side Story, ensuite par le Blues du businessman de Starmania.
Le nombre de gens qui sont persuadés que cette chanson fait partie de mon répertoire est incroyable ! C'est la première chanson qui leur vient à l'esprit quand on leur dit "Nicole Croisille" ! Même le spot TV me concernant commence par ça ! C'est ahurissant ! Cela m'a choquée. J'ai enregistré ce morceau en 1985 pour le film Itinéraire d'un enfant gâté. Que Claude Lelouch en ait eu besoin parce qu'elle définissait exactement ce qu'il voulait, c'est une chose. Que l'on pense que cette chanson est la bande originale de ce film et qu'elle fait partie de mon répertoire, ça non ! Si Michel Berger était encore parmi nous, il aurait depuis longtemps téléphoné pour dire ce qu'il en pensait !

Alors pourquoi l'avoir mise si elle vous colle à la peau à ce point-là ?
Parce que les gens la réclament de toute façon. Quand on a fait la tournée piano-voix où on le public choisissait le programme, elle arrivait la plupart du temps avant même Une femme avec toi ou Quand nous n'aurons que la tendresse. Et puis Aldo Franck voulait que l'on mette le medley de West Side Story et j'étais d'accord avec cette idée : je voulais présenter un best of, certes, mais surtout mon best of. Les comédies musicales en faisaient donc automatiquement partie. A partir de là, il nous paraissait important de maintenir l'équilibre avec une comédie française…

Présenter votre compilation, c'est donc aussi raconter votre histoire. Ceci explique t'il pourquoi vous parlez beaucoup pendant le spectacle ?
Oui, et encore, si vous saviez à quel point j'ai réduit ! Le fait que cela soit une toute petite salle n'arrange rien. Je vois très bien les gens, je les entends. Et puis, je suis cabotine. Dans ce métier, on l'est tous au moins un peu. Alors quand on arrive à ce degré d'intimité et de complicité avec les gens, c'est dur de ne pas se laisser aller. Je pourrais facilement faire dix minutes de plus rien que de parlotte mais ce que j'ai à dire n'est pas toujours intéressant !

Après le Théâtre de Dix heures, les dates s'enchaînent, les galas sont déjà prévus. N'avez-vous jamais eu envie de vous arrêter ?
Si, l'an dernier. Je déprimais. Je n'avais pas la certitude que j'avais encore une place à tenir, qu'il y avait des gens qui avaient encore envie. J'avais l'impression que le métier était en train de broyer toute ma génération. Et puis je n'étais pas bien, j'avais dû subir plusieurs opérations. J'étais carrément handicapée, je ne pouvais pas marcher. Quand vous faites face à tout cela, vous vous arrêtez un certain temps. La rééducation est longue et lente, puis il faut faire face à la réalité : cela ne fonctionnera plus jamais comme avant. Donc j'étais minée, je ne voyais pas l'utilité de raccrocher sans arrêt à la force du poignet. Il fallait que j'aie une preuve que ce n'était pas le moment de tout arrêter, de fermer la porte et de faire autre chose. Aujourd'hui les preuves ne manquent pas et je n'ai aucun regret !