N'Java, les enfants de Découvertes

Maximin, Dozzy, Pata, Monika et Lala sont frères et sœurs, et N’Java, le nom de leur père signifie soleil en malgache. En 1992 , le groupe a remporté le Prix Média du concours DécouvertesRFI, et grâce à la radio mondiale, les N’Java ont pu s’installer à Bruxelles pour y vivre et inventer leur musique. Entre futurisme et tradition, N’Java incarne toute l’âme de Madagascar.

Entre futurisme et tradition

Maximin, Dozzy, Pata, Monika et Lala sont frères et sœurs, et N’Java, le nom de leur père signifie soleil en malgache. En 1992 , le groupe a remporté le Prix Média du concours DécouvertesRFI, et grâce à la radio mondiale, les N’Java ont pu s’installer à Bruxelles pour y vivre et inventer leur musique. Entre futurisme et tradition, N’Java incarne toute l’âme de Madagascar.

Cinq ans après la sortie de leur premier album sur le label londonien Hémisphere, voici Source, le second opus du groupe malgache qui a été une des révélations des dernières Transmusicales de Rennes. Aux croisements des influences conjuguées de l’Afrique et de l’Orient, le style N’Java se distingue par ses somptueuses polyphonies électrisées et la transe d’un rythme saccadé. A certains moments leur musique sonne presque trip-hop, comme le second morceau, l’hypnotique Sikaky’s Jive , à d’autres, on est plongé dans un afro-folk incantatoire comme dans Androy Wave. N’Java a inventé ses propres instruments, guitare, basse et percussions pour produire une musique malgache qui ne ressemble décidément à aucune autre au monde.

RFI Musique : Comment s’est déterminé ce choix de travailler en famille, puisque vous êtes tous frères et sœurs ?
Monika : Papa était comédien, maman chanteuse. Dans la maison, la musique ne s’arrêtait jamais. N’Java est une histoire familiale. Ce sont des artistes qui se suivent de génération en génération, car les N’Java que vous avez devant vous sont en fait la seconde génération de N’Java ; le groupe existait il y a vingt ans déjà à Madagascar. Et nous sommes les benjamins de cette famille très nombreuse, de quinze enfants avec le même père et la même mère !

Votre musique a un son très personnel, qui n’existe nulle part au monde. Est-ce qu’elle porte un nom particulier ?
Maximin :
Dans la région où nous avons grandi on l’appelle le jihe , mais surtout il y a nos influences personnelles, ce que nous avons pu entendre à la radio plus la musique traditionnelle. Et c’est ce mélange qui crée notre son . En fait, on y met autant de tradition que de modernité et ce cocktail, notre propre fusion, c’est N’Java.
Monika : Inspiré par le village où nous avons vécu toute notre enfance, ce style vocal est basé sur deux voix parallèles. Ce sont deux "lead" qui chantent et se suivent avec cette particularité : nous on se serre la gorge en chantant et cela donne un tout autre son. Ce sont nos grands-parents qui nous ont inculqué cette manière de chanter. Cela donne ce son très spécial, que tu as pu entendre sur l’album Source .
Lala : Les styles vocaux que nous utilisons dans N’Java sont inspirés par des traditions originaires de l’ouest et du sud de Madagascar que nous avons mélangé pour créer notre propre son.

Pour préserver votre culture et votre personnalité vous avez choisi de chanter en malgache ?
Lala :
On a voulu garder notre langue. Moi je suis la « lead vocal », c’était difficile pour moi de conserver ce timbre si particulier si je chantais en français ou en anglais. C’est possible bien sûr, mais nous avons choisi le malgache car cette musique est peu connue ici en Europe, alors pourquoi ne pas commencer ainsi pour les initier?
Monika : Cinq ans de travail pour ce résultat, pour trouver le timbre exact…et surtout le son de la guitare de mon frère qui vient d’un instrument traditionnel qui s’appelle le marovany et qui est réglé en open-tuning. On chante en polyphonie comme les tuva et il y a le linche, une sorte de respiration…

...qui ressemble aux tyroliennes ?
Monika : Oui tout à fait avec un très léger son oriental. Car la partie nord de l’île est majoritairement musulmane. Il ne faut jamais oublier que Madagascar est très métissée avec un très fort héritage arabo-malgache, ce qui explique notre mélange de sons. Notre musique baigne dans l’Orient, mais aussi dans l’Asie et l’Afrique, puisque certains sons s’apparentent au mbaqanga zoulou ; c’est un ensemble.

Il faut aussi parler des instruments que vous utilisez, qui sont assez hétéroclites, aussi bien les cordes que les percus ?
Maximin : Au niveau percussion, nous avons inventé des instruments car en fait Madagascar n’est pas très riche de ce côté . Notre percussionniste Pata a donc inventé tout un set de percussions, en utilisant des trucs récupérés à droite et à gauche. A Madagascar, auparavant, on ne connaissait pas les congas, ils sont venus tout droit d’Amérique du sud dans les années 70. Nous on les utilisait d’une autre manière, nous avions surtout des tambours ou des katsa une sorte de hochet dont nous jouons différemment ; cela sonne comme le shaker mais on le fabrique nous-mêmes avec des boites de conserve, comme lorsque nous étions gamins au village. Et c’est Lala qui en joue sur scène.

Dans le thèmes des chansons, comme Victim Of Tradition , qui dénonce la mort d’enfant jumeaux abandonnés sur un lac par pure superstition, vous attaquez aussi les éléments les plus archaïques de votre culture.
Monika : Hélas oui, c’est notre bataille, c’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’évoquer ce thème terrible, car en 2002, des choses comme cela ne doivent plus exister. Cela ne se passe pas sur toute l’île, mais dans une seule région, en espérant que tout le monde va comprendre.

On dirait la légende de Romulus et Remus, abandonnés sur le Tibre ou encore Moïse, des histoires vieilles de milliers d’années…Comment une chose pareille est-elle encore possible à notre époque ?
Monika :
Oui, je peux vous dire que cela existe encore. Si les deux bébés naissent lors de la pleine lune, les gens du village se réunissent, décrètent que l’un des jumeaux va apporter le malheur sur le village et l’abandonnent au bord du lac. Cette chanson, c’est aussi pour rendre hommage à toutes les mamans qui souffrent encore de ce traitement inhumain. Pour que le peuple malgache réagisse, pour que les gens du village changent leur mentalité, tout ce qu’on peut faire c’est le dénoncer !

De même, je n’avais pas conscience du danger d’extinction des lémuriens que vous évoquez dans votre chanson Sikaky’s Jive ?
Lala :
On respecte beaucoup ces animaux si particuliers à cause d’une légende qui dit que les lémuriens sont des ancêtres « wawawa » comme on dit en malgache, des grands- pères, et nous voudrions que nos enfants puissent encore savoir ce qu’est un lémurien. Qu’ils ne disparaissent pas, car les gens brûlent la fôret à cause de la famine pour pouvoir cultiver la terre. Et les politiciens ne font rien pour la défense de ces animaux. Cet animal est notre symbole, il représente cette petite richesse malgache que nous devons préserver, c’est aussi le message de la chanson.

Tu as prononcé le mot politicien. Vous les évoquez aussi dans la dernière chanson Mavandy ? Comment réagissez vous aux évènements actuels qui agitent Madagascar ?
Monika :
On le vit très mal. Nous sommes vraiment tristes que l’on en arrive là. Tout le monde sait maintenant pourquoi le peuple manifeste, à cause des problèmes du second tour de l’élection présidentielle. Mais ce que nous souhaitons surtout c’est qu’il n’y ait pas cette division, cette guerre ethnique. Qui que ce soit accède au pouvoir, l’ancien président ou le nouveau, tout ce que l’on souhaite, c’est l’unité, qu’il n’y ait ni bagarre, ni bain de sang avec un million de personnes dans les rues de la capitale…

A chaque fois vos textes touchent là où cela fait mal dans la société malgache. Les thèmes que vous abordez sont ceux d'un passé que vous souhaitez voir évoluer avec une musique qui incarne l’avenir ?
Maximum : n’ont rien à voir avec notre musique. Pour que notre message passe mieux, nous avons choisi une musique ouverte. Si nous avions collé ces textes sur une musique traditionnelle, très peu de gens auraient pu comprendre. Là au moins les gens sont d’abord attiré par ce son un peu différent et ensuite ils peuvent rentrer dans les thèmes évoqués par les textes. Avec une musique traditionnelle, nos idées neuves partiraient directement au musée.

N’Java Source  (Hémisphere/dist. EMI)