Julien Lourau
The Rise, le nouveau Julien "latino" Lourau, est arrivé. Mature, le saxophoniste signe un album personnel, sensuel et joyeux, imaginé sur les routes sud-américaines de sa précédente tournée et dédié à son père récemment "monté au ciel".
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The Rise, le nouveau Julien "latino" Lourau, est arrivé. Mature, le saxophoniste signe un album personnel, sensuel et joyeux, imaginé sur les routes sud-américaines de sa précédente tournée et dédié à son père récemment "monté au ciel".
En dix ans, il est devenu en jazz, ce qu'on appelle une "pointure". Après l'explosif Groove Gang (mélange de free et de funk) et son projet électronique Gambit, Julien Lourau nous revient cette fois en version acoustique, histoire de nous rappeler qu'il est autant musicien qu'initiateur de projets. Rencontre autour d'un café chaud dans le froid de l'hiver parisien.
Ton instrument est très présent sur cet album acoustique ?
C'est vrai que j'ai voulu mettre l'accent sur le sax ténor. Je lui trouve une place plus facilement dans ce genre de contexte que dans un contexte électrique ou électronique où je l'avais utilisé un peu à contre emploi. Je jouais plutôt de l'alto parce que son punch s'adapte mieux aux musiques électriques. J'ai donc retravaillé le ténor. Tu parlais du son. Effectivement j'ai essayé de prendre mes appuis plus bas en terme de colonne d'air, de prendre appui plus bas dans le ventre pour que ça monte plus haut.
Pour la première fois, tu livres un album intime et personnel, avec même un extrait de ton journal intime dans le livret
Oui, c'est vrai, d'ailleurs j'ai voulu ce texte (dans lequel il évoque son père disparu, ndlr) pour expliquer un peu d'où ça m'était venu, pour décrire l'ambiance, le mood (l'humeur, ndlr) général des deux dernières années que je viens de vivre.
Le titre de l'album, The Rise, est-il une allusion à la mort de ton père ?
Oui, c'est ce que j'explique dans le texte, The Rise, c'est la notion d'élévation. C'est lié à cette idée qu'il monte au ciel, à l'anecdote que je raconte dans le disque, du brouillard et de ce que ça peut comporter d'angoissant et d'onirique à la fois.
Et pourtant, tu n'as pas écrit un album mélancolique ?
Non, je n'ai pas voulu faire un album triste, je n'ai pas voulu faire un requiem. J'ai cherché l'espérance dans ces mélodies parce qu'elle rejoint l'idée d'ouverture et d'élévation. Je ne veux pas de cette mélancolie qui te tasse dans ton fauteuil et qui te fait verser ta larme nécessairement. Effectivement, c'est un moyen de sublimer ses émotions.
Ta tournée Gambit à travers l'Amérique latine en 1999 était-elle aussi une source d'émotion ?
Oui, ce n'était pas du tourisme ! On a vu essentiellement les capitales. Dix personnes sur la route, ensemble, l'énergie était très forte et avec la fatigue, on finissait par être dans un état second. C'était une espèce de fuite en avant.
Quelles y ont été les rencontres importantes ?
Ce ne sont pas forcément des rencontres musicales, rencontrer des musiciens, prendre leur numéro de téléphone, les rappeler après…, c'est aussi voir les choses dans leur contexte. Je suis en Amérique du Sud, j'entends de la musique latino-américaine dans un bus, dans une salle ou dans un restaurant, et ça me fait rentrer en contact direct avec tel ou tel idiome musical. Ce sont des impressions qu'un artiste peut en ressortir.
Qu'est-ce qui s'est passé à ton retour ?
Il y a eu un voyage intérieur parce que j'ai passé un an à Rambouillet dans la maison de mon père où j'ai grandi. J'ai tenu à y passer un moment avant de la vendre parce que je ne pouvais pas la garder, elle était trop grande et il y avait trop de travaux à faire. Ça m'a rappelé des souvenirs d'adolescence. Tu peux travailler ta musique quand tu veux, aller faire un tour en forêt, te changer les idées. C'est un autre quotidien que le quotidien à Paris où on enchaîne les rendez-vous, où on voit débarquer les voisins tout rouges parce qu'ils en ont marre de m'entendre faire mes gammes, où on finit par appeler un studio pour pouvoir répéter.
Sur cet album, tu signes huit compositions originales sur les onze morceaux.
Oui, je me suis fait plaisir. J'avais envie depuis longtemps d'enregistrer un traditionnel espagnol. Anda, Jaléo, c'est une vieille chanson qui a été reprise pendant la guerre civile. Plus un boléro cubain emmené par Elvita dans la partie argentine de l'album, et puis le blues de Boyan Z pour terminer l'album.
En ce qui concerne les rythmiques argentines, tu es en pleine complicité avec Minino Garay. Tu as presque adouci son style !
De toute façon, Minino est un musicien très sensible qui sait très bien s'adapter à la musique qu'on lui propose. C'est vrai que c'est une vieille histoire entre nous maintenant, naturellement, c'est lui qui a fait le casting des musiciens latins dans le disque.
L'autre pendant de The Rise, c'est une autre section rythmique avec Henri Texier à la contrebasse, Ari Hoening à la batterie et Boyan Zulfikarpasic au piano ?
Oui, et puis deux morceaux avec un autre batteur, Maxime Zampieri et un autre contrebassiste, Fred Chiffoleau, pour une rythmique plus verte, plus jeune, mais intéressante.
Tu avais été convié par le contrebassiste Henri Texier, et cette fois c'est toi qui l'invite ?
Le jazz, c'est une musique de tradition orale, on a beau étudier dans les écoles, il faut rencontrer les aînés. Henri m'a raconté tellement d'histoires. C'est dans le contact qu'on apprend, dans la discussion, en jouant ensemble. C'était aussi l'occasion de lui renvoyer la balle parce qu'il m'a employé dans pas mal de ses projets. Et puis, je trouvais intéressant qu'il vienne à son tour dans un projet qui émanait de moi, dans ma musique, parce que je pensais que la teneur lui correspondait aussi. Il fallait que je trouve la meilleure section rythmique pour jouer tel ou tel morceau, je n'ai pas pensé en terme de groupe. Il fallait enregistrer cette musique le mieux possible.
Et la voix d'Elvita ?
C'est Minino qui a suggéré un boléro, et le boléro c'est vraiment l'équivalent de la ballade dans le jazz. C'est la ballade jazz d'Amérique du Sud et moi, j'ai joué comme si j'accompagnais une chanteuse sur You Don't Know What Love Is ou un standard de jazz. Ça ne représentait aucun effort particulier de ma part. Ce sont des sérénades. En Argentine, ça se passe sous la fenêtre de la jeune fille. Trois guitaristes lui chantent des boléros. Celui-ci date de 1946. Contiguo en la distancia, c'est une histoire d'amour ! L'important, c'est plus l'ambiance. Elvita est une super musicienne vénézuélienne !
Ce disque n'est-il pas moins le projet d'un groupe, comme tu l'as déjà fait avec le Groove Gang, que celui de ton écriture et de ta mise en scène des compositions ?
Oui, exactement. C'est vrai qu'à l'époque du Groove Gang, j'écrivais plus en pensant aux personnalités qui le composait, à l'instrumentation qui était particulière aussi, effectivement, t'as tout compris!
Tu as joué récemment au New Morning ? Que représente cette salle pour toi ?
A Paris, c'est la salle qui signifie le plus de choses pour moi parce qu'on y sent les esprits des grands anciens rôdent toujours : Archie shepp dans les années 90, John Zorn, Bill Frisell… C'est un endroit où je me suis fait ma culture musicale, et c'est vrai que ce n'est pas comme ailleurs. Quand j'y joue, il y a toujours un petit pincement au cœur, un petit trac, un petit truc. A New York, il ya la Knitting Factory, le Blue Note qui est un endroit mythique aussi, mais ce n'est pas forcément le plus chaleureux !
Valérie Nivelon
Photo de homepage : Pierre René-Worms
Julien Lourau / The Rise (Label Bleu 2002)