Tiken Jah Fakoly

Pour Françafrique son premier album international, enregistré à Kingston avec le gotha de la "reggaetude", le tumultueux rasta ivoirien Tiken Jah Fakoly revisite ses plus grands succès et nous offre quelques nouvelles et irrésistibles compositions. Au-delà de la réussite d'un authentique reggae africain, le pouvoir de Tiken se manifeste dans la puissance de ses textes qui n'épargnent ni le mondialisme cupide ni les politiciens. Reggae fantassin rebelle, à 33 ans, Tiken Jah Fakoly projette en "vert, jaune et rouge" toutes les couleurs de l'espoir pour la jeunesse d'Afrique.

Reggae fantassin rebelle

Pour Françafrique son premier album international, enregistré à Kingston avec le gotha de la "reggaetude", le tumultueux rasta ivoirien Tiken Jah Fakoly revisite ses plus grands succès et nous offre quelques nouvelles et irrésistibles compositions. Au-delà de la réussite d'un authentique reggae africain, le pouvoir de Tiken se manifeste dans la puissance de ses textes qui n'épargnent ni le mondialisme cupide ni les politiciens. Reggae fantassin rebelle, à 33 ans, Tiken Jah Fakoly projette en "vert, jaune et rouge" toutes les couleurs de l'espoir pour la jeunesse d'Afrique.

Petit, Tiken écoutait déjà du reggae. Il portait un jean sous sa blouse avec "Jah" inscrit sur toutes ses poches. Et lorsque le maître s'absentait, il lui disait : "Jah vient parler un peu de ton reggae en attendant que j'arrive." Car lorsqu'il racontait Marley devant les autres écoliers, tout le monde l'écoutait et il n'y avait jamais de chahut. Plus tard, c'est Marley évidemment qui l'a le plus influencé car le musicien jamaïcain défendait dans ses chansons, toutes les victimes d'injustices dans son pays. Avec Toots, U-Roy et tant de héros comme Dennis Brown, il a participé à allumer le feu sacré en lui. Comme Burning Spear qui évoquait sans cesse l'Histoire de l'Afrique à travers ses morceaux. Mais Tiken Jah Fakoly aimait aussi bouger sur les danses nigériennes de ce vieil artiste Rocafil Jazz qu'on appelait aussi Prince Nico Mbarga.

En 82, lorsque son compatriote Alpha Blondy publie son premier album Jah Glory avec le tube Brigadier Sabary, Tiken se dit : "pourquoi pas moi…puisqu'il chante en malinke et en français". C'est alors que son rêve rasta commence à se réaliser. Son premier disque en 93 sera occulté par le décès de Félix Houphouët-Boigny, premier président de la République de Côte d'Ivoire et les trois mois de deuil national décrétés. Son second en 94 passe lui aussi à la trappe, mais Tiken va enfin s'imposer avec son fulgurant Mangercratie, avant de trouver une distribution internationale.

L'album qu'il présente aujourd'hui Françafrique, chanté en français, en anglais mais aussi dans sa langue maternelle le malinké, résume ses aventures. C'est une collection de ses chansons pour tous ceux, nombreux, qui n'ont pas connu ses premiers albums. Mais la grande différence réside dans le fait que tout a été intégralement réenregistré à Kingston, au légendaire studio Tuff Gong de Marley avec une formation de rêve sous la houlette de l'ancien Wailers, Tyrone Downie : Sly Dunbar (batterie), son complice Robbie Shakespeare (basse) et Earl "China" Smith, sans oublier U-Roy en invité de marque. Rencontre.

Parlons un peu de ce reggae africain dont les champions ont longtemps été ton compatriote Alpha Blondy et le Sud-Africain Lucky Dube. Ne les considères-tu pas comme des grands frères ?
Alpha Blondy sera toujours mon aîné, le précurseur du reggae en Côte d'Ivoire et dans la sous-région africaine. Lucky Dube aussi, même s'il est venu après Alpha, mais je pense qu'il a mené un combat important avant la fin de l'apartheid. J'ai toujours eu un respect profond pour ces deux musiciens. Et je pense que si pour moi, cela commence aujourd'hui à décoller, c'est bien parce qu'ils ont existé.

Pourquoi cet amour particulier du reggae en Afrique ?
Je pense simplement que le reggae a commencé à dire des choses que les autres musiques ne disaient pas. En Afrique, les musiciens sont considérés à la base comme des griots, donc des gens qui viennent chanter les louanges des hommes politiques, des nantis. Mais les reggaemen sont arrivés et ils ont osé s'exprimer en toute liberté, chantant tout ce que les autres chanteurs n'avaient pas l'habitude de dire.

Alpha a pourtant entonné son Jah Houphouët !
Bien sûr. Mais quand tu écoutes Jah Glory ou Brigadier Sabary c'était le bon Alpha Blondy, celui qui nous a ouvert la voie. Effectivement, lorsqu'il a commencé à chanter "Jah Houphouët est un rastaman" et qu'il s'est rangé du côté du pouvoir, cela m'a vraiment choqué, comme toute la jeunesse africaine. Maintenant qu'Houphouët est mort, je crois qu'Alpha a tourné la page.

Ta chanson Le pays va mal est d'une efficacité assassine...

La Côte d'Ivoire va mal, comme tant de pays africains à cause de querelles inutiles. Je ne comprends pas comment dans un pays comme le nôtre, on puisse parler de "nationalité" ou de "nationalisme". Il y aurait des Ivoiriens "authentiques" et d'autres qui ne le seraient pas ! C'est une honte. Ce pays est tombé malade car tout était divisé, la société, l'armée, pour aboutir à ce coup d'état auquel aucun Ivoirien ne s'attendait. La Côte d'Ivoire n'était pas vraiment une démocratie mais au moins l'un des pays les plus stables du Continent. J'ai écrit Le pays va mal sous le régime militaire en 2000, au moment où c'était vraiment chaud, juste avant que Laurent Gbagbo n'arrive pour prendre le pouvoir. Je pense que c'est un album qui a dû aider Gbagbo puisqu'il a poussé les militaires dehors. Il fallait bien qu'ils s'en aillent pour qu'un civil accède au pouvoir. Mais je le dis et je le redis, Laurent Gbagbo a été porté accidentellement au pouvoir car si on avait permis à tous les candidats de se présenter, je ne pense pas qu'il serait président aujourd'hui. Les élections législatives et présidentielles ont été organisées dans une mascarade totale. Quand on tord ainsi le cou à la démocratie, le problème subsiste. Quand une majorité réelle vote pour un président, il n'y a pas de problème. La preuve : les municipales, supervisées par les organisations internationales, ont été largement remportées par l'opposition. Cela prouve donc que si les législatives et les présidentielles avaient été supervisées de la même manière, Laurent Gbagbo ne serait pas au pouvoir aujourd'hui.

Considères-tu que le reggae africain est un mouvement puissant ?
Aujourd'hui, il existe un vrai reggae africain. Mais cette musique a été créée par les Jamaïcains et comme les Jamaïcains sont venus d'Afrique, ils ont toujours considéré leurs racines africaines. Marley disait que le reggae devait retourner à la source et c'est en train d'arriver. En ce qui concerne la Côte d'Ivoire, les artistes les plus populaires restent les stars reggae qui font le plein de stades. Il y a une nouvelle génération qui monte. Je commence même à produire d'autres artistes. Mais il y a beaucoup de photocopies d'Alpha ou de Tiken. Moi, je recherche ceux qui viennent avec un peu d'originalité. Je suis en train de travailler avec un jeune artiste Soum Malaki que j'enregistre dans un studio du Burkina Faso, c'est un Ivoirien. Il y a des milliers de reggae boys en Côte d'Ivoire comme il y a des milliers de groupes de rap au Sénégal.

Tiken Jah Fakoly Françafrique Barclay/Universal (sortie mondiale)
En concert à Paris le 28 Février 2002 à l'Elysée Montmartre