Un 'Wailers' pour Tiken
Pendant douze ans, Tyrone Downie a accompagné Bob Marley au sein des Wailers. Ce Jamaïcain installé en France, est le maître d'oeuvre de Françafrique, le nouvel album de Tiken Jah Fakoly.
Tyrone Downie au service de Tiken Jah Fakoly
Pendant douze ans, Tyrone Downie a accompagné Bob Marley au sein des Wailers. Ce Jamaïcain installé en France, est le maître d'oeuvre de Françafrique, le nouvel album de Tiken Jah Fakoly.
"Après deux semaines passées à Los Angeles, quand je suis arrivé à Paris à l'aéroport de Roissy, je me suis dit : ah, je suis chez moi. Normalement, c'est quand j'arrive en Jamaïque que je ressens cela !" Tyrone Downie s'étonne et s'amuse de ses propres réactions. Il répond toujours qu'il habite en France depuis quatre ans, puis se ravise dès qu'il se rend compte que cela fait en réalité deux fois plus de temps. Une chose est sûre, l'ancien compagnon de route de Bob Marley n'est pas venu s'installer en terre inconnue.
A Kingston, il avait choisi d'apprendre le français à l'école, attiré et impressionné par la culture liée à cette langue. Mais à force de fréquenter les studios enfumés par les rastas pour jouer sur n'importe quel clavier, le jeune adolescent a vite dû faire une croix sur ses études, au grand dépit de sa mère qui, si elle n'avait pas de quoi lui acheter les livres scolaires, s'inquiétait des nouvelles fréquentations de son fils. En 1969, à treize ans, Tyrone fait son premier enregistrement avec Bob Marley, beaucoup plus âgé que lui comme tous les autres musiciens du groupe. Le succès international qu'ils connaissent à partir de 1974 lui donne enfin l'occasion de découvrir la France pour laquelle il continue de nourrir une passion. Dijon, Paris, Toulon... Chaque étape reste encore présente dans ses souvenirs.
La vie après Marley
Après la disparition du roi du reggae en 1981, il poursuit sa carrière entre la Jamaïque et les Etats-Unis jusqu'à ce qu'il rencontre Tonton David à Memphis où le chanteur français est venu enregistrer son album, Allez Leur Dire. Les deux hommes se retrouvent sur un plateau de télévision lors d'un hommage à Coluche et décident de démarrer une collaboration plus étroite. Tyrone devient le compositeur principal de Récidiviste, puis claque la porte sur fond de discorde. C'est ensuite à Regg'lyss, auteur du tube reggae Mets de l'huile de faire appel à ses services. A Montpellier, le Jamaïcain trouve un environnement qui le séduit et pose ses valises. S'il s'éloigne souvent de son nouveau camp de base pour travailler de l'autre côté de l'Atlantique comme actuellement avec Ziggy Marley, il a également trouvé dans son pays de résidence, un marché à exploiter. La France est fan de reggae et dans ce créneau, ils sont nombreux à avoir bénéficié de ses talents : Jacky et Ben-J, Djamatik, Brahim, MC Janick, etc.
Du reggae africain, il ne connaissait pas grand chose. "J'avais raté l'album d'Alpha Blondy, je n'étais pas en Jamaïque quand les Wailers ont enregistré avec lui (en 1985 pour Jerusalem, NDLR). Le premier artiste reggae africain avec qui j'ai travaillé, c'est Serge Kassy", se souvient-il. Quand il est contacté au mois de juin 2001 pour s'occuper du prochain disque de Tiken Jah Fakoly, il sait très bien qui est ce chanteur ivoirien. Un an plus tôt, on lui avait demandé de mixer Plus jamais ça mais il n'avait pu le faire par manque de temps. Quelques mois plus tard, ils s'étaient croisés au Studio Bleu à Paris et avaient évoqué la possibilité de travailler ensemble.
L'été dernier, l'éventualité se matérialise autour de Françafrique. Au-delà de la partie musicale de ce projet, c'est l'attitude de Tiken qui a convaincu Tyrone. "Dans le passé, j'ai travaillé avec Bob et beaucoup d'artistes jamaïcains. Le reggae, à l'époque, c'était une musique de révolutionnaires, de contestation. Et ça faisait longtemps que je n'avais pas entendu un artiste qui défende la situation de son pays, sans crainte. Ça m'a beaucoup touché. Toutes ses chansons pourraient être sur n'importe quelle radio dans n'importe quel pays, elles sont d'actualité", explique-t-il.
Très à l'aise dans son rôle de réalisateur (et bien sûr de musicien), capable de concrétiser des idées et des envies artistiques, il était toutefois aidé dans sa tâche puisqu'il s'agissait de remodeler les morceaux de Tiken déjà enregistrés à Abidjan et sortis sur ses précédents albums : "C'était plus simple que de commencer à zéro, convient l'ancien Wailers. Il y avait une base, un feeling, une ambiance qui était déjà là. C'est comme si tu me donnais une voiture : les roues sont un peu trop grandes, il faut changer le carburateur, mais la voiture est déjà là. Il faut juste réparer ce qui ne va pas et mettre un peu de polish." L'objectif était de donner une dimension "jamafrican", mélange de Jamaïque et d'Afrique, à ce disque.
L'itinéraire à suivre était tracé d'avance, même si le départ a été donné à Montpellier, le temps de triturer les maquettes, d'allonger, de couper, de changer les tempos, les tonalités "pour arriver à quelque chose qui sonne bien avec un bon groove". Une fois ces bases déterminées, le duo s'est ensuite envolé vers la Jamaïque. Pour obtenir ce qu'il voulait, Tyrone savait qu'il fallait trouver des musiciens "compatibles" avec le style de Tiken. "On n'avait pas trop le choix, tient-il à préciser, parce qu'en Jamaïque, la plupart des musiciens font des programmations. Le reggae qu'on joue en France et en Afrique maintenant, c'est le reggae ancien. En Jamaïque, on n'écoute plus ça. Si tu veux de la musique ancienne, il faut aller chercher les anciens. Et quand ils ont joué, ils étaient dans leur élément. Il y avait un peu de la nostalgie. Beaucoup de musiciens maintenant s'ennuient parce que la musique moderne est stérile."
Et de conclure : "Avec Bob, j'ai eu un bon professeur. Tout ce que je connais par rapport à la musique, l'enregistrement, les tournées, être tout simplement professionnel, c'est lui qui me l'a appris. Avant, je ne connaissais rien. Je crois que c'est mon devoir de transmettre ça à un autre jeune. Un jour, il pourra communiquer à un autre ce que je lui aurai appris."
Tiken Jah Fakoly Françafrique Barclay 2002