Arno

En entendant le nouvel album du chanteur Arno, on est impatient de rencontrer le bonhomme. En grande forme musicale, la langue bien pendue, il nous revient avec Arno Charles Ernest, quinze chansons dont (c’est presque devenu une tradition) une reprise des Rolling Stones Mother’s Little Helper qui fleure bon sa déprime et sa nostalgie des sixties/seventies. Nostalgique, ironique, poétique... Vive le chantre de la Belgique.

Not just a gigolo

En entendant le nouvel album du chanteur Arno, on est impatient de rencontrer le bonhomme. En grande forme musicale, la langue bien pendue, il nous revient avec Arno Charles Ernest, quinze chansons dont (c’est presque devenu une tradition) une reprise des Rolling Stones Mother’s Little Helper qui fleure bon sa déprime et sa nostalgie des sixties/seventies. Nostalgique, ironique, poétique... Vive le chantre de la Belgique.

Arno Charles Ernest, c'est un drôle de titre pour un album. Ce sont vos autres prénoms ?
Ce sont les prénoms de mes grands-pères, paternel et maternel. Je suis particulièrement content et fier de ce disque. Je pense que je ne peux pas faire mieux et je voulais leur dédier ce travail à eux deux qui ont été particulièrement tolérants avec leur femme.

Comme vous ?
Je n’ai plus de femme (sourire). Mais eux, ils ont été très tolérants. Mes grands-mères, c’était deux salopes, mais je les aimais, des femmes avec de fortes personnalités, mais c’était des bitches ! Ils ont beaucoup toléré ces femmes très strictes mais avec de forts caractères. L’une était russe et chanteuse. Elle est morte il y a un an de manière formidable à 96 ans. Elle m’a téléphoné pour me demander de venir la voir, un dimanche. J’étais en studio, toute la famille est venue à 11 heures. Elle a demandé : «Est-ce que tout le monde est là ? Oui. Bon, maintenant je vais faire dodo». Et puis, clack ! Elle est morte ! Elle a crevé comme elle a vécu, en faisant chier le monde (rires).

Et votre autre grand-mère ?
Mon autre grand-mère, c’était une Anglaise. Elle était vraiment dure. En fait, c’est une analyse que je fais sans trop réfléchir. Et en me disant que je suis peut-être comme mes grands-parents.

Vous seriez plutôt du côté bourreau ou victime ?
Victime ! Je pense plutôt être une victime. Les hommes ne peuvent pas porter la douleur comme la portent les femmes. C’est insupportable pour eux. Je pense que les hommes croient tout savoir, mais les femmes, elles comprennent tout ! (mort de rire)

Comment doit-on interpréter alors la première chanson de l’album Ma femme ?
C’est un hommage à la mère de mes enfants, Marie-Laure (ndlr : Béraud, parolière et chanteuse). Il y a plein de gens qui sont dans mon cas avec leur femme ou leur petite amie, mais j’ai la chance de ne pas m’être marié. Sinon, je serais obligé de faire des centaines de concerts comme Bob Dylan ou d’autre pour payer les pensions alimentaires. En Occident, dans les relations homme-femme, plus personne ne trouve sa place. Ils ne savent pas se positionner les uns par rapport aux autres. Les mecs sont branchés sur leur carrière et les femmes aussi. Le boulot est un "full time job" qui empêche les uns et les autres de s’aimer et de se dire qu’ils s’aiment.

Autre nouvelle chanson, Solo Gigolo. La rumeur veut que vous ayez été gigolo dans les années 70, en Grèce. Est-ce vrai ?
(surpris) Ah bon ? Ah ouais ! Non, non ! J’étais dans les années 70 à Mykonos dans les îles grecques, mais bien avant qu’il y ait des gays. Disons que j’ai vécu au crochet d’une fille. Je revenais d’Inde et d’Afghanistan, j’avais perdu mon fric en Grèce. Et un pêcheur, Spyro, me dit : «Ecoute, en attendant ton fric par mandat, tu peux loger chez le boulanger de Mykonos». J’y vais et à côté de ma chambre, il y avait Alexandra… La nuit, au rez-de-chaussée, le père faisait du pain et nous au premier étage, on s’envoyait en l’air. Donc, si tu veux, par circonstance j’étais gigolo. Oui, c’est vrai, mais petit gigolo et c’était pour sauver mon cul. A la fin, j’ai tout remboursé. (rires)

Vous dites fréquemment dans vos interviews qu’après ce que vous avez vécu et appris, vous n’aimeriez pas avoir vingt ans aujourd’hui. Ce n’est pas follement optimiste pour vos enfants ?
Ils doivent sauver leur cul eux aussi. Ce n’est pas très optimiste certes mais c’est comme cela. Dans les années 60, c’était la première fois qu’il y avait une culture spécifique pour les jeunes : la musique, l’attitude, les vêtements, l’amour, tout... Il y avait une provocation, peut-être naïve, mais réelle, contre l’establishment. Il n’y avait pas MTV à la télé alors on faisait notre MTV nous-même dans notre vie. C’était l’apparition des frigos, des télés, des bagnoles… On détestait, on était dans le "non confort-misme"… Je ne dis pas que c’était mieux que maintenant mais c’était le début du truc de consommation. Maintenant, tout est là et tout le monde veut tout. Quelque part, je trouve plus intéressant de vivre maintenant. Tout passe plus vite mais c’est très intéressant. Moi en tant que voyeur, je suis ravi.

Popstars et Star Academy à la télévision, vous devez adorer alors !?!
Dans les années 60, ils ont fait cela aussi avec les Monkees, un groupe fabriqué de toutes pièces. Ils ont fait des émissions spéciales où tu te farcissais ce groupe au look sympa, avec une musique sympa. Ça existe depuis la nuit des temps comme les Supremes avec Diana Ross. Aujourd’hui, la seule différence c’est que tout est plus grand, démesuré. Quand tu vas dans un supermarché, tu n’achètes pas une barre chocolatée mais des packs de dix ou de vingt. Dans le fond, c’est la même chose.

Et cela ne vous fait pas mal de voir que les apprentis chanteurs de Popstars vendent plus de disques en un mois que vous en vingt-cinq ans de carrière ?
Oui, mais qu’est ce qu’il va faire le petit Popstar dans un an ? Les gens ont besoin de ce truc. On n'est pas obligé d’acheter ça, ni de regarder. Moi, malgré tout, je trouve cela bien parce que ça engendre des réactions comme le punk, le grunge et tout le bazar. J’aime regarder ça, c’est très comique pour moi. Je ne suis pas dans une compétition et je ne fais pas de la musique pour des gens qui regardent Popstars.

Sur Il est tombé du ciel, vous prenez un ton désespéré qui va crescendo. On dirait du Brel ou du Adamo en train de chialer… Pourquoi les chanteurs belges donnent-ils toujours cette impression de pleurer sur leur sort quand ils chantent ?
Ils souffrent mon chéri, ils souffrent ! (Il force son accent belge). Il faut, une fois, vivre là-bas pour comprendre ! (rires) Peut-être que c’est à cause de notre nourriture (rires). Johnny Hallyday, il fait cela aussi…

Pourquoi reprenez-vous également Mother’s Little Helper des Rolling Stones ?
C’est une chanson dont j’ai tout changé sauf les paroles. Le texte est formidable. C’est une preuve que Jagger dans le temps, était un visionnaire. Mother’s Little Helper, il s’agissait d’une pilule - comme le Prozac aujourd’hui - pour les femmes qui étaient dépressives dans leur travail, dans leur souffrance, les femmes de ménage qui prenaient ça pour ne pas couler.

Si dans trente ans, un chanteur voulait reprendre une chanson d’Arno, laquelle aimeriez-vous qu’il choisisse ?
Deus l’a fait dans le temps. J’ai déjà joué avec Star Flam, un groupe de rap belge qui a fait des trucs de moi très bien. Il faut acheter leur disque plutôt que Popstars. Lofofora a repris Vive la liberté en version heavy metal. Noir Désir avait repris aussi Putain putain, on est tous des Européens, mais ce n’est jamais sorti. Te dire ce que j’aimerais qu’on reprenne de moi… (une longue pause) Putain, putain, j’en sais rien !! (rires)

Arno / Arno Charles Ernest  (Delabel) 2002