Rinôçérôse

Après une tournée estivale américaine aux côtés de leur petit camarade l'Américain Moby, les Montpelliérains de Rinôçérôse reviennent aux affaires discographiques avec Music kills me. Toujours adeptes d’une électro éclectique, dopée par des guitares saturées, Jean-Philippe Freu et Patou Carrié livrent douze nouveaux titres qui déclinent le thème de la mort sur le mode festif. Une sorte de concept album gentiment allumé, entre French Touch et psyché-rock !

Double vie

Après une tournée estivale américaine aux côtés de leur petit camarade l'Américain Moby, les Montpelliérains de Rinôçérôse reviennent aux affaires discographiques avec Music kills me. Toujours adeptes d’une électro éclectique, dopée par des guitares saturées, Jean-Philippe Freu et Patou Carrié livrent douze nouveaux titres qui déclinent le thème de la mort sur le mode festif. Une sorte de concept album gentiment allumé, entre French Touch et psyché-rock !

Vous dites avoir voulu faire les fanfarons sur un thème à priori négatif. C’est une démarche un peu cynique, non ?
Jean-Philippe Freu : Ce n’est pas du cynisme. L’album s’appelle Music kills me, la musique me tue, où on fait référence à des artistes comme Brian Jones ou Jimi Hendrix, que la musique a vraiment tués. Je dis souvent que si Brian Jones avait été postier, il serait probablement toujours en vie ! Nous on est un peu plus prudents, on ne fait pas des excès de barbituriques et de bière comme ont pu le faire Hendrix ou d’autres. Moi, je m’en tiens au café et à une consommation modérée de bière !

Evoquer Hendrix ou Led Zeppelin n’est pas un argument très vendeur en 2002 ! On ne peut donc pas vous taxer de jeunisme, de faire de l’électro pour vendre des disques ?
J-P.F : Non. Nous on cible le public quadragénaire ! Comment vendre des disques à des jeunes dont l’idée est de faire des économies en achetant des CDs enregistrables et en allant les copier chez les copains ou en les piquant sur Internet ?! (rires). Non, soyons sérieux, parce qu’il y a des gens qui n’ont pas d’humour ! Les références à ces artistes-là ont été faites parce que pour nous, ce sont des icônes pop esthétiquement très intéressantes.

Beaucoup d’artistes labellisés "électro" vont piocher dans d’autres registres, le jazz, les musiques ethniques etc. Pensez-vous que la musique électronique peut se suffire à elle-même ?
J-P.F : Faire une approche mixte avec des instruments analogiques, ça s’imposait. Mais les autres projets cross over sont différents du notre.
Patou Carrié : Ce qui nous différencie de ceux qui mélangent musiques électronique et organique, c’est que chez nous, l’électronique vient toujours après.
J-P.F : A mon avis, St Germain doit avoir ses rythmes, son ordinateur et il prend des samples, alors que nous, on compose à la guitare, un peu à l’ancienne. Dès que le disque est enregistré, on monte le set et on va faire des concerts, alors que St Germain - qui par ailleurs nous a beaucoup influencé- a mis du temps à faire de la scène.

La cérémonie des Victoires de la Musique approche¹. Que vous inspirent les deux récompenses de St Germain l’an dernier ?
J-P.F :
Je suis tellement peu au courant de ces trucs-là que je ne savais même pas qu’il avait été récompensé ! Je trouve ça bien pour lui. Ce qui est clair c’est que son disque est bien et qu’il y a quatre ans on n'aurait pas pu imaginer cette réussite. Ça prouve que les musiques électroniques sortent petit à petit de l’underground, de la confidentialité. Ce n’est pas forcément un bien, mais ça fait partie de l’évolution normale des choses.

Pour vivre heureux, vivons cachés ?
J-P.F :
Non ! Ce qui s’est passé pour St Germain, c’est que son disque a plu à tous ces gens de quarante ans qui ne copient pas les disques dont on parlait toute à l’heure ! Le côté underground de la musique électronique a été excitant pendant un moment, mais ça ne pouvait pas rester le truc que seuls certains initiés connaissaient. On vend des shampoings pour voitures maintenant avec ça ! C’est la vie !

Vous avez tous les deux un travail en dehors de la musique. Est-ce possible de continuer cette double vie aujourd’hui ?
J-P.F :
Nous faisons de la musique «populaire», par opposition à la musique classique. Moins populaire que Jean-Jacques Goldman certes, mais on fait de la musique de façon autodidacte. On n'aime pas le mot "carrière" parce qu'on ne peut pas gérer ça comme des carrières plus classiques. Ce que l’on sait, c’est qu’on aime bien faire de la musique, et que logiquement on pourra toujours en faire. On a notre home studio, rien ne nous empêche d’enregistrer des morceaux, voire de les graver par nous-même si on en a envie. Nos métiers ont été un peu remarqués parce que nous sommes psychologues, mais on aurait pu être cuistot ou postier ! On avait une société dans laquelle je faisais de la formation, j’avais des clients qui avaient toujours besoins de mes services et comme j’avais du temps, entre deux enregistrements ou deux tournées, j’ai continué à donner des cours dans les universités, etc. Ça me repose un peu l’esprit et ça me permet de garder un peu le contact avec ce que j’ai fait pendant pas mal de temps.

Concilier tournées, obligations professionnelles et familiales, c’est une vraie gymnastique !
J-P.F :
L’exemple de la tournée Moby est parlant. Elle a eu lieu en juillet, et à cette époque j’avais beaucoup d’étudiants de droit ou en AES (Administration Economique et Sociale) à Montpellier. J’ai rendu les trois cents copies que je devais corriger le 21 juin et le 3 juillet, j’étais en tournée avec Moby ! Maintenant on va partir en tournée en mars. Ça va être un peu difficile pour mes cours, mais je vais trouver des solutions.

C’est une manière de garder un pied dans la «vraie vie» ?
P.C :
Oui je pense, même si c’est de plus en plus difficile de gérer les deux.
J-P.F : Ce en quoi on croit c'est que l’envie de faire de la musique naît de la frustration de ne pas en faire. Pendant très longtemps, j’ai fait des déplacements entre Montpellier et Marseille, deux heures de train. Pendant les trajets retour, je commençais à bouillonner, à avoir plein d’idées de musiques, et dès que je rentrais à la maison, je laissais tomber mes affaires de prof de psycho et me ruais dans le studio !
P.C : La vie de musiciens elle-même ne nous plaît pas. Si on ne faisait que de la musique, je ne m’ennuierais pas, mais psychologiquement ça ne me conviendrait pas…

C’est contraire au principe d’émissions comme Star Academy ou Popstars qui présentent la musique comme un ascenseur social, un passeport pour la réussite…
J-P.F :
Nous avons toujours considéré la musique comme une espèce de naufrage social, par rapport à ce qu’on peut faire dans des voies plus traditionnelles. On sait que les goûts des gens changent très vite, que l’on ne peut rien bâtir là-dessus, c’est juste passionnel. Quand je vois ce genre d’émission qui présente ça comme une véritable carrière avec des recrutements, des profs qui conseillent etc., c’est à l’opposé de tout ce que l’on vit, de ce que l’on pense et simplement de ce qu’est la réalité. Ce genre d’émission, c’est absolument abominable, c’est n’importe quoi ! Pour nous, la musique est vraiment une passion, un truc dans lequel, socialement, on perdrait plus de temps qu’autre chose.

Vos familles respectives vous déconsidèrent parce que vous êtes musiciens ?!
P.C :
C’est un peu ça !
J-P.F : On n'est pas considérés comme des "losers" parce qu’ils voient qu’on sort des disques régulièrement et qu’on fait des concerts très loin. Mais c’est un milieu qu’ils ne connaissent pas, et dont ils ont peur. Ce n’est pas une attitude qui est valorisée chez nous!

Rinôçérôse / Music kills me (V2 Music) 2002