Tri Yann

A l'occasion de la Saint Patrick et de la double Nuit Celtique qui enflammera ce soir et demain l'immense Stade de France aux portes de Paris, RFI Musique vous entraîne dans cette galaxie qui sent bon la mer, la lande et le houblon :
- Aujourd'hui : zoom sur le groupe breton Tri Yann
- Lundi 18 : un compte-rendu de ces Nuits Celtiques
- Mardi 19 : le récit d'une expérience originale, le mariage entre musique celtique et musique baroque…

30 ans de celtitude

A l'occasion de la Saint Patrick et de la double Nuit Celtique qui enflammera ce soir et demain l'immense Stade de France aux portes de Paris, RFI Musique vous entraîne dans cette galaxie qui sent bon la mer, la lande et le houblon :
- Aujourd'hui : zoom sur le groupe breton Tri Yann
- Lundi 18 : un compte-rendu de ces Nuits Celtiques
- Mardi 19 : le récit d'une expérience originale, le mariage entre musique celtique et musique baroque…

Les groupes français qui comptent plus de trente ans de carrière, une quinzaine d'albums et environ 80 concerts par an, sont moins nombreux que les menhirs de Carnac. Tri Yann fait partie de ce club très restreint et nous gratifie d’un album enregistré en public pour célébrer l’évènement. Entretien avec les trois Jean fondateurs.

RFI Musique : Lorsque vous avez commencé en décembre 70 à jouer ensemble, pensiez-vous que cela durerait si longtemps ?
Jean-Louis Jossic :
Non, franchement. D’autant moins que notre première maison de disques à l’époque pensait que Tri Yann correspondait à un simple phénomène de mode. En fait, en nous signant, ils pensaient nous enterrer rapidement et puis voilà… Durs comme le roc breton, on est toujours là !

Vous sortez votre nouveau disque pour célébrer cet anniversaire Trente ans au Zénith. Votre carrière n'a pourtant pas toujours été au zénith ?...
JLJ :
La vie de Tri Yann a été l’espoir de faire pendant quelques années un boulot qui nous plaisait. Une sorte de métier passion et puis de nous dire, à vingt ans, qu'on ne deviendrait probablement pas des vieux folkeux à trente. Et puis, lorsque vinrent les trente ans, on s’est dit qu’on ne serait pas des vieux rockers et puis à trente-cinq, on s’est dit qu’on allait tout replier et faire autre chose. Ainsi de suite. En fait, on a toujours eu l’impression d’avoir des projets devant nous et de ne pas avoir de doutes sur ce qu’on voulait faire. Là où on aurait pu avoir des doutes, c’est dans ce fameux temps mort que tout le monde a connu dans le monde celtique, dans les années 80 où beaucoup ont disparus en route. On a eu la chance d’avoir un public fidèle. Et c’est ce qui a permis d’atténuer le doute et de rebondir dans les années 90.

Vous dites d’ailleurs volontiers que vous êtes plus tournés vers la scène que vers le disque.
JLJ :
Le disque, c’est un peu de la musique en boîte finalement. C’est un peu comme une boîte de petit pois ; ça ne vaudra jamais la fraîcheur du véritable petit pois cueilli par le paysan qui vous l’amène sur un plateau pour le déguster frais. Et bien pour nous, le petit pois frais, c’est le spectacle vivant ! Ça, c’est notre truc ! Et si on avait vraiment dû faire une carrière comme certains chanteurs qui choisissent entre disque ou scène, cela aurait été la scène, sans jamais faire de disque. Je crois que cette importance de la scène, cela nous a permis d’avoir le contact avec le public qui dans des moments de doute, de remise en question nous a permis d’aller de l’avant, d’aller plus loin. La scène, c’est un gage de survie.

Vous associez également souvent le terme de convivialité à celui de longévité…
JLJ :
En effet, je crois que ce qui est important dans le spectacle vivant, c’est une espèce de convivialité, d’effet miroir. On raconte souvent dans notre métier que les gens qui sont sur scène ne voient pas le public. Ce n’est pas vrai, parce que maintenant il y a une telle masse d’éclairages que les premiers rangs au moins sont comme en plein jour. On voit la salle. Alors on est au spectacle nous aussi, on voit leur tête, on voit leur évolution, s’ils dansent, s’ils chantent et finalement cette convivialité, c’est ce qui nous permet de savoir en direct, si on plaît, si on ne plaît pas et nous-mêmes, d’avoir la frite pour continuer.
Jean-Paul Corbineau : Sans le regard des gens, c’est vrai qu’on ne pourrait pas faire ce métier. En studio, moi, je ne suis pas le même que lorsque je vois quelqu’un sourire ou chanter. Mon plus récent souvenir de scène et de partage, c’était il y a quelques jours. Une petite mémé, extraordinaire, qui était au milieu de gamins de quinze, vingt ans. Toute seule au milieu des excités et qui tapait des mains comme une folle ! J’ai trouvé cette image extraordinaire et je l’aurais longtemps en tête.

Parmi les autres moments forts de ce disque et de votre concert au Zénith de Paris, il y a également l’invitation faite à Hugues Aufray.
JPC :
Hugues Aufray a été certainement un de ceux grâce à qui on a fait ce boulot. Je ne me serais pas intéressé au folk, à la musique traditionnelle en France s’il n’y avait pas eu Hugues Aufray, c’est sûr ! Je connais toutes ses chansons par cœur. Et en plus il n’est pas venu sur scène pour nous faire plaisir, mais comme il nous l’a dit pour aussi se faire plaisir. J’étais très ému ce soir-là. Il avait l’air vraiment content d’être là. Un très, très, beau cadeau d’anniversaire.

Des moments qu’on voit également puisqu'en plus du CD, il existe un DVD du concert.
Jean Chocun :
C’est notre premier DVD. Pour les trente ans, ça valait le coup de se fendre d’un DVD non ? On y a mis beaucoup d’énergie et on a passé beaucoup de temps dessus. Il y a l’intégrale du concert et la participation d’Hugues Aufray avec Santiano qui s’est fait au débotté, avec le public qui réagit au quart de tour. Il a carrément été emporté par les spectateurs et tout le monde a suivi… C’était peut-être un petit peu haut par rapport à la tonalité normale de la chanson (sourire) Mais alors quelle pêche ! Ce fut un grand souvenir.
Il y a aussi une cinquantaine de minutes de reportage sur la vie et les mœurs du groupe Tri Yann. On est quand même huit dans ce groupe ! Il y a également un petit court-métrage qui a été tourné par Konan Mevel, notre cornemuseux, sur les déchets d’une marée noire sur la plage du Croisic. C’est fait avec beaucoup de sensibilité et c’est un bel hommage rendu aux gens qui ont nettoyé.

Ce qui est frappant dans les chants traditionnels bretons, c’est qu’ils peuvent aussi bien être déclinés dans tous les genres : rock, rap ou chanson, ce qui n’est pas le cas de la musique traditionnelle basque, corse ou autre.
JPJ :
Je crois que ce qui est propre à la musique celtique en général, et bretonne en particulier, c’est qu’il y a une importance de la ligne mélodique simple. Et que finalement un air, c’est quelques notes. Il n’y a pas autour des arrangements, des polyphonies. La tradition est jouée par un chanteur ou un biniou, c’est tout. Ce qu’on retrouve au Pays basque, en Corse, chez les Bulgares, est l’air déjà lié à un type d’arrangement. S’il n’y a pas cette espèce de polyphonie, ça ne sent pas la Corse… Par contre, en Bretagne, l’air tout nu peut être développé de beaucoup de façons différentes. Il peut devenir rock, il peut être simplement folk, il peut devenir techno parce que c’est une matière très brute et très simple à adapter.

Avec Dan Ar Braz et Alan Stivell, on vous a carrément mis au Panthéon des héros de la musique bretonne et celtique. Vous considérez-vous comme les détenteurs de cette musique ou plutôt comme des passeurs ?
JC :
Cette mouvance de la musique celtique et bretonne, on l’a découverte dans les années 70 et on y a trouvé beaucoup d’intérêt. On a effectivement continué à vivre de cela. On y a aussi apporté, je crois, une certaine pérennité. Mais cela aurait vraiment été dommage qu’à un moment ou à un autre, il n’y ait pas une jeune génération qui s’intéresse à cela et reprenne un peu cette musique à son compte. Cela aurait voulu dire que les Stivell, les Dan Ar Braz, les Servat n’auraient servi à rien. Or, il y a un regain d’intérêt, une nouvelle créativité qui existe avec des groupes, plus ou moins intéressants selon les cas. Mais il y en a de très intéressants. Nous sommes très, très content de cela. Ça fait de la vie.

Paradoxalement on vous a «panthéonisé» sur l’autel de la musique traditionnelle alors qu’à vos débuts vous étiez considérés par les purs et durs du genre, comme des voyous, des pilleurs de patrimoine.
JPJ :
(Rires) Oui ! Ce qui s’est passé, au début de ce mouvement de la rénovation de la musique celtique, c’est que cela s’appuyait sur des gens issus de milieux un peu traditionnels comme les cercles celtiques ou les bagadous. Et dans ces cercles, il y avait des gens extrêmement progressistes et d’autres qui se prétendaient maîtres, détenteurs et donc propriétaires d’une tradition. Ceux-là étaient de vrais ayatollahs et ont tenté de minimiser ou de dénigrer notre musique. Simplement, le mouvement s’est développé en dehors de ce petit cercle fermé, il a conquis toute une jeunesse. C’est la réussite de ce mouvement qui fait qu’aujourd’hui les plus orthodoxes sont morts et ne peuvent plus dire grand chose. Ils sont totalement débordés. Franchement - pour qu’on se rende bien compte - on parle aujourd’hui des nouveaux groupes, des nouvelles tendances de la musique bretonnes qui se rapprochent quelquefois du hip hop, de la musique techno… mais il y a trente ans, les types se faisaient plastiquer s’ils faisaient cette musique-là !!! Aujourd’hui, cela paraît être une évolution possible et même recommandable. Il y a eu des tournants, je crois. Le fait que Chantal Goya chante un jour : «Bécassine*, c’est ma cousine» a montré que tout était permis ! (Hilarité générale).

Tri Yann Trente ans au Zénith (Marzelle/ Sony Music)
* la Bretonne la plus célèbre de la bande dessinée.