Disque d'adieu pour Bécaud
Paris, le 27 mars 2002 - Le nouveau disque de Gilbert Bécaud paraît de manière posthume. Commencé en 1999, il a été interrompu par la maladie puis la mort du chanteur, en décembre dernier. Sans solliciter de manière excessive le "sous-texte" des chansons, on ne peut s’empêcher d’y entendre une manière d’adieu au monde et à ses illusions, mais aussi une sérénité parfois voisine de la joie.
Autoportrait posthume
Paris, le 27 mars 2002 - Le nouveau disque de Gilbert Bécaud paraît de manière posthume. Commencé en 1999, il a été interrompu par la maladie puis la mort du chanteur, en décembre dernier. Sans solliciter de manière excessive le "sous-texte" des chansons, on ne peut s’empêcher d’y entendre une manière d’adieu au monde et à ses illusions, mais aussi une sérénité parfois voisine de la joie.
Avec le sourire du chanteur, les yeux levés au ciel, sa cravate à pois et son costume bleu, le nouveau et dernier disque de Gilbert Bécaud affiche à la fois une sorte de normalité proclamée et un symbole clair : cet album est paru à titre posthume, la semaine dernière. Lorsque Bécaud s’est éteint, en décembre dernier, il avait enregistré vingt-huit chansons pour un disque en chantier. Ou, plutôt, il avait posé sa voix sur des maquettes, avec l’envie de réaliser un album acoustique, débarrassé de l’électronique qui, parfois, avait un peu pollué ses quelques albums précédents.
La brusque dégradation de son état de santé l’avait obligé à suspendre ses travaux – qu’il n’a jamais pu reprendre. C’est son fils aîné Gaya (né en 1953, le jour de l’enregistrement du premier disque de Bécaud) qui a donc pris en mains la réalisation du disque, mobilisant musiciens et techniciens autour d’un projet qui peut paraître autant testamentaire que rétrospectif.
"Il faudra bien que ça arrive : je partirai/Tu pleureras, j’en pleurerai". Chanson qui résonne évidemment comme un message d’outre-tombe et que Bécaud tenait à réenregistrer, après une première version en 1963. Sur le livret, son texte est reproduit en face d’une belle photo de Gilbert Bécaud et de Louis Amade, le préfet, poète et ami qui avait écrit Je partirai et qui s’est éteint en octobre 1992. D’ailleurs, ce nouvel album voit les retrouvailles post-mortem des quatre grands paroliers de Gilbert Bécaud : Louis Amade, Maurice Vidalin, Pierre Delanoë et Claude Lemesle. Mais aussi un inconnu, Christophe Bardy, 31 ans, journaliste à M6, qui a signé avec Bécaud, la chanson la plus "moderne" de cet album, On marche, plaisant funk gaillard.
Grand moment de retrouvailles, aussi, dans Le Train d’amour, duo avec Serge Lama. Tous deux incarnent depuis des lustres tout ce que la chanson française peut exprimer de fierté mâle et de virilité pleinement assumée, tout en ne reculant jamais devant l’aveu de faiblesse. Et, justement, ce sont deux hommes faisant avec gravité le bilan de leur vie qui chantent ici : « J’ai manqué l’heure du train d’amour/Et ce train-là c’est pour toujours ». Deux voix fourbues et dignes, toujours moirées de séduction mais portant toutes les lassitudes de la maturité, avec un accompagnement de club de jazz qui n’incite pas aux vanités et aux glorioles.
De toute manière, Gilbert Bécaud se montre beaucoup moins boxeur, goinfre ou furieux qu’il a pu l’être. C’est même un homme souvent très serein qui s’exprime, comme dans deux chansons dont les arrangements naviguent entre country et folk acadien, Au bout de la route et la reprise du Pommier à pommes – fraternité des hommes malgré la solitude de chacun devant son destin, douceur de l’amour malgré les peines de la séparation. Disque d’une maturité qui s’avoue tous comptes faits plutôt sereine, cet album revient pourtant sur un des grands regrets de Gilbert Bécaud, Madame Roza. Sa comédie musicale adaptée de La Vie devant soi, d’Emile Ajar-Romain Gary, dont il rêvait qu’elle soit un jour présentée en France après sa création aux Etats-Unis en 1987, aurait dû être interprétée par Annie Cordy. Et Bécaud père et fils ont inclus à cet album Bravo et Faut vivre un peu, deux titres chantés avec feu et gravité par la chanteuse belge que la France connaît surtout pour ses chansons fantaisistes.
Et, même si cet album sans titre s’achève dans l’intense chaleur d’un chœur gospel dans Viens nous aider, c’est toutefois sur une question grave, et même sur un franc doute : "Toi le gars de Galilée/T’avais dit je reviendrai/Je crois qu’il est temps dis !" Avec toutes les allusions à l’adieu, au départ, à la mémoire et à la mort (dans Je partirai, bien sûr, mais aussi Au revoir (adieu l’ami), La Mort du loup, L’Aventure...), cela finit par tracer un autoportrait posthume aux couleurs à la fois sombres et calmes. Un bel adieu, en somme.
Nouvel album: Gilbert Bécaud - EMI Music France