LE RETOUR DU PRINTEMPS
Bourges, le 10 avril 2002- Miossec avec une voix de rogomme, Gaëtan Roussel en vacances de Louise Attaque, les Valentins en gloires populaires, Les Enfants des Autres et Bumcello explorant les plaisirs de la musique sans chanteur : la première soirée du Printemps de Bourges a navigué entre expérimentations gourmandes et révélations vocales.
Musique sans paroles et chanteurs en mue
Bourges, le 10 avril 2002- Miossec avec une voix de rogomme, Gaëtan Roussel en vacances de Louise Attaque, les Valentins en gloires populaires, Les Enfants des Autres et Bumcello explorant les plaisirs de la musique sans chanteur : la première soirée du Printemps de Bourges a navigué entre expérimentations gourmandes et révélations vocales.
La première soirée du 26e Printemps de Bourges était encadrée par deux manières de jouer la musique sans paroles. En fin d’après-midi au Palais d’Auron, les Enfants des Autres étaient le premier groupe de ce festival 2002. Dans un esprit parent de la Trabant ou de l’Attirail, l’intention est de croiser la route des musiques du centre et de l’est de l’Europe sans toucher au folklore, sans se croire d’un autre monde que le nôtre. C’est à mi-chemin de Goran Bregovic et du Mahavishnu Orchestra que jouent ces cinq musiciens : accords de deux clarinettes ou d’une clarinette et d’une clarinette basse, face à une guitare électrique très jazz-rock, absence de basse mais présence continue d’un violoncelle, batterie très interventionniste… Swing très terrien et échappées à la King Crimson : la demi-heure sur scène des Enfants des Autres avait un charme assez direct, dans lequel le geste artistique se dissolvait parfois un peu sous les facilités de la virtuosité.
En fin de soirée, dans la petite salle sombre de Germinal, c’était Bumcello (programmé de dernière heure, en remplacement de Cornershop) qui présentait son espèce de rock d’avant-garde sans paroles. Musiciens notamment de Mathieu Chédid, le violoncelliste Vincent Segal et le batteur Cyrille Ates construisent une musique mouvementée et perpétuellement en mouvement : échantillonant en direct des phrases musicales sur lesquelles ils jouent ensuite, ils procèdent par tuilage, par accumulation, par croisements. Les graves du violoncelle, des phrases inventives à la batterie, des motifs vocaux abstraits s’entassent en empilements moirés et mouvants. Musique stimulante, le travail de Bumcello donne parfois l’impression d’attendre un chanteur.
Et, d'ailleurs, les questions de charisme, de puissance ou de position des chanteurs étaient la grande affaire de la soirée. Ainsi, dans l’Igloo, le grand chapiteau du Printemps, plein à ras bord pour les Cranberries, Edith Fambuena prouvait combien les Valentins ont su grandir, mûrir et s’affirmer. L’ancien groupe Frenchy but rock sympa que l’on avait vu il y a presque dix ans ici-même s’est mué en une solide entreprise pop-rock, assez fervente pour ne pas risquer l’accusation de démagogie et assez solidement musicienne pour convaincre un public venu a priori écouter les tubes bramant du groupe irlandais. Dans la voie des séductions de leur album Juke Box, les Valentins développent des chansons riches, denses et populaires, qui n’ont pas perdu leur ancrage dans le rock.
De même, en congé de Louise Attaque, Gaëtan Roussel a réussi, avec Tarmac, à se donner un autre visage d’artiste, plus disert, plus délié que dans sa première (et peut-être étouffante) gloire de chanteur. Au Palais d’Auron, le concert de Tarmac a été un de ces événements dont la trace restera longtemps sensible en mémoire. Avec le violoniste Arnaud Samuel (ici installé surtout aux claviers et au mélodica), il a voulu changer son paysage musical, imaginer d’autres manières de jouer et chanter. Avec un groupe de scène qui compte notamment en son sein le guitariste des Wampas, c’est un langage musical plus varié, plus fluide. La gravité de Tarmac est d’ailleurs plus large que celle de Louise, plus tournée vers le monde, la rudesse de la société, vers la réalité des choses plutôt que vers la métaphore du réel. Ce rock échappe d’ailleurs à la plaie commune du rock en français, qui fait souvent un détour par l’obscurité pour exprimer la profondeur : chez Tarmac, l’intelligence reste lisible, le geste reste intelligible. De la longue plage de musique née de Tout un pan de moi à la beauté dépouillée de Tordu tour du monde, un concert superbe et qui ne fait guère polémique à Bourges – réussite incontestable, unanimité.
En revanche, le concert de Miossec fait question – mais, avec lui, c’est une habitude. Entouré d’un groupe solide, quelque part entre la vulgate rock (une rythmique basse-batterie solide comme un camion) et une démarche un peu plus arty (un saxophoniste-trompettiste, une seule guitare, un clavier malin), Miossec a donné un concert d’une belle efficacité mais un peu cahotique toutefois. Ainsi, on s’est un peu ennuyé de ses jongleries avec le micro, un peu trop frime et surtout maladroites – les bruits du micro qui tombe dix fois par terre, ça énerve. Avec toujours ses gentilles provocations verbales, ses rodomontades mêlées d’auto-dérision, il a évolué vocalement : plus largement environné, il ose un chant assez classique parfois dans ses outils, voguant non loin du jeune Gainsbourg ou du Ferré de la maturité. Il y a là quelque chose de véhément et d’oblique à la fois, d’une justesse parfois approximative, mais digéré par une personnalité au poids et au charisme incontestables – encore que curieux. Un concert rugueux et fragile, dont les intentions semblent d’autant moins ordinaires que Miossec s’est donné un timbre de voix râpeux et grave, parfois un peu caricatural, comme s’il essayait de vaincre la fatalité de n’avoir que sa voix.
Bertrand DICALE