Jean-Louis Murat
"Il faut une vie entière pour passer d’une idée farfelue, biscornue, à une idée simple", prévient d’emblée Jean-Louis Murat. Son disque Le Moujik et sa femme est une de ses plus belles réussites de ces dernières années, et c’est pourtant un des disques les plus simples qui soient : la plupart des chansons ont été enregistrées en une douzaine d’heures avec un batteur et un bassiste, souvent en une seule prise.
Les secrets de l'artisan
"Il faut une vie entière pour passer d’une idée farfelue, biscornue, à une idée simple", prévient d’emblée Jean-Louis Murat. Son disque Le Moujik et sa femme est une de ses plus belles réussites de ces dernières années, et c’est pourtant un des disques les plus simples qui soient : la plupart des chansons ont été enregistrées en une douzaine d’heures avec un batteur et un bassiste, souvent en une seule prise.
Jeudi soir, il portait ces chansons neuves, toujours en trio, sur une scène du Printemps de Bourges. Perfection de la forme, engagement inédit par sa ferveur et surtout un chant puissant, lyrique, habité, comme Jean-Louis Murat jamais n’en avait donné à son public.
Et, outre ce qui a été peut-être le meilleur concert des premiers jours du Printemps, Murat aurait-il signé là un de ses meilleurs disques ? Après les splendeurs mi-rock mi-XVIIe siècle de Madame Deshoulières, en duo avec Isabelle Huppert l'an passé et le beau voyage en Amérique de Mustango en 1999, Le moujik et sa femme est un ensemble de croquis vifs, sans coquetterie, joué avec urgence et précision. Emotions toutes droites, franche vivacité de l’interprétation, mais aussi gravité générale du ton : « En l’enregistrant, j’ai eu l’impression de faire un disque d’une noirceur totale. J’avais l’impression de ne parler que de la mort. »
RFI: Quel était l’intention de départ pour Le Moujik et sa femme ?
Jean-Louis Murat: Je voulais revenir à une conception artisanale des choses. Dans Mustango, on perdait un peu de vue les chansons – dans les arrangements, dans les textes un peu trop capricieux, un peu trop de moi à moi. Tout était passé dans Pro Tools, les couplets déplacés, tout fabriqué avec des morceaux de plein de prises mélangés : la magouille habituelle de tout le monde, parce qu’on a trop de pognon et trop de temps pour faire un disque. Avec ces outils, n’importe quelle petite chanson à la con permet de jouer à l’artiste, n’importe qui peut faire un disque qui se tient à peu près. Avec ce disque, j’ai essayé de corriger un peu ça, d’avoir des chansons qui excluent moins l’auditeur.
RFI: Vous avez recherché une plus grande maîtrise…
J-L M: Je ne sais pas si je suis arrivé à maîtriser quoi que ce soit. C’est comme l’artisan qui dit : « je vais faire le socle en merisier plutôt qu’en tilleuil » – de l’artisanat comme j’essaie d’en faire dans mon tout petit domaine para-culturel.
RFI: Ecrivez-vous facilement vos chansons ?
Je lis dans les interviews que certains chanteurs travaillent au long cours - trois phrases un jour, le refrain un autre jour, trois mois après. Je me demande comment ils font. Ce que je dois gérer, c’est que j’en écrirais trop. Au mois de mai-juin derniers, je suis parti à New York. Les quinze derniers jours du séjour, je me suis dit qu’il fallait écrire des chansons. Je m’y suis mis quatre heures tous les matins. J’en ai fait vingt-cinq, dont des chansons formidables. Je n’en ai pas enregistré une seule. Il faut une bonne préparation, de bonnes lectures, de bonnes activités sportives. Je me gère biologiquement, mentalement, je laisse monter, monter, jusqu’à ce que je devienne comme un bloc notes. Si je me mets en transe, je peux écrire beaucoup, parfois trois chansons en quatre heures. Je ne réfléchis pas trop, j’écris et je ne reviens pas dessus. Comme, maintenant, je passe plus de temps à peindre et à dessiner qu’à écrire, je me rends compte que c’est mon meilleur mode de fonctionnement. Je suis très mauvais si je dois faire deux fois la même chose, si je dois revenir sur ce que j’ai déjà fait. Je suis très bon en deux ou trois heures. Après ça se dilue. J’essaie d’être prêt et d’aller vite.
RFI: On voit quelques-unes de vos toiles sur votre site internet, mais quand allez-vous exposer vos peintures ?
J’ai trouvé une bonne méthode : à la maison, j’ai aménagé une pièce en salle d’exposition - je l’appelle My Sweet Little Sixtine. Une fois par mois, je remplis la pièce et je fais une inauguration en invitant les potes. Ce que je fais est tellement impudique... J’y vais à fond. Je peux montrer ce que je fais à ma copine et mes copains - et encore, même les copains sont gênés. L’autre jour, ma mère voulait les voir, je lui ai dit non. D’ailleurs, une fois, elle est venue à un concert. Elle s’est assise au premier rang. C’était terrible, je n’avais jamais envisagé ça, que ma mère puisse être à un concert.
RFI: De quelle tendance vous sentez-vous proche, picturalement ?
Comme disait Cézanne, le seul professeur de dessin, c’est le Louvre. On peut dire la même chose sur la musique : si tu veux faire des progrès, il faut méditer, faire des exercices sur ce qui a déjà été fait. J’ai toujours eu conscience que la vie me demande de réactiver des choses du passé, d’avoir une mémoire courte et une mémoire longue bien structurées, que les milliers de chansons que j’ai entendues soient bien rangées sur les rayonnages. Mon talent, c’est de faire le tri.
RFI: Comme d’habitude, vous avez déjà commencé à travailler sur votre prochain disque ?
Dans la vie en général, j’aime me comporter comme ça : essayer d’avoir un coup d’avance sur le destin. J’ai toujours un autre disque prêt. A la sortie d’un album, je ne peux pas avoir l’esprit complètement en vacances, il faut qu’il y ait quelque chose en train. C’est à feu continu, comme les vieilles cuisinières, ça m’évite un trop gros stress. A chaque réaction négative sur le nouveau disque, je me dis que je m’en fiche, que dans un an j’en sors un autre encore mieux.
Jean-Louis Murat en tournée : le 13 avril à Lyon , le 16 avril à Clermont Ferrand, le 17 avril à Grenoble, le 18 avril à Marseille , le 19 avril à Perpignan, le 20 avril à Montpellier, le 22 avril à Paris, le 23 avril à Genève, le 24 avril à Mulhouse, le 25 avril à Strasbourg, le 26 avril à Nancy, le 30 avril à Angers et les 3 et 4 mai à Rennes.
Jean-Louis Murat Le moujik et sa femme (Virgin-Labels)