PRINTEMPS DE BOURGES…et fin

Bourges, le 14 avril 2002 - Deux des meilleurs exportateurs français de musique se retrouvaient à Bourges pour des projets singuliers : Jean-Michel Jarre pour un concert en tout petit comité, Yann Tiersen avec un orchestre symphonique... Tandis que l’électro oscille entre enracinement fécond et hype qui se dégonfle.

Avant et après la French touch

Bourges, le 14 avril 2002 - Deux des meilleurs exportateurs français de musique se retrouvaient à Bourges pour des projets singuliers : Jean-Michel Jarre pour un concert en tout petit comité, Yann Tiersen avec un orchestre symphonique... Tandis que l’électro oscille entre enracinement fécond et hype qui se dégonfle.

Longtemps, on a considéré que la France ne savait pas exporter sa musique. Les Français ne sont pas des gagneurs, leur langue ne swingue pas, ils n’ont pas de talent rythmique - et Edith Piaf était d’un autre temps, ma bonne dame. Avec les prodiges à l’exportation de la French touch, les milieux de la musique sont saisis d’ambitions nouvelles et on apprend aussi à reconnaître que quelques précurseurs avaient ouvert la voie. Ainsi, les « audio brunchs » du Printemps de Bourges se sont-ils centrés cette année sur des rencontres entre grands anciens et jeunes talents de l’électro.

La présence de Jean-Michel Jarre était naturelle : ancien étudiant de Pierre Schaeffer au Groupe de recherche musicale, il a donné à la musique électronique française son premier grand succès international avec Oxygène, puis parcouru le monde avec de gigantesques spectacles. Longtemps considéré comme une exception (un Français qui s’exporte), il rappelle maintenant combien il préfigurait le succès mondial de Daft Punk ou Air. D’ailleurs, dit-il, «j’ai toujours considéré le rock comme une musique ethnique anglo-saxonne ». Le paradoxe était donc stimulant, vendredi en début d’après-midi, de le voir jouer pour à peine plus de cent invités dans la salle du palais Jacques-Cœur, devant une énorme cheminée Renaissance.
« Je suis soigneux », prévient-il : il est venu avec son VCS III, le premier synthétiseur de l’histoire, qu’il avait acheté en 1966, et également un vénérable theremin fabriqué juste après-guerre sur le modèle du premier instrument électronique, créé par Léon Theremin dans les années 20. Outre ces instruments, il utilise deux séquenceurs des années 80 ainsi qu’une groovebox toute neuve. En presque une heure, il présente quatre courtes pièces, dont une composition datant de ses études, dans les années 60. On reconnaît çà et là une part de la fluidité du « son Jarre » (comme la fameuse onde basse serrée d’Oxygène), mais également des textures beaucoup plus denses, parfois franchement schaefferiennes, parfois puisées dans la palette électronique actuelle. Et on sent une intelligence musicale en action : Jean-Michel Jarre joue avec les émotions de dancefloor avec des montées rythmiques house qu’il désamorce, détourne ou déforme avec une sorte de gourmandise de la frustration, puis il lance des passages établissant un pont culturel entre les manières du new beat belge du début des années 90 et le big beat anglais...

Leçon d’histoire ? Ce n’est pas la seule. Au brunch de samedi, X-Tra Systoles venait jouer la musique de Jean-Jacques Perrey, pionnier d’une pop électronique humoristique dans les années 60. N’arrivant pas à convaincre le milieu de la musique en France, il finit par partir aux Etats-Unis où il travailla pour Disney (on joue encore sa musique à Disneyland, pendant la fameuse « parade électrique »), la publicité, la télévision et le disque pour enfants. X-Tra Systoles reprend sa musique dans une débauche de grincements, de bâillements et de rots électroniques, et avec une solide bonne humeur : costumes clownesques, trombone rallongé avec du tuyau d’arrosage, chant abstrait, percussions à l’à-propos franchement comique... Et la mince techno limpide de Soul Designer répondant à Jean-Michel Jarre, comme la fantaisie délirante de Roudoudou venant après X-Tra Systoles, permettent de lire des filiations entre le paysage électronique du siècle dernier (eh oui, l’expression est cruelle mais commode et signifiante) et cette tendance si heureusement créative aujourd’hui, qui affirme travailler la musique électronique pour donner plaisir et sourire à l’auditeur.

On peut considérer d’une tout autre manière le concert de DJ Mehdi, vendredi soir à Germinal : producteur courtisé (de MC Solaar au 113), signataire d’un disque bien promotionné (The Story of Espion), il était précédé d’une hype forcenée, qui s’est révélée une imposture. Il a en effet donné un concert encombré de lieux communs volatiles, se résumant au catalogue des conformismes provisoires du moment : le guitariste qui joue de la flûte traversière, une bassiste-chanteuse interprète de soul contemporaine, et toutes les couleurs de son faisant référence aux années 70, qui encombrent aujourd’hui la publicité et l’aménagement sonore des lieux branchés - une musique sans grâce ni nécessité. Et, pourtant, DJ Mehdi est présenté çà et là comme une référence des nouveaux prodiges de la French touch.

L’autre chemin vers l’étranger de la musique française était également présent à Bourges : avec les ensorcelantes ondes Martenot pour seul instrument électronique, Yann Tiersen présentait samedi soir une opulente création coproduite par le Printemps de Bourges et la Cité de la musique à Paris. Outre son groupe de scène habituel et les Têtes Raides venus pour jouer quelques titres avec lui, la scène était occupée par la cinquantaine de musiciens de l’ensemble orchestral Synaxis dirigés par Guillaume Bourgogne.

Salle comble au Palais d’Auron pour le musicien, compositeur et chanteur qui est passé en quelques années de l’attention du public branché à la passion d’un grand public populaire qui s’élargit sans cesse : la bande originale du Fabuleux destin d’Amélie Poulain dépasse aujourd’hui le million d’exemplaires vendus, dont près de 400.000 à l’exportation. Mélancolies douces, tendresses à grand spectacle, nostalgies navrées portées au sublime par le large travail de l’orchestre - un des plus mémorables concerts de ce 26e Printemps de Bourges. Et le contraste est significatif de la puissance de conviction que le festival peut déployer pour inventer des projets singuliers : Jean-Michel Jarre jouant pour quelques dizaines de spectateurs un spectacle unique et Yann Tiersen donnant à un public « ordinaire » un concert si vaste qu’il y a peu de chances qu’il se renouvelle.

Bertrand DICALE