DISPARITIONS

Francis Lemarque et Pierre Rapsat

Francis LEMARQUE

Paris, le 22 avril 2002 - Il a connu le Paris de la grande époque, celle où se croisaient Montand, Prévert ou Patachou sur les scènes et dans les cabarets. Il fut d'ailleurs un des plus grands auteurs que la chanson française ait connu dans ces années-là. On lui doit entre autres, A Paris ou Marjolaine. Francis Lemarque s'est éteint ce samedi 20 avril à l'âge de 84 ans à son domicile de la région parisienne.

Celui qui a magnifié Paris, est né Nathan Korb le 25 novembre 1917 à Paris, rue de Lappe dans le quartier de la Bastille. Ses parents juifs émigrés d'Europe de l'Est, travaillent dans la confection. Lancé très tôt dans le monde du travail, il gardera de cette période une conscience aiguë de la lutte ouvrière. Avec son frère Maurice, il forme un duo de chansonniers Les Frères Marc et se font remarquer par le poète Jacques Prévert. Ils écrivent quelques textes et intègrent par la même occasion la fameuse "bande à Prévert" : Joseph Kosma, Paul Grimault ou Mouloudji. Mais la Deuxième guerre mondiale éclate et Nathan, militant communiste s'engage dans la Résistance.

Après la guerre, il reprend son activité de chansonnier et se produit dans les cabarets rive-gauche. La rencontre déterminante (pour sa carrière) a lieu en 1946 par le biais de Prévert : le jeune Montand, star en devenir de la chanson française choisit plusieurs textes de Nathan Korb devenu Francis Lemarque. L'auteur a trouvé son interprète, sa voix. A Paris sera un succès énorme, suivront Ma douce vallée, Mathilda, etc. Francis Lemarque écrira pour les plus grands de Gréco à Henri Salvador en passant par Marcel Amont, André Claveau, Lucienne Delyle, Patachou et d'autres encore. Comme compositeur, il travaillera pour le cinéma en écrivant la musique de Maigret voit rouge et Le cave se rebiffe, films de Gilles Grangier, Playtime de Jacques Tati ainsi que pour des séries télévisées.

Il aura plus de difficultés à imposer ses talents d'interprète. Marjolaine restera sans doute son plus grand succès personnel. Il se plaira bien sûr, en chantre du Paris populaire, de la valse, des cabarets et des guinguettes. "Sans Paris, je ne serais jamais devenu auteur-compositeur", avait coutume de dire Francis Lemarque. Les modes et tendances qui traversèrent la deuxième moitié du XX ème siècle n'eurent que peu d'influence sur cet artiste à qui seuls les mélodies, les airs et ritournelles semblaient plaire. C'est sans doute la raison pour laquelle les jeunes générations ne connaissent pas ou très peu son œuvre, celle d'un artiste d'après-guerre qui laisse derrière lui un grand nombre de chansons appartenant d'ores et déjà au Patrimoine de la chanson française.

V.Passelègue

Les rues de mon quartier Flarenash
Marjolaine (Best of) Polygram/Universal

Pierre RAPSAT

Bruxelles, le 22 avril 2002 - Pierre Rapsat est décédé dans la nuit de samedi à dimanche à Verviers (Est de la Belgique) des suites d'un cancer. Avec lui, s'éteint un des artistes majeurs et sans doute, les plus sincères de la Belgique francophone d'aujourd'hui. D'un talent indéniable, mais qui n'a pas été reconnu totalement, il excellait à marier les sons rock à la poésie de la langue française. Inutile de préciser que son décès provoque une émotion importante en Belgique.

Né le 28 mai 1948, à Ixelles (une des communes de Bruxelles), Pierre Rapsat, Raepsaet pour l'état civil, a produit depuis ses débuts, dix-sept albums. Adolescent, il se nourrit aux deux mamelles de la pop rock anglaise (Beatles et autres Rolling Stones) et de la chanson française à texte (Léo Ferré, Georges Brassens...). Il s'achète une guitare, qui restera son instrument de prédilection, et à 20 ans fonde son propre groupe, Laurélie, qui sort un premier vinyl avant de se dissoudre rapidement. Auteur, compositeur, interprète, Pierrot pour les intimes, passe par l'école des orchestres de bal, compose pour les Tenderfott Kids, un groupe très en vogue dans les années 70 et participe, comme bassiste à la formation bruxelloise, Jenghis Khan. Mais c'est en solo qu'il se fera un nom.

En 1973, il sort son premier album, New York, en anglais et en français. Une innovation remarquée par les principaux critiques tant Pierre Rapsat invente, comme Michel Jonasz plus tard, un rock à texte, mature et mélodieux. Après une participation à l'Eurovision, en 1976, avec une chanson Judy and Cie, il abandonne définitivement la langue de Shakespeare au profit de celle de Molière, qui lui permet de donner pleine puissance à ses jeux de sonorités sur les mots. Les disques vont ensuite se succéder, au rythme de pratiquement un par an : de Je suis moi (1977, avec les Artistes d'eau douce et l'Enfant du 92e interprétée par Jeanne-Marie Sens), à Lâchez les fauves (1982, double disque d'or), ou J'aime ça (1986).

Cette même année, Pierre Rapsat se taille un joli succès en réunissant 8.000 personnes à Forest National, la grande salle de Bruxelles. Sa relation avec le public est d'ailleurs toujours cordiale et puissante. L'artiste aime se donner à fond. Et ses concerts sont souvent pleins. Mais il a davantage de difficultés avec les maisons de disques. Il subit alors une petite traversée du désert. Thierry Coljon, spécialiste de la chanson française au quotidien Le soir, n'hésite pas à le qualifier "d'artiste qui a sans doute battu le record du nombre de firmes de disques pour un seul homme". C'est avec l'équipe des Francofolies de Spa, auquel il donne un sérieux coup de pouce au passage, qu'il amorce son retour. Passager d'un soir (1996), est enregistré ainsi à cette occasion. Puis Volte-face marque le début de sa collaboration avec Didier Dessers. Enfin, son dernier album, Dazibao, est un réel succès. Disque d'or en Belgique, il révèle un chanteur en pleine maturité et signe aussi le retour du chanteur en France. Mais ce qui aurait dû être la consécration est interrompu par la maladie. Il annule in extremis sa participation aux Francofolies de Spa, en juillet 2001. Il doit également, à son regret, annuler sa participation au concert de Maurane à l'Olympia en septembre de la même année. Les annulations se succèdent. Il remontera néanmoins sur scène quelques jours après.

En octobre dernier, il avait ainsi donné un concert exceptionnel au Cirque royal à Bruxelles, en compagnie de l'Ensemble des musiques nouvelles. L'album enregistré à cette occasion - comprenant également un duo inédit enregistré en studio avec Lio - devait sortir fin avril et marquer son grand retour. Pierre ne l'aura raté que de quelques jours... Illusion.

Nicolas Gros-Verheyde (à Bruxelles)

o Dazibao (Team For Action 2001)
o L'album "live" sort le 25 avril (Viva Disc / Tél. 00 322 269 4473. mail : viva.nova@skynet.be
o Une émission spéciale est programmée sur la RTBF (télévision belge) le 30 avril.