Indochine

Seul aux commandes depuis les départs successifs de Dimitri et Dominique, et la mort brutale de son frère Stéphane, Nicola Sirkis continue d’écrire l’histoire d’Indochine. Paradize, dix-septième album du groupe phare des années quatre-vingt, ne verse ni dans le passéisme, ni dans une nostalgie mal à propos. Au contraire, radical, sans concession, ce nouvel opus débordant d’une énergie entre rock et punk, se veut le témoin d'une renaissance.

L’enfant du Paradis

Seul aux commandes depuis les départs successifs de Dimitri et Dominique, et la mort brutale de son frère Stéphane, Nicola Sirkis continue d’écrire l’histoire d’Indochine. Paradize, dix-septième album du groupe phare des années quatre-vingt, ne verse ni dans le passéisme, ni dans une nostalgie mal à propos. Au contraire, radical, sans concession, ce nouvel opus débordant d’une énergie entre rock et punk, se veut le témoin d'une renaissance.

De luxueux collaborateurs

Paradize, la dernière livraison en date d’Indochine, est à la fois le dernier volet d’une trilogie entamée avec les albums Wax (1996) et Dancetaria (1999) et le premier disque à ne compter qu’un seul membre de la formation des débuts. Autre première, Nicola Sirkis, rescapé de la première heure, s’offre un duo avec l’ex-bassiste des Smashing Pumpkins, Melissa Auf Der Maur, et partage sa plume sur plusieurs titres. «C’est vrai qu’être seul ne m’intéresse pas et que je m’entoure toujours de gens, sans doute parce que comme ma famille était un peu désunie, j’ai toujours besoin d’avoir des gens autour de moi ». De Gérard Manset à Jean-Louis Murat, en passant par les Stéphanois de Mickey 3D ou les romancières Ann Scott et Camille Laurence, Paradize aligne les collaborations de luxe. «Ils viennent d’horizons totalement différents. Ce sont des gens que je lis dans la vie privée et je ne m’attendais pas du tout à ce qu’ils réagissent positivement puis qu’ils fassent quelque chose. Mais ça donne une espèce de truc assez incroyable sur cet album. Il y a eu un état de grâce quand on a commencé à écrire, par rapport à la force des mélodies. Puis tout d’un coup, j’ai appelé une personne, puis deux, puis trois etc…, tout le monde a dit oui ! ».

Si en 1992, il sortait sous son nom l’album Dans la lune, Nicola, qui incarne plus que jamais le groupe phare des années 80, cultive le goût du travail collégial. «Je suis très bien dans la configuration groupe. Ça ne m’intéresse pas aujourd’hui d’avoir une carrière solo, d’être en concurrence ici en France avec des chanteurs dits ‘de variété’. Etre dans un groupe de rock, c’est ce qu’il y a de mieux. On est dans une famille, il y a une collaboration, j’ai toujours été formé comme ça». Car Indochine fait du rock, et pas autre chose ! «On n’a pas changé de style. On a évolué bien sûr, mais on n’a pas trahi, on ne s’est pas posé en opportuniste un peu vicieux. Si nous avions été opportunistes, nous serions allés directement vers les plus gros vendeurs de disques ou bien nous aurions fait du rap ou de la techno. Nous, on est blancs !». L’intégrité, la sincérité restent les maîtres mots de Nicola. C’est sans doute la raison pour laquelle ses textes touchent plusieurs générations de fans, sans pour autant jouer la carte de « l’émotion dans le marketing ou du marketing de l’émotion».

Retour aux inspirations rock

Paradize est donc un brûlot rock brut de décoffrage. Un album qui louche du côté de Cure ou des Smashing Pumpkins. «Pour moi, c’est ce qu’il y a de meilleur depuis vingt ans. Quand on écoute Daft Punk qui dit avoir rendu "un hommage aux années quatre-vingt" en prenant le pire de cette période, je suis plutôt fier d’avoir fait cet album-là. Pour moi, le meilleur de ces vingt dernières années, ça passe par Cure, New Order, Depeche Mode et Marylin Manson

Car Indochine mène sa barque depuis deux décennies, vaille que vaille, malgré un virage difficile au début des années quatre-vingt-dix. Un temps ringardisé par la presse rock, le groupe a, selon ses dires, tout connu : «Un succès qui est venu tout seul, la sur-médiatisation, et après ne l’ayant plus connue, on s’est aperçu que la musique tient toujours le coup, quoiqu’il arrive. Alors qu’on nous a démolis en disant que ça ne tiendrait jamais, que la musique était nulle ! Mais même quand on n'en parle pas, quand ce n’est pas l’événement du moment, les gens sont attirés par Indochine et vont chercher la musique, par eux-mêmes. Les fans du groupe font un lobbying très puissant, ils font écouter nos chansons à d’autres qui leur répondent : ah, on ne savait pas que c’était comme ça !, moi, je suis fier de ça, de démontrer effectivement que les gens ne sont pas que des moutons ! ».

Indo se faufile entre les enjeux médiatiques et les plans marketing la tête haute, guidé par une indéfectible fougue et une franchise adolescente. «Je suis ravi qu’on ne fasse pas l’unanimité, qu’on ne sache pas si on existe ou pas pour la plupart des gens, qu’on ait l’impression que c’est un retour alors qu’en fait on a toujours été là et qu’on est le seul groupe à avoir plus de vingt et un ans d’existence et à avoir trois ou quatre générations dans notre public ! Ça marque cette différence, ça me plaît bien ! ».

L'éternel contestataire

Toujours un pied dans la contestation, Nicola, grand garçon de quarante et un ans qui dans le premier opus d’Indochine reprenait L’Opportuniste de Dutronc, résume sa philosophie : «Emmerder tout le monde ! Quoiqu’il arrive, on est là ! Et je n’ai pas besoin de serrer la paluche à Pascal Obispo ou autre chose pour être reconnu !». Pour Nicola, musique rime avec combat. Sur le site web du groupe, il épingle une industrie du disque «qui ne se cache même plus, n’a plus honte de ce qu’elle fait ». Clin d’œil à peine masqué à un procès avec BMG, ancienne maison de disques d’Indo qui, sans son accord, a sorti une compilation quelques mois à peine après la mort de son frère Stéphane.

Mais aussi à certaines émissions TV qui prétendent fabriquer des artistes. Ou plutôt selon lui «des gens qui se regardent dans la glace toute la journée et qui veulent être la nouvelle Britney Spears. Quand on voit Popstars ou Star Academy, on a envie de se pendre ! On se retrouve avec des sortes de Robocop de la chanson ! Si on peut appeler ça de la chanson… Et on les formate ! C’est de l’EPO¹ pour la musique !». Et l’improbable Don Quichotte à la guitare en bandoulière d’attaquer les rouages du système. «On ne va pas accuser les prostituées, on va accuser les proxénètes, c’est ça le truc. Surtout que ça se passe au grand jour, à 20h30 sur des grandes chaînes de TV. C’est pour ça que je dis que cette industrie n’a plus honte. Si encore les gens qui avaient fabriqué ça, étaient venus d’autre part… Mais j’ai des amis qui ont fait partie de ce projet-là, des types qui aiment le rock et qui font ça ! Ça me déstabilise beaucoup ! J’ai l’impression qu’il y a une trahison. Et il n’y a aucune justification : c’est une réussite économique, mais qu’on ne vienne pas me parler de musique ! ».

Une page se tourne

Nicola a gardé le feu sacré, l’amour de la musique. Avec Paradize, il balaie les clichés qui veulent faire d’Indo un groupe has been, une icône eighties. La formation a su évoluer et est plus vivante que jamais. Même si l’album s’achève sur un presque adieu, Un singe en hiver, signé Murat, qui raconte un Indochine mettant la clé sous la porte. « Cet album marque, quoiqu’il arrive, la fin de quelque chose. C’est possible qu’il s’agisse du dernier album d’Indochine, pour différentes raisons. Par rapport à mon âge notamment, ça fait vingt et un ans que je bosse là-dessus, et il est peut-être temps de passer à autre chose. Pour l’instant, l’album est fait, on va être sur scène pendant un an et demi, voire deux. Je vais avoir envie d’écrire d’autres choses, mais je ne sais pas encore quelle figure ça va avoir. Donc, c’est possible que ce soit la dernière tournée du groupe. Je ne peux pas le certifier, je ne veux pas m’en servir comme un acte marketing ou un argument de vente. Est-ce qu’il y a encore un combat à mener ? J’ai quelques idées, mais rendez-vous dans un an et demi ! Je n’ai pas envie de garantir un autre album tout de suite même si j’ai encore deux albums à devoir à Columbia ! ». Sans faux calculs, l’intégrité chevillée au corps, Nicola se souvient qu’il a jadis chanté l’Aventurier !

¹ Produit dopant utilisé par les sportifs.
Indochine Paradize (Sony/Columbia 2002)
Indochine en concert le 19 mai 2002 à Strasbourg (Festival Artefact), le 23 juin à Luxembourg (Festival Steelwork).