François Hadji-Lazaro
Multi instrumentiste, comédien, instigateur d’au moins trois groupes en parallèle (les Garçons Bouchers, Pigalle et Los Carayos), François Hadji-Lazaro était aussi l’ex-Boucher en chef du furieusement indépendant label Boucheries Productions. Disparus des étals depuis les années 90, tous ses albums sont enfin réédités en CD dans la foulée joyeuse du nouvel opus de l’imposant François. Véritable kaléidoscope d’une sono mondiale aussi joviale et utopique qu'iconoclaste, il l’a intitulé Et si que… ?, comme un pavé jeté dans la mare musicale actuelle.
Epopée d’un Garçon Boucher.
Multi instrumentiste, comédien, instigateur d’au moins trois groupes en parallèle (les Garçons Bouchers, Pigalle et Los Carayos), François Hadji-Lazaro était aussi l’ex-Boucher en chef du furieusement indépendant label Boucheries Productions. Disparus des étals depuis les années 90, tous ses albums sont enfin réédités en CD dans la foulée joyeuse du nouvel opus de l’imposant François. Véritable kaléidoscope d’une sono mondiale aussi joviale et utopique qu'iconoclaste, il l’a intitulé Et si que… ?, comme un pavé jeté dans la mare musicale actuelle.
C’est dans le XIVème arrondissement de Paris que François pousse ses premiers cris. Son père est grec musulman, sa mère française. Il grandit, benjamin d’une famille nombreuse, dans un milieu populaire. Ses parents pourtant cultivés, ne s’intéressent pas à la musique. François choisit son camp et découvre Bob Dylan, la guitare acoustique et les sources du folk américain avec Woodie Guthrie et les mélanges du blues, du folk et du country. Il s’initie seul à la méthode du picking, base du folk-song de l’époque. Après le folk américain, il dévore les autres : irlandais, écossais, français, scandinave ou tzigane. Et cet appétit musical insatiable le conduit à s’exercer sur beaucoup d’instruments nouveaux comme la flûte traversière en référence à Jethro Tull mais aussi le violon et l’accordéon.
Rock et bourrée
C'est l'époque, le milieu des années 70, où François trafique dans le pinard pour pouvoir s’offrir tous ces instruments onéreux, passant volontairement à côté de tout ce qui, à ce moment-là, est rock et branché. C'est une question de conscience politique, le côté "fils de bonne famille s’excitant sur le rock'n'roll" ne correspondant en rien à ses motivations. Comme il ne connaît aucun autre musicien, notre garçon forme sur le tas d'anciens camarades de lycée pour l’accompagner. A force de travail, il arrive une sorte de cohésion. Parallèlement, François fait l’Ecole Normale d’Instituteurs et des tas de boulots divers, mais sa seule constante reste la musique. Il joue avec ses potes l’été sur les plages, mélangeant à peu près tous les folklores imaginables, chacun maîtrisant trois ou quatre instruments. Mais les badauds sont sensibles à cette diversité, de la bourrée auvergnate à la musique tzigane.
Hélas, une bonne partie de ce que gagne le musicien part dans l'alcool. Il s’enfonce dangereusement dans la précarité. Et puis un jour, il trouve un petit local de répétition à Pigalle. Une dame gentille accepte de lui prêter sa cave. «On cherchait un nom. Alors comme nous étions à Pigalle, et plein d’ambition, on s’est dit qu’avec un nom comme Pigalle, connu au fin fond de l’Afrique et de l’Orient, nous serions un groupe forcément international», raconte aujourd’hui FHL. Avec Eric Blank, un voisin chanteur qui vit comme lui dans le XIIIème, à Chinatown, et Riton, le bassiste des Parabellum, François monte une seconde formation. «On a appelé cela les Garçons Bouchers, pour le côté "garçons" à la fois jeune et fou et pour le côté "bouchers" violent et assez dur. En fait, par hasard dans le groupe, il y avait aussi deux vrais garçons bouchers qui avaient exercé l’un à Amiens et l’autre à Troyes.» Du jour au lendemain, le combo se distingue par des concerts particulièrement virulents. Et sur le pavé de Paris, très vite, le bouche à oreilles fonctionne.
Bière et boucherie
Les Garçons Bouchers ne sont pas exclusivement focalisés sur la musique punk, ils ont aussi un côté festif avec des références comme Madness qui leur inspire le fameux Ska des Garçons Bouchers ou reggae aussi avec un morceau intitulé Noir et blanc sur le thème de l’apartheid. Avec Manu Chao et des musiciens de divers groupes alternatifs, François crée Los Carayos, publié sur Boucheries comme les Crab’s de Lyon, Clarika ou les Chihuahuas. Depuis Téléphone et Indochine, la scène rock s’était cristallisée. Le public attend cette vague rafraîchissante et impertinente. Un circuit parallèle de radios libres qui s’intéresse à tout ce qui est créatif, avec de petits concerts organisés sur des bases associatives et tout un réseau de fanzines soutient cette mouvance.
Circuits parallèles
Parallèlement, dès 1987, le cinéma s’empare du personnage riche en couleurs du leader de Boucheries. Bertrand Tavernier, José Dayan, Caro et Jeunet, Claude Zidi, Georges Lautner et bien d'autres lui offrent leur écran plus large que la vie. Mais c’est bien la zique qui fait battre son cœur : «Comme Boucheries marchait bien, on a pu enregistrer le deuxième album sur une plus longue période avec une section de cuivres. On l’a intitulé Tome II en l’illustrant du fameux tableau de Rembrandt Le bœuf écorché. Et puis on a fait un morceau d’une fameuse musique pas encore connue en France, le rap. Et ce Rap des Garçons Bouchers est devenu un phénomène; moi quand je passe dans les banlieues il y a encore des petits jeunes qui me font : «C’est toi le rap rap… des Garçons Bouchers ! » se souvient le mentor des Garçons.
Face au succès des Garçons Bouchers, Pigalle reste en points de suspension. François décide alors de graver un ultime album, la dernière cartouche; Pigalle en tant que tel n’existe plus. Publié sur Boucheries, évidemment, le 33 tours en très peu de temps se met à exploser sur la lancée de cette composition qui reste dans les annales : Dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs. Et Pigalle, groupe moribond redevient brusquement un groupe vivant avec l’apport d’autres musiciens. Propulsé par son tube, le groupe commence à drainer dans les concerts un public de plus en plus important et encore distinct des aficionados des Garçons Bouchers. De son côté, Manu Chao commence à répéter avec son autre groupe baptisé la Mano Negra et souhaite faire un album et un clip. De façon logique, par la connexion Los Carayos, il choisit Boucheries pour l’enregistrer. Et l’album fait un tabac, tout comme les concerts, jamais un groupe alternatif n’avait explosé aussi vite. «On a vu qu’on n’avait pas les moyens d’assurer un truc pareil. Nous étions dépassés par les évènements. On n’avait pas les épaules assez solides. Tout de suite, il y a eu des demandes des grosses boites. Et la Mano avec notre bénédiction est passé sur une major. Mais cela a créé un précédent et une grande partie des groupes alternatifs se sont dit, "puisque la Mano le fait, on va le faire aussi". Nous avons commencé à sentir que cela allait être plus difficile pour nous de tenir à Boucheries. Nous avons pourtant fait le 4ème album de Pigalle qui s’appelait Rire et pleurer. Et Vacarmélites un nouvel album des Garçons Bouchers avec une pochette de Roland Topor, le dessin d’une nonne les seins à l’air. Par contre, tout le mouvement alternatif dont Boucheries faisait partie était moribond. Les Béruriers Noirs s’étaient mis en guerre contre leur propre label Bondage. Les groupes mouraient au fur et à mesure. Et puis les tentatives de récupération du système s’avéraient inefficaces, cela a donc cassé le marché.» se souvient François avec mélancolie.
Dépôt de bilan
En 1995 sort l’ultime album des Garçons Bouchers Ecoute petit frère. Le titre porte bien son nom : il s’adresse à la jeune génération. «On expliquait aux petits frères, aux petites sœurs de ceux qui nous suivaient qu’il fallait prendre du recul. Pigalle qui correspondait à un public plus mélangé et moins "adolescent" pouvait encore continuer» explique t-il. François enregistre ensuite un disque avec Roland Topor François dé-texte Topor. Mais il marque le chant du cygne de Boucheries. «Il fallait s’arrêter c’était obligé. C’était un peu une défaite. Et j’ai aussi commencé à me poser des questions sur ce que j’allais faire. J’avais commencé à enregistrer un nouvel album mais je n’avais plus la force de remonter une société. C’était encore plus difficile qu’auparavant. Et les boites se sont bouffées entre elles pour devenir de plus en plus grosses." "Le choix est aujourd’hui extrêmement limité, continue t-il. Il s’est avéré qu’à ce moment-là, dans la discussion qu’on a eu sur les droits de Clarika avec Universal, le grand chef Pascal Nègre a fait cette proposition disant : pourquoi on ne sortirait pas les disques de François Hadji-Lazaro comme le nouvel album, ainsi tout cela ne passera pas à la trappe ! Pour moi l’essentiel était de continuer à créer, à faire des disques. Et c’est pour cela que toute la discographie des Garçons Bouchers et de Pigalle ressort et ce disque que j’avais commencé intitulé Et si que… ? peut ainsi sortir lui aussi. En le faisant seul, cet album, cela m’a permis de repartir sur plein d’influences diverses. Il y a des côtés que l’on peut rapprocher des Garçons Bouchers, d’autres de Pigalle ou d’autres des Carayos avec des côtés aussi bien rigolos que caustiques. Je me suis libéré, j’ai fait vraiment ce dont j’avais envie. Et les influences sont multiples puisqu'on retrouve des sons aussi bien d’inspiration cajun que de la musique tzigane ou yiddish comme de la musique du Cap-Vert."
Avec son éclectisme bigarré et sa farandole d’instruments hétéroclites, sa poésie corrosive et son utopie oxygénée, définitivement rangé des camions punkisants de son adolescence tumultueuse, François Hadji-Lazaro en épicurien rock nous offre avec Et si que… ? toute sa vigoureuse maturité, comme ces grands crus qu’il affectionne tant.
François Hadji-Lazaro Et si que… ? (Island France/Universal) 2002