Alpha Blondy

Même si le succès, mérité, de Tiken Jah Fakoly ne cesse de grandir, il ne faut pas oublier Seydou Koné, dit Alpha Blondy. Né en 1953, celui qui fait presque figure d’"ancien", au regard des 33 ans de la nouvelle coqueluche de Côte d’Ivoire, a été le premier à installer le reggae africain sur la scène internationale. Il fête cette année ses vingt ans de carrière et n’a rien perdu de sa verve vindicative comme en témoigne son nouvel album, Merci.

Bon pied bon oeil

Même si le succès, mérité, de Tiken Jah Fakoly ne cesse de grandir, il ne faut pas oublier Seydou Koné, dit Alpha Blondy. Né en 1953, celui qui fait presque figure d’"ancien", au regard des 33 ans de la nouvelle coqueluche de Côte d’Ivoire, a été le premier à installer le reggae africain sur la scène internationale. Il fête cette année ses vingt ans de carrière et n’a rien perdu de sa verve vindicative comme en témoigne son nouvel album, Merci.

RFi Musique : Vingt ans se sont écoulés depuis la sortie en Afrique de votre premier enregistrement, Jah Glory. Faut-il lire dans le titre du nouvel album Merci, une notion d’épilogue, une manière d'"au revoir" ?
Alpha Blondy : Certainement pas. Le combat continue comme s’il venait de commencer. En fait, je remercie tous ceux qui de près ou de loin ont contribué à bâtir ma carrière. Merci aussi à mes détracteurs qui grâce à leurs critiques acerbes m’ont aidé à me corriger, à parfaire mon travail. Merci enfin à Dieu qui a permis tout cela.

L’idée de combat revient comme un leitmotiv dans vos propos et dans ce que vous chantez.
La vie est un combat. On doit même se combattre soi-même dans le souci de s’améliorer. On n’a jamais fini de grandir et d’apprendre. Et puis il y a aussi le combat que je mène contre la pauvreté, l’injustice, la misère, les dictatures. Ce combat n’a pas de répit pour moi. Dans le titre Politruc, je m’adresse à tous les frères qui ne sont pas socialement à l’aise. Je leur dis de ne pas se laisser abattre par les difficultés qu’ils rencontrent sur leur route. Des générations entières sont sacrifiées, les parents sont au chômage, leurs enfants n’ont aucune perspective, l’école bat de l’aile. Je les incite à se lever et à se battre car on est en train de leur refuser leur droit essentiel : le droit à la vie. A travers Le Feu, je fais une mise en garde à propos de tous les politiciens (la classe politique ivoirienne dans son ensemble) qui mettent en avant leurs querelles personnelles alors que le peuple est en train de souffrir dans la misère, la pauvreté. Ceux qui sont supposés trouver des solutions aux problèmes de la population se perdent dans des problèmes d’ego, des problèmes de personne.

L’album s’ouvre sur le titre Wari (l’argent) sur lequel vous avez invité Saïan Supa Crew. Quel message contient cette chanson ?
Contrairement à ce que dit le dicton, l’argent fait le bonheur, mais c’est un bonheur éphémère. Le bonheur véritable que nous nous procurons, c’est l’amour des autres. L’argent file mais l’amour que les gens ont pour vous peut s’avérer éternel. Dans cette chanson, je voulais faire une sorte de pont entre les générations. J’en ai parlé à ma maison de disques qui m’a proposé différents artistes anglo-saxons, mais moi, je préférais quelque chose de francophone plutôt. Les Saïan Supa Crew m’ont vraiment impressionné par leur verve et leur rapidité à s’adapter à cette musique-là.

Ophélie Winter intervient également sur l’album.
Dans le titre Who Are You ?, j’interpelle les Nations Unies à propos des mines anti-personnel. Comme j’avais su que la princesse Diana s’intéressait à ce sujet, j’ai voulu une voix maternelle. Ophélie Winter est venue joindre sa voix à la mienne pour faire passer le message.

Il y a les messages qui incitent à la réflexion et puis ceux suggérant la légèreté, comme Zoukefiez-moi.
On est là aussi pour donner du bonheur aux gens, pour les faire rêver. Je voulais faire quelque chose de dansant. La mission était : comment faire entrer le reggae dans les boîtes de nuit. C’était aussi pour faire un clin d’œil aux frères des Antilles. Car lorsque je suis passé là-bas, j’ai été très bien reçu. Bibi Den’s qui est congolais, m’a aidé à faire la phrase en lingala que contient ce titre.

Que pensez-vous de la faillite d’Air Afrique, symbole d’un certain panafricanisme économique ?
Cette faillite était prévisible. Quand les gouvernements prennent des crédits et qu’ils ne remboursent pas, quand les gens ne paient pas leurs cotisations et quand les gens qui étaient là lundi sont renversés mardi, rien n’est étonnant à ce que l’on en arrive là.

Le Forum pour la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire a demandé la reconnaissance de l’"ivoirité" de Monsieur Ouattara. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
L’ivoirité est devenue une sorte de sida politique en Côte d’Ivoire. Tout le monde a peur de ce mot "ivoirité". Je crois que le forum a permis à tous les Ivoiriens de vomir ce qu’ils avaient au fond d’eux, de cracher leur venin. Cela a eu un effet de thérapie collective et permis aux politiciens de cerner le malaise "ivoiritaire" qui mine la Côte d’Ivoire. Normalement donc maintenant Monsieur Ouattara pourra être candidat comme tout le monde aux prochaines élections présidentielles en 2005.

Les choses vont mieux aujourd’hui en Côte d’Ivoire ?
Après le forum, il y a une lueur d’optimisme qui apparaît à l’horizon. Si on arrive à sortir de la crise politique – celle-ci se résume au dossier Ouattara – la Côte d’Ivoire pourra peut-être renouer avec le succès économique. Le président de notre pays gagnerait à appliquer les résolutions du Forum concernant la lutte contre le tribalisme. Il faudrait que toute personne – gendarme, policier, fonctionnaire – coupable d’un acte de tribalisme soit jugée, car le tissu social, le tissu unitaire de la Côte d’Ivoire, est dangereusement menacé par ces quelques xénophobes très présents.

Vous avez vu le film Bronx Barbès, une fiction lucide sur les ghettos d’Abidjan, réalisé par Eliane de Latour ?
J’ai vu seulement des extraits. J’ai rencontré la réalisatrice et trouvé que son projet était génial parce que pour une fois, il ne montrait pas l’Afrique «calebasses», mais l’Afrique des grandes villes, une Afrique d’actualité.

Depuis votre engagement pour Reporters Sans Frontières et le journaliste burkinabé Norbert Zongo, directeur du journal L'Indépendant, assassiné le 13 décembre 1998, alors qu'il enquêtait sur la disparition du chauffeur du frère du chef de l'Etat, vous avez été approché par d’autres organismes ou associations vous demandant de leur apporter un soutien ?
Oui, l’association dont s’occupe Pascal Obispo m’a envoyé très récemment un courrier par rapport aux enfants trisomiques. Mon manager et moi allons le joindre pour voir ce que l’on peut faire. J’ai su également que Handicap International a l’intention de me contacter suite à ma chanson Who Are You, incluse sur mon dernier album.

Qu’est-ce qui vous interpelle le plus en ce moment dans l’actualité internationale ?

Le problème israélo-palestinien. J’ai le sentiment que les politiques européens et américains regardent ce conflit comme s’ils assistaient à un match de boxe. Quand l’un des combattants reçoit un mauvais coup, on arrête le match, on le soigne et on recommence. Les Européens devraient d’abord user de leur influence pour exiger le retrait des Israéliens des territoires occupés, faire pression sur Arafat pour que les attentats-suicide s’arrêtent et ensuite exiger des Nations Unies la mise en place de troupes d’interposition pour que les modérés puissent reprendre leurs négociations. Actuellement les modérés n’ont plus le droit au chapitre, ce sont les extrémistes qui ont pignon sur rue. Israël a droit à la sécurité et la Palestine a le droit d’exister.

Le guerrier n’est jamais fatigué ?
Je ne connais pas le découragement. Ce n’est pas dans mon tempérament. En tant que premier fils d’une famille de sept gosses, je n’ai jamais eu le droit de baisser les bras.

Un duo avec Tiken Jah Fakoly est-il un jour envisageable ?
Nos routes ne se croisent pas, elles sont vraiment parallèles, you know… En revanche, je suis en train de lancer de jeunes musiciens ivoiriens qui font du très très bon reggae : Hamed Farras, Ismaël Isaac, Fadaldey. Leurs disques sont distribués par ma maison de distribution (Nouvelle Jat Music) et j’essaie de trouver des majors en Europe qui puissent permettre à ces talents de se faire connaître.

Pour votre concert parisien à l’Olympia le 15 mai, envisagez-vous d’avoir des invités comme c’était le cas lors de votre passage à Bercy en octobre 2000 ?
Je souhaiterais inviter, si son programme le lui permet, mon frère Lokua Kanza. C’est un grand musicien que je respecte et j’aime sa voix. Il est congolais, rwandais, et j’ajouterais, ivoirien aussi, car il a vécu pendant un temps en Côte d’Ivoire.

Alpha Blondy Merci (EMI Music France)