Jazz sous les pommiers
Festif, inventif et éclectique, le festival de Coutances Jazz sous les pommiers persiste et signe. Fort de sa 21ème édition, il rejoint la cour des grands festivals français tout en gardant sa spécificité : valoriser la scène jazz française et européenne avec cette année, la création de Bojan Z pour le Vienna Art Orchestra, le trio Bex/Ferris/Goubert, Bireli Lagrenne, Louis Sclavis… et la jeune mais néanmoins géniale relève, Médéric Collignon ou Nojazz.
Créations et renouveau du jazz français en Normandie
Festif, inventif et éclectique, le festival de Coutances Jazz sous les pommiers persiste et signe. Fort de sa 21ème édition, il rejoint la cour des grands festivals français tout en gardant sa spécificité : valoriser la scène jazz française et européenne avec cette année, la création de Bojan Z pour le Vienna Art Orchestra, le trio Bex/Ferris/Goubert, Bireli Lagrenne, Louis Sclavis… et la jeune mais néanmoins géniale relève, Médéric Collignon ou Nojazz.
Dans le sud de la France, le jazz se joue sous les palmiers… depuis Coutances, petite ville de 10.000 habitants près des plages de la Manche, le jazz se joue désormais sous les pommiers ! S'y croisent plus de 400 musiciens professionnels, sur sept lieux de concerts différents, plus la rue, dont 60 % de musiciens français. Sans oublier 60.000 visiteurs pour une manifestation, qui ouvre, chaque année pour l'Ascension, la saison des festivals.
Sous les pommiers, les "musiques cousines"
Faire découvrir le jazz au plus grand nombre, avec une priorité au jazz européen, c'est l'objectif de l'équipe du festival depuis plus de 20 ans, à travers le jazz pluriel et ses différents visages. «Depuis 21 ans, rappelle Denis Le Bas, l'entraîneur de l'équipe du festival, Coutances flirte avec ce que nous aimons appeler "les musiques cousines", c'est à dire le jazz, mais aussi le blues ou les musiques africaines (Lokua Kanza, Salif Keita, Youssou N' Dour)… Faut-il le rappeler, le jazz, c'est la musique du métissage, depuis ses origines. Il était inconcevable qu'on ne prenne pas position suite aux résultats du candidat de l'extrême droite au premier tour des élections présidentielles»¹. Et c'est ainsi que toute l'équipe normande s'est retrouvée à prendre la parole sous la forme d'une courte allocution lue avant les concerts et très largement applaudie par les spectateurs.
Une politisation soutenue absolument par tous les artistes, et particulièrement par Henri Texier. Le maître de la contrebasse n'hésite pas à interrompre ses concerts pour évoquer cet événement politique et analyser un programme qui excommunie les musiques actuelles comme le rap ou la techno. Le musicien sait ce qu'il doit aux "invasions migratoires", tant redoutées par l'extrême droite et source inépuisable de ses diverses rencontres musicales.
Sous les pommiers, les créations de Bojan Z
Chaque année, Coutances s'engage sur la production de créations : cinq projets pour l'édition 2002, pilotés par des musiciens français. L'accordéoniste Jean-Louis Martinier, à la tête d'une petite formation charmeuse (basse, flûte et guitare brésilienne), le duo gonflé Aumont/Pabœuf aux clarinettes et saxophones, le trublion Médéric Collignon, certainement la personnalité la plus originale du jeune jazz français, et les deux créations du pianiste Bojan Z.
Le très grand Bojan Zulfikarpasic se produisait avec le Vienna Art Orchestra, le meilleur grand orchestre de jazz d'Europe. Toujours emmené par son chef et compositeur autrichien Mathias Ruegg, le band fête ses 25 ans d'existence cette année. "Docteur Balkan" en personne nous livre ses impressions : «J'ai du mal à imaginer que j'étais sur scène avec LE big band européen. Lorsque j'ai proposé mon projet à l'équipe du festival (Bojan Z a été sélectionné pour une résidence d'artiste de trois ans à Coutances développés sur trois axes: création, formation et diffusion), j'avais l'idée vague d'un big band… et puis, c'était vraiment trop compliqué à la vue des obligations des engagements des musiciens pressentis… Alors, nous avons peu à peu évolué vers l'idée de l'écriture pour un big band existant…Moi, j'étais déjà en contact avec Anna (la chanteuse du Vienna Art Orchestra), alors je suis allé à Vienne. C'est plus petit que Paris mais la musique fait partie du quotidien, ce qui n'est pas le cas en France… J'ai naturellement rencontré plein de musiciens et surtout les autres membres du big band, je trouve qu'ils sont vraiment excellents».
Résultat, selon Denis Le Bas, une musique qui n'a plus rien de directement "balkanique", la couleur sous laquelle s'est fait connaître le rusé "Docteur Balkan" (il est né à Belgrade en 1968). Depuis son dernier album Solobsession, justement enregistré au théâtre de Coutances durant sa résidence, c'est Mister Compositeur qui donne le la. Une musique unique, ample, osée, et toujours séduisante… Plus que le talent, c'est le génie créatif pur de Bojan Zulfikarpasic, pianiste français, mature et engagé qui s'exprime. A Coutances, l'artiste a émerveillé les festivaliers. Il a également tenu aussi à évoquer la situation politique française : «Je les connais les ultra nationalistes, ils veulent nous faire croire qu'ils sont patriotes, mais ils n'ont strictement rien à voir avec le patriotisme. Je ne dis pas cela parce que je suis d'origine étrangère, mais parce qu'en ex-Yougoslavie, nous avons fait les frais de ces gens là…»
Sous les pommiers, des jeunes et des bœufs
Parmi le sang neuf qui a revigoré Coutances, citons surtout Médéric Collignon, trompettiste et chanteur, pathologiquement polymorphe (de l'ONJ au rap en passant par les impro avec le contrebassiste Paul Rodgers et le guitariste Maxime Delpierre, une des créations du festival) et le groupe "très justement poussé par sa maison de disques" : Nojazz. Composé de deux musiciens issus de la scène électro et trois jazzeux, Nojazz a fait décoller le public du 747 à Coutances! Bêtes de concerts, les Nojazz se regardent autant qu'ils s'écoutent! Déguisés en spider man, supporteur de foot, ou lutin sauteur, ce club des cinq rappelle les délirantes prestations des Raoul Petites ou du Splendid en leur temps…jouissif !
Mais pas de festival jazz sans impros nocturnes. Le rendez-vous des couche-tard et des musiciens se faisait dans un club de jazz improvisé au fond des immenses caves des Unelles. Il aura permis aux irréductibles de finir leurs soirées avec les concerts d'après minuit. De la salsa de Black Chantilly au swing de Cocoricordes, la preuve que la programmation du festival assure une musique de qualité jusqu'au bout de la nuit ! Si vous avez l'occasion de faire trois petits tours en France au printemps prochain, vous pouvez déjà réserver quelques jours tout à la fin du mois de Mai, le jazz est là… sous les pommiers !
¹ Allusion au fait que le candidat d'extrême droite a été qualifié au premier tour des élections présidentielles en avril 2002.