Danyel Waro
Un superbe album. Il n'y a pas d'autres mots. A moins de vouloir charger la barque. Le nouvel opus du Réunionnais va fortement impressionner les fanatiques du maloya. Sorti chez Cobalt, Bwarouz va même jusqu'à surprendre la grande famille, pourtant très créative, de cette musique jadis partie des champs d'esclaves.
L'émotion, le public et le maloya
Un superbe album. Il n'y a pas d'autres mots. A moins de vouloir charger la barque. Le nouvel opus du Réunionnais va fortement impressionner les fanatiques du maloya. Sorti chez Cobalt, Bwarouz va même jusqu'à surprendre la grande famille, pourtant très créative, de cette musique jadis partie des champs d'esclaves.
L'homme de la batarsité porte le maloya vers une maturité qui laisse ses pairs muets d'admiration. Dosage de génie, émotion sans artifice, mystique du son, il y a comme un frisson dans l'air aux premières notes du boulouze, qui ouvre l'album, nonchalant et ô combien évocateur. Un peu comme si le temps s'arrêtait l'espace d'un cri. Waro entame alors la fabuleuse histoire de son semblable. Ce double imaginaire dont il ne cesse de raconter, à travers chants et prises de position, la douleur et l'espoir. Espoir souvent déçu mais espoir qui sait renaître des cendres de l'utopie sacrifiée.
Ainsi de Bat la min, pamphlet ironisant, qui charrie la colère à peine soumise du Waro autonomiste contre les camarades de jadis. Ces amis du parti aujourd'hui devenus complices et valets (malgré eux ?) de la domination sur l'île. "Juin est arrivé/ On allait gagner/ Maintenant ça y est/ On est sûr de rester français/ cessez de crier comme des cons/ Que cela va changer la Réunion" écrit-il. Waro chante aussi l'enfance sur Bino, la femme sur Sanm Ou, reprend son discours anti-militariste sur Zeneral, espère le retour de la migration désolée sur Beber. Et sublime sa relation à l'autre, en maniant le créole de manière à porter les douleurs d'hier et d'aujourd'hui, sans joie fébrile. Un album intense qui parle à l'humain, quelque soit la contrée d'origine, tout en rendant hommage à Bwarouz, son quartier des hauts de Saint-Paul à la Réunion. Entretien avec un poète à l'air sincère.
N'est-ce pas une belle aventure en soi d'avoir pu enregistrer cet album sur place, à la Réunion ?
Oui. On l’a enregistré presque à domicile. A 5km de chez moi. L'idée, c'était de faire un truc tranquille entre copains musiciens. Isaac et Danyo, les ingénieurs du son, sont arrivés avec leur studio mobile. On a aménagé une salle dans une maison qu’on nous a prêtée. On dormait là, on mangeait juste à côté. Il y avait un climat de confiance, convivial. Disons que je n’aime pas les horaires trop rigides. On était un peu en famille et avec les amis. On a pu rester ensemble jusqu’à la fin. Du coup, c’était très concentré, très intensif. Une bonne expérience. De toutes façons, c’est mieux pour moi de travailler ici. C'est plus simple. Je suis plus près de la famille. J’aime rester dans mon monde. Même si je peux travailler ailleurs, j'aime bien mon petit coin, ma petite source tranquille. Question de tempérament !
Est-ce que cela influe sur votre manière de faire la musique ?
Je ne sais pas. Bwarouz est un album sur lequel j'ai voulu mettre des émotions. Le point de départ, c'est toujours les gens, les êtres humains, les rencontres. Mais quand je commence à chanter, le lieu ne compte pas vraiment. Je rentre dans l'univers de la chanson que j’interprète, que l’on soit à la Réunion ou ailleurs, que ce soit dans un studio ou en dehors. Donc je ne pense pas que ça soit tellement une histoire de lieux… Chaque album a son histoire. A ce moment-là, j'ai cette voix-là ou ma musique prend cette forme-là. Et ça donne un certain résultat. Maintenant, c’est sûr que ce qui compte pour moi, c'est d'abord de chanter directement devant les gens, à tue-tête ou dans les champs. Quand il y a un public face à vous, c'est différent. Il y a autre chose qui se passe.
On vous a connu plus méfiant à une époque face aux enregistrements, aux plans de carrière, au milieu du spectacle. Qu'est-ce que vous en pensez aujourd'hui?
Je suis toujours méfiant par rapport à une démarche d'enregistrement à tout prix. C’est un principe. C'est-à-dire que j'ai commencé à chanter pour le plaisir et je continue à vouloir le faire. C'est une vibration. Ensuite, il y a des choses à dire. Au départ, je suis militant sur le plan culturel, sur un plan politique. Et ça a évolué au fur et à mesure. J'ai mis un pied dans l'artistique quand j'ai vu que ça créait de l'émotion. Il ne s’agissait pas seulement d’un échange politique. Il ne fallait pas seulement chanter des slogans pour des planteurs en difficulté ou des Réunionnais dans la misère. Je serai toujours réticent par rapport à une démarche trop professionnelle ou trop programmée. Mais en même temps, je découvre le milieu artistique. Je m'habitue à l’idée de travailler avec d’autres gens pour construire une dynamique. Il y a un état d’esprit, une façon de faire. Je rentre plus ou moins dans le jeu et je comprends mieux les choses. Les échanges continuent à se passer sur un plan amical. Ce ne sont pas des trucs de business.
Mais le succès vous fait du pied et les exigences sur un plan professionnel deviennent peut-être plus complexes ?...
C'est vrai qu'il y a eu une grosse évolution. Mais je ne suis pas prêt à accepter n'importe quelle proposition pour tourner. J'ai le choix. Je sais bien que c'est un privilège de pouvoir parler comme ça. C'est aussi un luxe de faire les choses quasiment par plaisir, en même temps que ça me rapporte. L’utile et l'agréable ne font qu'un. C'est une grande liberté. Et j’en profite. C'est vrai que quelqu'un qui doit courir derrière les contrats, ne peut pas avoir la liberté de parler comme moi, même s'il a des trucs à défendre. Moi j'inscris dans ma vie de pouvoir chanter. Et je ne suis pas pris dans une espèce de truc infernal où il faudrait que je me produise, que je fasse plus de disques ou que j'arrive à tourner. Je ne suis pas là-dedans. Pour l'instant, je veux et je peux tourner à ma vitesse.
Il y a une légende qui vous poursuit. Celle du rebelle...
C'est beaucoup plus nuancé. Car je ne me sens pas du tout prisonnier d'une image que j'ai sans doute fabriqué moi-même... Je suis toujours militant. Je suis toujours pour que les gens ne se laissent pas marcher sur les pieds. Je suis toujours impliqué dans les luttes. Mais en même temps, je me méfie des formes que cela peut prendre. Chez moi, cela prend une allure plus artistique. A la liberté de dire les choses, j’associe le plaisir, qui, au départ, n’était pas du tout dans ma culture idéologique. La musique que je fais n'est plus seulement un message pour libérer des gens ou pour se rebeller, parce qu'on ne peut pas être seulement une espèce de boule de nerfs. Il faut vivre ! Sinon, il n’y a plus de dimension humaine, plus de vibration, plus de sentiment, plus de communication directe avec les gens, plus d'artistique non plus. Je suis aussi pour que les gens gardent leur liberté, la liberté d'avancer, de vivre à leur vitesse. Donc je me mets un peu à l'écart. J'essaie de garder une espèce d'humilité, ma place en tous cas. Je n'ai plus la prétention, comme quand on a 20 ans, d’être un révolutionnaire qui entraîne les autres. Donc je dis aux gens que je me fais plaisir. Et tant mieux si ce plaisir, qui me libère, correspond à leurs sentiments, qu'ils soient réunionnais ou pas, de ma condition ou pas. Et c'est là que ça devient humain et universel.
Est-ce que ceci rejoint votre bilan du maloya ? C'est à dire une musique qui parle à de plus en plus de gens initiés ou non et qui investit le champs commercial des "musiques du monde" ?...
Aujourd'hui, le maloya devient universel. C'est fantastique. Il nous donne le droit d’exister, même dans un cadre français ou international. Il est là pour qu'on ne se considère plus comme des esclaves. Il a pris une dimension extraordinaire, grâce bien sûr aux anciens. Pas grâce à moi. Moi je n'arrive qu’après, dans la troisième ou quatrième génération.
Parlons de vos textes. On ne peut pas dire que vous les écriviez comme dans le maloya des premiers jours ?
Disons que j'essaie toujours de mettre la langue en valeur. L'écriture est une chose importante. Je pourrais dire les choses simplement. Mais ce serait du tout cuit, du mâché. Alors que moi je veux donner à comprendre. Je veux essayer de faire vivre les mots. Pour que ça me fasse plaisir, il faut que ça sonne bien. Il faut que ça sorte de loin. Il faut qu’il y ait un enracinement dans la réalité. Je ne cherche pas à faire un tube d'été, qui marche, qui se vende et puis après c'est fini. Pour moi ça serait la mort. Ça serait de la consommation. Moi je veux un échange avec le public. Je veux qu'on s'arrête sur le texte. Qu'on dise pendant longtemps "tiens là il y a une formule, là il y a des sons, des sentiments". C'est dans ce sens que j'inscris mon travail. Le plaisir de mettre des mots les uns à côté des autres, c'est-à-dire de créer une magie mais une magie toujours valable demain. C’est pour ça que je ne veux pas écrire comme pour un tube de l’été. D’ailleurs, je préfère vendre tout le temps un petit peu. Et c'est ce qui se passe à peu près.
L'après Bwarouz ?
Je vais faire un effort pour aller vers plus de promotion. En même temps, je ne veux pas faire ça n'importe comment. Je ne veux pas courir après une télé, parce que j'ai un disque qui sort et que je dois vendre. Je veux essayer de garder une âme dans ce que je fais. Je sais que je peux faire confiance à beaucoup de journalistes qui nous aiment bien. En tous cas, mon plus grand plaisir, ce sera avec le public.
Danyel Waro Bwarouz (Cobalt) 2002