Disque de diamant pour Salvador

Henri Salvador s'est vu remettre hier soir dans les jardins du Musée de la Vie romantique à Paris son premier disque de diamant récompensant plus de 1,5 millions d'exemplaires vendus de son dernier album Chambre avec vue.
A l'occasion de la sortie américaine de son album, Room With A View, nous avions rencontré ce charmant crooner de 84 ans, à la fois jeune marié et grand-père de tous les musiciens du moment qui se réclament de lui après des décennies d’indifférence.

Un retour exemplaire

Henri Salvador s'est vu remettre hier soir dans les jardins du Musée de la Vie romantique à Paris son premier disque de diamant récompensant plus de 1,5 millions d'exemplaires vendus de son dernier album Chambre avec vue.
A l'occasion de la sortie américaine de son album, Room With A View, nous avions rencontré ce charmant crooner de 84 ans, à la fois jeune marié et grand-père de tous les musiciens du moment qui se réclament de lui après des décennies d’indifférence.

New York, 16h30 dans les locaux de la maison de disques Blue Note sur la 23ème rue. Après une longue conversation avec son manager, Charly Marouani, me voici fin prête à rencontrer Henri Salvador. Quand j’entends: “Ah, voilà ma cousine…” La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était en 1982 et j’étais à l’époque, sa “princesse préférée”. S’ensuivent alors les excuses et le baise-main, on refait la scène et je suis à nouveau la belle dont il avait oublié à quel point… il aimait les genoux !
Roi de la phrase euphorique, la suite est nullement fiction, les mots tentant de reproduire les gloussements et fous rires qui me laissent à penser que cet homme a bien raison : dans la vie, Faut rigoler !

Quel bon vent vous amène de ce côté-ci de l’Atlantique ?
Me voilà maintenant sur le label Blue Note ! Ils n’ont rien trouvé de mieux que de sortir mon disque… (premier éclat de rire). Vous l’avez écouté vous mon disque ? Qu’en pensez-vous ?

Il est un peu différent de la version française, comment s’est faite la sélection ?
C’est simple, on me dit tu fais, moi je fais! C’est pas plus compliqué que ça ! Cet album m'a été demandé partout dans le monde. Par exemple, Jardin d’hiver, ce sont les Brésiliens qui la voulaient au départ. Ensuite je l’ai enregistrée en italien puis on m’a dit pour Londres il faut une version en anglais, et hop, emballé ! Vous savez, des grosses boîtes comme Virgin et EMI, ça rigole pas, ils savent ce qu’ils font. Ils ont envoyé tout ça en Amérique et là-bas, ils ont adoré. Mais ils ont dit : "On sort le disque à une seule condition, c’est que Salvador vienne tourner chez nous." Moi, ça m’affole, parce que je n’aime pas travailler... Je veux bien mais à mes conditions : deux shows par semaine, pas plus. Ils sont dingues ces Ricains, ils travaillent trop… Moi j’ai plus l’âge pour aller faire badaboum. Du coup, je commence au mois d’avril. D’abord le Rainbow room et le Hollywood ballroom et si ça marche là-bas, on fait toute l’Amérique. (Rires) Personnellement, j’ai pas très envie, parce que en général, quand le printemps arrive, moi j’arrête tout !

Emmenez vos boules de pétanque…
Oh non, (air dégoûté) ils ne comprennent rien. C’est pas ici que je vais amener mes boules. Les boules c’est la France, c’est la Belgique… Je viens tout juste d’apprendre que le Brésil est le pays le plus joueur au monde… Ca tombe pile-poil, alors là-bas croyez moi pas de soucis, je les emmène.

Quand cette aventure a commencé, avez-vous songé une minute à une telle récompense ?
Non, pas du tout, mais une chose est sûre, c’est qu’on avait décidé de faire du chouette, juste pour se régaler et il se trouve que ça a collé. Il se trouve aussi qu’au moment où l’album est sorti, il y a eu une cohésion avec le public. J’ai l’impression qu’ils attendaient ce genre de disque et ça a fait boum ! Résultat, me voila reparti sur les routes. J’ai trouvé ce producteur, Thierry Suc, qui m’a fait une tournée sur mesure. J’ai signé pour 70 galas, deux shows par semaine, un le vendredi, un le dimanche.

Et entre-temps…
RIEN! (rires) Moi ce que j’aime faire, c’est rien du tout!

Et si le jazz n’avait pas croisé votre route…
Je serais zéro. Mon père voulait que je sois docteur ou avocat. Si j’avais été docteur j’aurais été la cause d’un “casse-pipe-boom” épouvantable, et avocat alors là, j’aurais tout perdu. Je trouve que c’est un accident heureux. Ma vie est une improvisation perpétuelle. C’est merveilleux non? (Rires)

Vous vous êtes toujours marré ?
Ouais, (rires) ah ça oui. Mais quand je chante Avec le temps en France, les gens dans la salle, ils pleurent… Elle est forte cette chanson. Ferré c’était quelqu’un. Je dois avouer que des fois je me laisse prendre au jeu… Je la chanterai d’ailleurs quand je viendrai aux USA parce qu’ils ne connaissent pas ça les Américains.

On sait que c’est Sinatra et Nat King Cole qui…
Arrête-toi là, t’as tout compris princesse!… Ca, c’est la base. Pour moi ça s’arrête là. Personne n’a pu faire mieux que ces deux-là. C’est fabuleux ces deux types… Nat King Cole, il avait non seulement une voix de velours mais c’était un swinger terrible. Sinatra lui, il avait la voix mais alors, c’était un diseur, et ça ma chère, c’est toute la chanson ! Ce sont les deux plus grands cracks que j’ai jamais entendus. En plus, ils ont vécu à la meilleure époque, ils avaient les meilleurs compositeurs et les meilleurs orchestres, que demander de plus. Deux veinards ! Les p'tits gars d’aujourd’hui ils n’y arrivent pas, ils ont un style différent…

Qu’est ce que la musique française a, que les Américains n’ont pas?
Ca, c’est une vache de bonne question… Les Américains, quand ils veulent faire un truc en France, ils demandent à un musicien français d'écrire la musique… Mais ce qu’ont les Américains et que nous n’avons pas, ce sont leurs fabuleux arrangeurs. Ils ont ça dans le sang, c’est à eux. Ce qui serait merveilleux mais assez difficile à faire, c’est des chansons françaises arrangées par les Américains, alors là, on aurait un résultat merveilleux. Par exemple, ils ont arrangé merveilleusement le titre de Henri Betti, C'est si bon. Ils ont trouvé le tempo, ont assis la mélodie qui est française au départ. Mais moi par exemple, si je voulais faire de belles chansons, avec de belles paroles françaises, je ne prendrais pas un arrangeur américain parce qu'il ne comprendrait pas la finesse du français. Mes arrangements ont été fait par un petit Français, Bernard Arcadio, aussi mon pianiste. Lui, il a senti tous les mots et quand je chante, je ne suis jamais gêné par l’orchestre. Ça, c’est un don français. Savez-vous que le compositeur français le plus joué au monde, c’est Ravel ? Et Ravel, c’est le mec qui a été plagié par tout Hollywood.

Avec qui avez-vous vécu ou auriez voulu vivre un grand moment de jazz ?
Quincy Jones ! J’ai chanté avec lui et dirigé à Montreux avec l’orchestre de Count Basie. Je peux vous dire que c’est le moment de ma vie. J’ai ressenti quelque chose. Je ne peux pas vous dire… Ces gars-là, ils jouent en place, ça souffle bien, ils y mettent tout leur cœur vous savez. Ils lisent une partition comme personne. Ça a été l’émotion de ma vie parce qu'avoir un orchestre comme celui-là derrière soi, c’est pas de la rigolade. (Et au moment où Henri semble lâcher une petite larme, il éclate de rire !)

Votre actuel succès, qui plus est, à votre âge, vous donne t'il envie de remettre les gaz ?
Ah non ! Mais moi je ne mets pas les gaz, ça marche tout seul (rires). Je suis le mouvement, c’est tout ! Avant je travaillais, maintenant je m’amuse. Je fais mon métier et je le connais bien. Je suis un professionnel donc quand je dis je veux ça, on me donne ce que veux. Il n’y a pas d’effort, je ne suis pas un bagarreur comme quand j’étais jeune. Avant, je voulais toujours cet orchestre-là, ce type-là aux lumière… Le micro, ce n’était jamais celui que je voulais… Maintenant, je dis je veux ce micro et on me le donne (rires). C’est merveilleux non?.

Quand on a 14 chansons aussi belles sur un album, est-ce que cela veut dire que vous nous en cachez d'autres ?
Chez moi c’est bourré. Mon producteur m’a demandé si je voudrais refaire un disque ? Je lui ai dit je lui devais bien. Mais j’aurais mieux fait de me taire, maintenant il va mettre le paquet deux fois plus et adieu ma sieste.
Le prochain disque, il va être béton, mais je crois qu’il ne faut pas changer de style parce que les gens aiment les belles chansons. Souvenez-vous de Lucienne Boyer. Elle pouvait chanter n’importe où avec cette petite voix merveilleuse. C’est typiquement français. Nous, Français, on a un truc que les autres n’ont pas : la chanson mais aussi la couture, les parfums, les inventions. Regardez Concorde, personne n’a pu le faire, pas même les Ricains (rires…). Il y a un véritable talent français.

Si demain je vous dis : Henri c’est ce métier ou la pétanque ?
Alors ça, c’est vache. Moi je ne choisis pas, je fais les deux. La pétanque c’est relax, c’est le plaisir, mais ce métier on ne peut pas me l’enlever comme ça, il est dans mon cœur. Non, quoi c’est vrai, c’est vache !

Et la retraite, vous comptez l’empocher un jour ?
Mais je suis pour ainsi dire en vacances. Dès que j’ai fini avec vous là, tout à l’heure, petite sieste et je pars aux Bahamas… Une interview, une sieste… C’est pas ça la vie ? Je crois que je suis le seul type qui a arrêté le music-hall pendant vingt-deux ans pour jouer aux boules. Je suis un fainéant terrible. Je veux vivre d’abord et travailler ensuite. Des gars comme moi, vous n’en verrez jamais plus. (Rire).
Voila ma belle, je crois que j’ai tout dit ou presque, parce qu'Henri Salvador c’est tout un poème… Attends, bouge pas. (Il se lève, sort de la pièce puis revient accompagné). Je te présente Madame Salvador. Si je lui survie, je t’épouse! (Rires)