Deep Forest

Paris, le 21 juin 2002- Avec son 5éme album studio, le duo synthé mondialiste fait sa révolution avec Music Detected . Exit voix samplées et séquences odyssées. Tout en conservant son style « planétaire », Deep Forest intègre à sa « touche française » -véritables instruments, interprètes et textes anglais-pour faire sonner haut et fort le tocsin écologique de son électro-groove.

L’espèce en danger...c'est nous !

Paris, le 21 juin 2002- Avec son 5éme album studio, le duo synthé mondialiste fait sa révolution avec Music Detected . Exit voix samplées et séquences odyssées. Tout en conservant son style « planétaire », Deep Forest intègre à sa « touche française » -véritables instruments, interprètes et textes anglais-pour faire sonner haut et fort le tocsin écologique de son électro-groove.


Depuis Sweet Lullaby , leur premier hit en 1992, dopé aux rythmes pygmés, la nature est le milieu naturel de ces deux nordistes, précurseurs de la french touch de Daft Punk, Air ou Kid Loco. Mais cette fois, leurs thèmes humanistes sont défendus non pas par des robots nourris aux « échantillons » mais par de véritables voix comme celles d’Anggun, de Beverly Jo Scott élevée au solide blues de Memphis, ou encore Chitose Hajime, l’étoile montante de la chanson coréenne. Les guitares et les batteries vivantes revendiquent pleinement leur héritage d’ « enfants du rock » , comme les claviers inspirés par l’école allemande de Kraftwerk et Klaus Shulze. Et pour la première fois, Eric Mouquet ose même vocaliser, scotchant sa voix anamorphosée par le Vocoder (tuyau de plastique relié à un synthétiseur qui fait chanter la voix parlée) sur le premier simple au futur brillant Endangered Species .
Rassurez vous, Deep Forest ne renie pas pour autant sa « fôret profonde » pour n’allumer que les pistes de danse, leur fulgurant tam-tam planétaire vibre toujours aussi haut et fort.
Et il n’aura jamais été sans doute aussi universel ! RFI: Vous avez pris des risques certains sur cet album. Vous y faites le contraire de ce qui constitue votre habitude où vous focalisez sur une région. Là c’est un véritable tour du monde.
Eric Mouquet : Il était important pour nous que cet album ne soit pas un album de plus de Deep Forest qui simplement explore une nouvelle région ; on avait envie de s’impliquer sans se contenter de musique instrumentale où les gens voyagent à travers quelques ambiances. Ces chansons sont revendicatives, elles disent des choses: une partie du monde est telle que nous l’avons décrite, ce n’est pas forcément la musique exotique qu’on a l’habitude d’entendre de plus en plus dans les pubs TV.

RFI: C’est un retour en forme de boomerang, la rançon de la gloire !
E.M : A nos débuts, voilà dix ans, c’était un nouveau langage musical, maintenant c’est tellement marqué que nous avions envie d’autre chose. Il était nécessaire pour nous de prendre des risques et d’amener la musique de Deep Forest vers une nouvelle dimension.

RFI: La chanson Endangered Species est un thème naturel et écologique . Y a t’il d’autres chansons où vous prenez ainsi position ?
E.M : Lorsqu’on voyage à travers le monde, si on prend la peine de sortir des hôtels et des plages idylliques, le monde n’est pas beau, la nature est vraiment saccagée et les gens vivent surtout dans des conditions inhumaines. En Inde, nous étions tous deux choqués de voir comment ces gens vivent au quotidien. D’un seul coup, tu te retrouves plongé dans la vraie vie de millions d’Indiens et tu te dois de réagir. Alors, utiliser la musique traditionnelle indienne et la coller dans un univers ambiant et aseptisé pour que cela reste joli, ne nous intéressait pas. On voulait que cela soit plus dur. La chanson Dignity combine une mélodie indienne et des paroles en anglais qui expliquent qu’ avant tout il ne faut pas oublier cette dignité d’être humain. L’album est empreint de ces sentiments. Je pense aussi à Soul Elevator . En l’enregistrant, on travaillait sur un verset du Coran interprété par un chanteur turc mélangé avec des riffs de guitares qui nous faisaient penser à Led Zeppelin. On était heureux du résultat, mais ce 11 septembre (2001), l’actualité nous a rattrapé quand on a vu les deux mêmes ingrédients , le côté occidental des deux tours qui s'effrondrent et l’islamisme intégriste en guerre contre l’Occident dans l’horreur absolue. Nous, de notre côté, on faisait ce mélange de cultures qui fonctionnait en harmonie et on voyait l’opposé à la télévision. Il est essentiel que cet album ne serve pas juste à fabriquer des cartes postales musicales.

RFI: Dans cet album, vous faites de la « world music » au sens littéral du terme !
E.M : Nous sommes des « enfants du rock » empreints des influences des années soixante-dix depuis notre adolescence ; alors finalement tout cela finit par rejaillir à un moment ou un autre, mélangé, et jamais à l’état brut. Ces références solides font parties de l’histoire de la musique ; des riffs comme celui de Hotel California par exemple ou un riff de Jumping Jack Flash sont imparables.

RFI: Il y a aussi une super galerie de vocalistes mondialistes dans votre album : Yver de Bombay, Stevka Iordanova de Pologne, Chitose Hajime la coréenne, BJ des USA, Anggun et Angela…!
E.M : Anggun est déjà très connue en France et en Asie, mais les autres interprètes sont plus underground , ils n’ont pas encore fait de carrière, même si cela commence pour certains d’entre eux. Ce ne sont pas des chanteurs pop qui passent sur MTV, pourtant quelles voix exceptionnelles ! Ce qui nous intéresse c’est d’aller chercher la qualité musicale émotionnelle des interprètes.

RFI: Comme Chitose Hajime qui fait un carton paradoxalement au Japon !
E.M : Elle est N°1 en ce moment, d’un seul coup ! C’était une surprise aussi pour sa maison de disques qui s’était contentée d’envoyer le single en radio. Les gens ont appelé jusqu’à exploser le standard ! On était au Japon et quelqu’un m’a donné son disque en me disant : « Ecoutes ça ! », en rentrant à l’hôtel j’ai mis les deux premiers titres sur mon lecteur de CD et je l’ai appelée dans la foulée tellement je la trouvais extraordinaire.

RFI: Et le choix de ce chanteur qui chante au Vocoder, qu'en pensez-vous Michel ?
Michel Sanchez : Le Vocoder est toujours resté pour nous l’emblème des premiers pas vers l’humanisation des synthés. A une époque, on essayait tous avec nos synthés de rendre notre musique plus humaine lorsque tant de critiques prétendaient que c’était un instrument glacé. Le Vocoder est le premier appareil qui faisait songer à quelque chose d’humain. George Duke, m’a totalement esbroufé avec ces sons comme Herbie Hancock qui s’en servait merveilleusement.
E.M: Je crois que dans quelques années, il sera le dinosaure des instruments futurs. Quand on regarde l’évolution de la technique appliquée à la musique, tout est modélisé, parallèle à ce qui se passe en images. De plus en plus on voit des décors dans des films sans se rendre compte qu’ils ont été numérisés et modélisés. Comme Gladiateur qui recrée intégralement le monument en « copier/coller »… avec seulement un quart de Colisée.
Et c’est pareil en son, de plus en plus arrivent des « cartes son » avec lesquelles on peut modéliser le format d’une voix pour la faire chanter « à la manière de ». D’ici une dizaine d’années, on aura des chanteurs virtuels. Et c’ est fascinant. Comme d’habitude, il y aura le meilleur et le pire. Il y aura des chanteurs virtuels minables et ringards. Et certains heureusement pousseront plus loin pour faire des choses créatives plus sensibles, plus artistiques.

RFI: C’est un peu terrifiant, non ?
E.M : Non, au contraire (rire). Moi je n’ai jamais peur des innovations; la guitare électrique a dû aussi terrifier un paquet de gens. Jean Sablon utilisant un micro pour la première fois, on criait au scandale ; et aujourd’hui sans micro on ne pourrait pas se parler, il n’y aurait ni émission de radio ni de télé ; non il ne faut pas avoir peur de l’évolution tant que des artistes continuent à ouvrir les voies, à explorer. Les artistes sont des défricheurs, et les gens après en exploitent une petite partie, lorsqu’elle se révèle très attractive. L’art contemporain, en peinture ou vidéo a ouvert beaucoup de brèches. Et désormais on retrouve ces références dans des tas de pubs.

RFI: La musique de Deep Forest serait-elle fondamentalement différente si vous n’étiez pas français ?
E.M : On s’est souvent posé la question et c’est vrai que la manière d’harmoniser les mélodies ou de considérer les formes musicales est probablement due à notre culture française qui est constituée aussi bien de musique classique que de chansons. Les formes de chansons , de poésies ancêtres des chansons sont assez évidentes pour nous. Les structures de phrases, en terme de pieds qui sont des six ou des huit font partie de cette culture française.

RFI: Mais en même temps, la musique africaine et le raï ont été présent dans la musique française. Vous en avez été aussi imprégnés !
M.S : A chaque fois qu’une musique s’est imprégnée d’un autre style, cela a donné des choses merveilleuses; au début du siècle quand Ravel s’est inspiré du jazz , il a tracé de nouvelles couleurs passionnantes. Le jazz lui aussi a beaucoup appris avec la musique du début du siècle, puisqu’on entend dans le jazz moderne les influences de Debussy ou de Darius Milhaud . Moi quand j’ai commencé à m’intéresser au jazz fusion, c’était surtout pour l’aspect fusion. J’adorais le fait qu’un type comme Miles Davis puisse avoir envie de jouer avec des musiciens indiens ; il fallait savoir repousser les barrières, mais cela a donné des styles de musique merveilleux. Je n’ai jamais pu me résoudre à un cadre trop strict. L’improvisation a toujours été une partie importante du travail de musicien. Si cela s’est un peu perdu à une certaine époque, elle a toujours fait partie de l’enseignement classique de la musique.. Et c’ est pour cela que Deep Forest est susceptible de changer assez radicalement d’un album à l’autre, car tous les deux nous avons ce même besoin de coucher sur les bandes ce qu’on a dans nos tripes sur le moment.

RFI: Pourtant j’ai la sensation que celui-ci est très particulier…on dirait que c’est plus vous que d’habitude !
E.M : Le premier album était magique , il nous a surpris autant que le monde entier. On l’a fait un peu sans s’en rendre compte. C’était un peu un cri du cœur. Mais celui là à mon avis est notre meilleur album. C’est là où nous avons été le plus authentique et innovateur. Avec le recul je le pense vraiment. Je ne dis pas cela parce que c’ est le dernier, mais vraiment je suis sincère c’est le meilleur qu’on ait fait.

Photo de homepage: Pierre René-Worms

Deep Forest Music Detected Saint-George (dist. Sony Music) 2002