Cesaria Evora

Monument incontesté de la world music, Cesaria Evora aura attendu cinquante ans pour connaître la popularité… et vendre la bagatelle d'un peu plus de quatre millions d'albums ! Une carrière en forme de pied de nez aux stratégies mercantiles des professionnels du "succès prêt à l'emploi"! Après des années de galère, la "Diva aux pieds nus" peut se targuer d'une aura internationale. L'essentiel de ses chansons est aujourd'hui recueilli sur une Anthologie. Rencontre avec celle que les Américains nomment la "Billie Holiday cap-verdienne".

Une anthologie pour la diva cap-verdienne

Monument incontesté de la world music, Cesaria Evora aura attendu cinquante ans pour connaître la popularité… et vendre la bagatelle d'un peu plus de quatre millions d'albums ! Une carrière en forme de pied de nez aux stratégies mercantiles des professionnels du "succès prêt à l'emploi"! Après des années de galère, la "Diva aux pieds nus" peut se targuer d'une aura internationale. L'essentiel de ses chansons est aujourd'hui recueilli sur une Anthologie. Rencontre avec celle que les Américains nomment la "Billie Holiday cap-verdienne".

RFI Musique :Est-ce qu'une anthologie en CD est pour vous synonyme de reconnaissance absolue ?
Cesaria Evora
: Oui, c'est la reconnaissance de toutes ces années de travail. De belles musiques et de chansons contenues dans mes différents albums. C'est un travail énorme. Tout a commencé en 88, ici en France. Cet album représente en quelque sorte la somme du travail effectué.

Ce genre d'album est aussi l'occasion de faire le point, de mesurer le chemin parcouru. Quel regard portez-vous sur votre carrière, rétrospectivement ?
Je dirais en définitive qu'il s'agit d'une carrière brillante ! En regardant en arrière, je vois les difficultés des débuts, les jours de vache maigre. Puis le public qui a commencé à adhérer à ma musique. Pour moi, c'est une grande et belle carrière.

C'est une page qui se tourne avec ce disque qui résume votre carrière ?
Non, je n'ai pas dit mon dernier mot ! Ce disque n'est rien d'autre qu'une suite logique. Je poursuis ma route et il y a encore beaucoup d'autres albums à venir.

Vous vivez toujours à Mindelo, au Cap-Vert. Pourquoi ce choix, alors que vous avez aujourd'hui les moyens de profiter du confort d'une ville comme Paris, qui est un peu votre terre d'adoption ?
D'abord, il fait trop froid ici ! Je ne pourrai jamais m'y habituer ! Et puis il y a beaucoup d'autres choses qui rentrent en ligne de compte, l'âge, mes petites habitudes, mes amis… A Mindelo, je peux me promener pieds nus, alors qu'ici c'est totalement inconcevable. Cela dit, beaucoup de gens pensent que j'ai un appartement à Paris, ce qui n'est pas le cas bien évidemment !

Il n'est pas concevable d'écrire la morna hors du Cap-Vert ?
De toutes façons, il n'en est pas question ! Pourquoi veux-tu que j'aille vivre ailleurs. (en français) Mon petit pays, je l'aime, je l'aime !

Beaucoup de gens font un lien entre la morna et le blues. Quel est votre point de vue sur la question ?
Les Noirs Américains ont exprimé leur souffrance, leur blues, à travers cette musique. Un peu comme les Cap-verdiens, effectivement. C'est un sentiment propre aux peuples qui ont subi la colonisation.

Vous participez activement à la vie de votre ville, Mindelo. Il paraît même que vous faites office de banquière, avec pour particularité des prêts sans intérêt ?
Comment tu connais ma vie ? Il ne s'agit pas de jouer les banquières… Tout simplement, quand on a connu certaines difficultés dans la vie et que l'on croise des personnes qui vivent les même situations, qui connaissent les mêmes problèmes, je pense sincèrement qu'il faut leur venir en aide, si on en a les moyens, bien sûr. Il ne s'agit pas de donner n'importe comment, mais de donner ou de prêter en fonction de ses moyens.
C'est une question de solidarité. C'est un peu comme lorsque quelqu'un vous demande une cigarette : personnellement, si j'en ai une, je vais lui donner. Dans certains cas, on me demande un peu plus qu'une simple cigarette, mais mes prêts sont effectivement sans intérêts ! En fait, je donne en espérant qu'on me rembourse. Souvent, ce n'est pas le cas ! Mais ce n'est pas si grave… C'est un peu une manière de renvoyer l'ascenseur, dans la mesure où ma musique est elle aussi cap-verdienne.

Votre carrière est-elle aussi une manière d'attirer l'attention sur d'autres artistes capverdiens, comme Tito Paris ou Teofilo Chantre ?
Bien sûr. La porte est ouverte ! A eux maintenant de la franchir et de continuer leur chemin.

On imagine mal les artistes aujourd'hui attendre comme vous plusieurs dizaines d'années pour obtenir reconnaissance et succès. Beaucoup de jeunes veulent le succès dès leur premier single, et pas au bout de quarante ans…
Les choses ne fonctionnent pas comme ça. Il faut du temps. Pour que le public accepte un jour où l'autre votre musique, il faut bien évidemment du talent, puis beaucoup de travail, de persévérance.

C'est le contraire de la logique des maisons de disques qui comptent sur un retour sur investissement le plus rapide possible… Qu'en pensez-vous ?
Peu importe si une maison de disques parie gros sur un artiste ou non : si celui-ci ne doit pas faire une belle carrière, il ne la fera pas. Ça ne marchera pas ! Seules les qualités de l'artiste en question peuvent lui permettre de réussir. Les choses ne fonctionnent pas comme ça, à partir de simples considérations économiques, de calculs marketing. Pour ma part, j'étais signé chez une maison de disque indépendante, Mélodie quand j'ai fait Mar azul. Ensuite, José Da Silva, mon producteur, s'est mis en contact avec BMG, mais il n'ont pas payé quoi que ce soit, c'était un vrai travail.

Certaines émissions en France et dans le monde essaient de fabriquer des artistes, et entretiennent le culte du succès immédiat. Quel jugement portez-vous sur ce phénomène ?
Je n'en sais rien. Ce n'est pas mon truc, je ne sais pas comment ça se passe, et pour tout dire, ça ne m'intéresse pas !

Vous participez activement à la vie de votre ville, Mindelo. Il paraît même que vous faites office de banquière, avec pour particularité des prêts sans intérêt ?
Comment tu connais ma vie ? Il ne s'agit pas de jouer les banquières… Tout simplement, quand on a connu certaines difficultés dans la vie et que l'on croise des personnes qui vivent les même situations, qui connaissent les mêmes problèmes, je pense sincèrement qu'il faut leur venir en aide, si on en a les moyens, bien sûr. Il ne s'agit pas de donner n'importe comment, mais de donner ou de prêter en fonction de ses moyens.

C'est une question de solidarité. C'est un peu comme lorsque quelqu'un vous demande une cigarette : personnellement, si j'en ai une, je vais lui donner. Dans certains cas, on me demande un peu plus qu'une simple cigarette, mais mes prêts sont effectivement sans intérêts ! En fait, je donne en espérant qu'on me rembourse. Souvent, ce n'est pas le cas ! Mais ce n'est pas si grave… C'est un peu une manière de renvoyer l'ascenseur, dans la mesure où ma musique est elle aussi cap-verdienne.

Votre carrière est-elle aussi une manière d'attirer l'attention sur d'autres artistes capverdiens, comme Tito Paris ou Teofilo Chantre ?
Bien sûr. La porte est ouverte ! A eux maintenant de la franchir et de continuer leur chemin.

Certains inédits sont présents sur ce nouveau disque, comme un duo avec Bonga sur Saudade, un de vos plus célèbres titres…
L'idée est de José Da Silva. Ça fait longtemps que Bonga chante cette chanson, je crois d'ailleurs qu'il en avait enregistré une version en 72. Nous nous connaissons bien et sommes bons amis, et c'est surtout ça qui nous a décidé à enregistrer cette nouvelle version de Saudade.

Il y a une autre personne avec qui vous aimeriez bien enregistrer un duo, c'est Charles Aznavour…
Oui, je suis une grande fan d'Aznavour. Je suis allée le voir en spectacle avec mon producteur, et nous sommes allés jusque dans sa loge pour lui offrir mon disque. Je l'ai embrassé ! Enfin je le rencontre en personne ! Je serais bien sûr ravie de faire un duo avec lui, même si je ne dois chanter qu'une petite partie en créole. Mais ça ne sera pas une catastrophe non plus si ça ne se fait pas ! Il y a beaucoup d'autres artistes dont je suis fan, comme Edith Piaf ou Nat King Cole. Ce qui me séduit avant tout, ce sont les voix.

De plus en plus de musiciens de la scène électro vont piocher dans la world music, du tango aux rythmes africains. Seriez-vous tentée par ce genre d'expérience ?
Le premier album la Diva aux pieds nus, propose des arrangements un peu plus synthétiques que les disques plus récents : il y a beaucoup de clavier, de boîte à rythmes. Mais on a vu par la suite que ça ne convenait pas, donc on a apporté les corrections nécessaires. Certains DJs m'ont déjà sollicitée pour des expériences électro et ont samplé ma voix. Un DJ belge m'a même "emprunté" une morna. Personnellement, ce n'est pas vraiment mon truc, mais ça ne me dérange pas. C'est de la musique pour les jeunes !

Ça peut être une manière d'attirer les plus jeunes vers votre musique.
Mais il y a beaucoup de jeunes dans mes spectacles, certains viennent même me demander des autographes ! Je ne pense pas que ce genre d'expérience électronique puisse avoir une quelconque influence sur la fréquentation de mes concerts.

Rétrospectivement, de quoi êtes-vous la plus fière ? D'être comparée à Billie Holiday, d'avoir été nominée cinq fois aux Grammy Awards, d'avoir été invitée à l'anniversaire de Madonna, ou que des mères bercent leur enfant en chantant vos chansons ?
Je crois que la dernière proposition est celle qui me convient le mieux ! Je n'aime pas beaucoup les comparaisons, même si j'adore la voix de Billie Holiday. Les Grammy Awards, je ne les ai jamais gagnés ! Mais c'est déjà un pas d'avoir participé à la compétition ! Des artistes brésiliennes, américaines étaient présentes. Déjà pour une chanteuse cap-verdienne, être nominée cinq fois, c'est un pas énorme ! En ce qui concerne Madonna, c'est vrai qu'elle m'a invitée deux fois à son anniversaire, par amitié ou plutôt parce qu'elle m'apprécie, car on ne se connaît pas personnellement. Mais je crois que je reste sur la berceuse !

Pour en savoir plus sur Cesaria Evora, consultez sa biographie

Cesaria Evora Anthologie et Anthologie : Mornas e Coladeras CD double (Lusafrica/BMG) 2002