35ème Festival d'été de Québec

Agé de 35 étés, le festival de Québec est définitivement le lieu idéal pour découvrir, avec soulagement, une scène musicale québécoise occultée derrière ses produits d’exportation, Fabian, St Pier, Garou ou autres Dion. Du 4 au 14 juillet, les francophones les plus curieux ont l’occasion d’explorer un autre Québec via, dans un premier temps, les Vulgaires Machins, Loco Locass, GrimsKunk ou Freeworm. A bas les clichés.

Une plongée dans le futur de la scène musicale québécoise.

Agé de 35 étés, le festival de Québec est définitivement le lieu idéal pour découvrir, avec soulagement, une scène musicale québécoise occultée derrière ses produits d’exportation, Fabian, St Pier, Garou ou autres Dion. Du 4 au 14 juillet, les francophones les plus curieux ont l’occasion d’explorer un autre Québec via, dans un premier temps, les Vulgaires Machins, Loco Locass, GrimsKunk ou Freeworm. A bas les clichés.

Le festival d’été de Québec est un époustouflant supermarché de la musique vivante qui dépasse largement la Belle Province : 28 pays représentés, 800 artistes, de multiples langues, une quinzaine de sites, toutes les musiques, chanson, jazz, world, électro, rap, rock, théâtre de rue, des artistes en résidence, un prix découverte (le Prix Miroir), des stars et des débutants pour environ 25 concerts par jour. Ce n’est pas un hasard si en 2001, 750.000 personnes se sont présentées sur le festival, chacune arborant le fameux macaron lumineux de 10 dollars permettant d’accéder à la quasi totalité des spectacles. Jean Beauchesne, ce prof de philo, grand ordonnateur de la programmation, peut être fier de ses choix souvent célébrés pour leur intégrité.

En cette année anniversaire, riche en stars du cru (Charlebois, Dufresne, Boucher...), il se révélait intéressant de scruter le programme et de détecter quelques pistes sur le futur musical local. Bien sûr, et à juste titre, l’hommage à Richard Desjardins le premier jour (avec Eric Lapointe, Garou, Daniel Boucher, ...) ou le spectacle de Richard Seguin le 6 ont emballé un public en phase avec ces piliers de la chanson québécoise. Mais les rappeurs de Loco Locass le 7 ou le punk rock de GrimsKunk le 8 ont aussi attiré une vaste foule de tout âge.

Loco Locass

Biz, Batlam et Chafik, les trois rappeurs des "Locaux Loquaces", originaires de Québec, n’ont pas manqué de faire savoir dans les médias à quel point ils étaient heureux de jouer "enfin" pour la première fois au FEQ... Armés de bonnets phrygiens et de leur "québécitude" hautement revendiquée, les Loco Locass produisent un rap qui mêle humour et politique. Leurs textes à l’architecture souvent virtuose portent bien haut et à leur façon la langue française mais aussi l’histoire du Québec, les fondateurs morts pour la Province, l’indépendantisme, ... En 2001, ils ont reçu le Prix Félix-Leclerc, ex aequo avec les Français de Miro, pour leur premier album Manifestif (Audiogram). Ce qui leur vaut, entre autres, une invitation au Sentier des Halles de Paris, où ils sont passé en avril dernier.

Sur scène, le trio se distingue par son groupe, un DJ, une guitare et une double rythmique basse- batterie et même une trompette. Ensemble qui fait dévier leur rap vers un mélange musical plus mélodique et plus captivant. En cours de route, ils s’essaient même à la poésie érotique... Sans toujours éviter les poncifs manichéens (riches/pauvres, exploitants/exploités...), Loco Locass retient largement l’intérêt.

Les Vulgaires Machins

Cette année, le festival a offert au label indépendant montréalais Indica une vitrine de choix avec la résidence du DJ Vincent Letellier de Freeworm et deux plateaux le 7 sur la scène du Parc de la Francophonie pour les groupes punk rock, les Vulgaires Machins et de GrimSkunk.
Les premiers, trois gars et une fille (dont trois de la même famille), sortent à peine de studio où ils finissent l’enregistrement de leur troisième CD à paraître en septembre. Originaires de Granby, tous beaucoup plus jeunes que le festival, ils ont déjà un début de carrière remarqué : deux albums dont le dernier Regarde le Monde s’est écoulé à environ 7000 exemplaires en 2000, un Spectrum de Montréal à guichet fermé et une mini tournée européenne de 20 dates avec un passage aux Transmusicales de Rennes. D’ailleurs, les références françaises ne manquent pas dans leur panthéon : "Ironiquement, c’est la musique anglophone qui nous attire, avance Guillaume Beauregard, chanteur du groupe, mais il y a beaucoup de groupes français que j’aime beaucoup, les Lofofora, Wampas, Shériff, Tagada Jones. La Mano évidemment."

Justement, les Vulgaires Machins se distinguent de la scène punk québécoise pour une raison troublante : ils chantent en français. "La question serait plutôt ‘pourquoi des francophones chantent en anglais’ ?" lance Guillaume. "Tout le monde est surpris qu’on chante en français mais c’est le contraire que je trouve un peu anormal." Mais cette distinction permet de comprendre l’humour corrosif du quatuor. Pour exemple, Dieu se pique, premier extrait de leur prochain disque... Bien troussé, leur répertoire parfois assez mélodique laisse aussi passer des accents pop 80’s voire ska. A suivre de très près.

GrimSkunk

Fondateurs d’Indica, les GrimSkunk jouent aujourd’hui dans la cour des grands. Depuis douze ans, ils font figure de la tête de pont punk au Québec. Ce groupe bilingue, créé à Montréal en 88, a écoulé environ 30.000 albums du précédent CD avant d’espérer casser ses scores avec le dernier Seventh Wave, sorti ce printemps. GrimSkunk est l’exemple qu’un groupe peut réussir et s’exporter hors des majors, même si certains leur reprochent un peu d’avoir sacrifié aux sirènes de la rentabilité pour leur dernier CD.

Leur relation avec la France est constante depuis leurs débuts : "Tous les artistes qui tournent en France comme Céline Dion, Garou et Cie, ça n’a aucun rapport avec ce qui se passe au Québec, et certainement pas au niveau rock, c’est sûr !" lance Franz Schuller, chanteur et guitariste et un des deux membres francophones du groupe. "Et c’est difficile de s’exporter en France parce qu’il y a peu de structures indépendantes contrairement aux Etats-Unis. Nous, on a été Découvertes du Printemps de Bourges en 92 et depuis, on tourne régulièrement en France avec ou sans soutien, par des réseaux de contact." C’est ainsi qu’ils ont rencontré et signé sur Indica les Français de Lofofora, Mass Hysteria et maintenant Tryo qui cartonne au Québec.

Sur scène, GrimSkunk a aussi sa petite touche perso via son claviériste, Joe Evil, posté en front de scène avec son instrument dont le son très en avant donne parfois un côté "Doors hardcore". L’ensemble est un mur de décibels loin d’être désagréable, fort d’influences reggae, dub ou ska. A la fin de leur spectacle, ils reprennent Machine Gun de la Mano Negra, décidément culte au Québec, et dont le groupe avait déjà repris le titre sur un CD hommage en France. Les cinq de GrimSkunk seront en France fin juillet et fin août pour des dates festivalières.

Freeworm

Conclusion électro pour ce sommaire survol de la production québécoise présenté au FEQ. Plus qu’un concert, c’est une résidence de plusieurs jours que le festival a offert à Vincent Letellier alias Freeworm, déjà présent l’an passé. Installé au Périscope, un petit lieu alternatif légèrement excentré du centre ville, il donne trois représentations en 10 jours, toutes différentes. Son travail est clairement expérimental d’où une large place aux surprises même si, de retour d’une tournée en Europe, son show est rôdé. De plus, Freeworm arrive au terme de deux ans de travail scénique lié à son premier album Végétation-Fuel sorti en 2000.

Pendant trois semaines avant cette résidence, le Montréalais Letellier s’est concentré sur l’invitation du festival. Et c’est une réussite musicalement et visuellement. Sur une scène décorée de tableaux de maîtres revisités, le DJ est entouré d’un VJ (DJ vidéo), d’un chanteur et d’un instrumentiste. Il produit un spectacle qui se veut aussi une "party" où le public est convié à danser dès le début. Les images sont totalement en phase avec les sons. Le dialogue est total entre les instruments de Gaëtan Troutet (un accordéon, un petit clavier ou une guitare), le DJ et son chanteur, Chimwmewme Miller qui passe avec aisance et énergie du rap à un jeu de voix évoquant l’Inde. Le happening navigue entre mille influences, dont un drum’n’bass très maîtrisé à des remix visuels et sonores des Sud-Africains de Lady Smith Black Mambazo.

Depuis 10 ans, Letellier multiplie les projets novateurs et aujourd’hui il remixe aussi bien Bran Van 3000 que Daniel Bélanger ou... Loco Locass qui l’ont rejoint sur scène le samedi 6. Passionné par les forêts, il a participé en 2001 à une rave écologique au Brésil et sera bientôt au milieu de l’Amazonie pour EcoSystem, un événement musical prometteur.

Ce n’est pas fini...

Le catalogue est vaste. Le festival va aussi nous (vous ?) permettre de découvrir le trio vocal One Ton, l’électro des Robots, les tounes de Fred Fortin et de Martin Deschamp ou le folk-rock-country des Cowboys Fringants. A suivre dans nos pages et au Festival d’Eté de Québec pour les plus chanceux !