FESTIVAL EN INDONÉSIE
Yogyakarta, le 18 juillet 2002 - Le touriste de passage dans cette ville indonésienne n'en voit généralement que le palais princier, les temples hindou-bouddhiques voisins ou l'animation de la rue Malioboro, son artère la plus colorée. Mais Yogyakarta est aussi la capitale culturelle de Java, avec ses universités, ses musées, ses orchestres, ses 47 radios locales (!) et son festival annuel de gamelan, dont la 8e édition s'achevait le 14 juillet dernier.
Le gamelan fait sa mondialisation
Yogyakarta, le 18 juillet 2002 - Le touriste de passage dans cette ville indonésienne n'en voit généralement que le palais princier, les temples hindou-bouddhiques voisins ou l'animation de la rue Malioboro, son artère la plus colorée. Mais Yogyakarta est aussi la capitale culturelle de Java, avec ses universités, ses musées, ses orchestres, ses 47 radios locales (!) et son festival annuel de gamelan, dont la 8e édition s'achevait le 14 juillet dernier.
A Java et ailleurs
Vous ne savez peut-être pas ce qu'est le gamelan, mais vous connaissez déjà les instruments - métallophones à lames, carillons de gongs, gongs suspendus et autres -, qui composent ce type d'orchestre, emblématique de la culture indonésienne. En effet le gamelan, surtout usité à Java et Bali, est l'expression la plus impressionnante des musiques d'Indonésie, même s'il n'en reflète pas toute la diversité.
Or depuis quelques années, le gamelan javanais est en passe de réussir son entrée dans notre monde global, comme on peut en juger par le nombre croissant d'ensembles actifs dans tout le monde occidental. Les sonorités des percussions javanaises, la majesté suave de la musique de gamelan, son absolu exotisme pour des oreilles profanes, sont à l'origine de cette fascination, mais il n'y a pas que cela. En effet, la structure de la musique javanaise pour gamelan permet toujours de confier telle ou telle partie simple aux néophytes : on leur laissera la base mélodico-rythmique ponctué par les gongs et quelques métallophones, tandis que les instrumentistes expérimentés tiendront les parties complexes, en particulier celles des tambours ou des instruments purement mélodiques. D'où, par exemple, le succès du gamelan de la Cité de la Musique à Paris, auprès des scolaires et des amateurs.
A vrai dire la chose n'est pas nouvelle, car depuis Debussy les compositeurs occidentaux éprouvent un intérêt sans faille pour le gamelan. Dès les années trente, le Canadien Colin McPhee s'essayait à des transcriptions de gamelan balinais pour ensemble à cordes (Tabuh-tabuhan, 1936) ; c'est lui, d'ailleurs, qui a fait découvrir cette musique à Benjamin Britten (Le Prince des pagodes, 1957). Aux Etats-Unis, outre John Cage il faut souligner l'apport de Lou Harrison, qui a consacré l'essentiel de son œuvre à la musique javanaise et dont a pu entendre ici Ibu Trish.
L'esprit du gamelan
Le Yogyakarta gamelan Festival (YGF) est, à sa manière, le lieu de rencontre de toutes les formes traditionnelles ou actuelles de gamelan, et au-delà. Le tout forme un ensemble quelque peu disparate, mais qu'importe, l'esprit souffle, fondé sur la tolérance, le plaisir de jouer en commun et l'ouverture, puisque les habitants du petit quartier où est plantée la scène principale viennent en voisins écouter des musiques qui sortent de leur ordinaire. Outre des orchestres javanais purement traditionnels, on a donc pu entendre des groupes engagés dans la world music et des formations tournées vers la musique contemporaine.
Saluang et cornemuse
Le choix de la world music, principalement représenté par des groupes sumatranais - sans gamelan- n'a guère convaincu, malgré la présence de musiciens qui mériteraient d'être connus hors d'Indonésie : le guitariste Irwansyah Harahap (ensemble Suarasama, de Medan) ou le chanteur Kabri Wali (Ngawoung Aceh Comunity, d'Aceh), quinze ans seulement et déjà une présence scénique étonnante.
En matière de gamelan contemporain, l'ensemble Padhang Moncar (Jack Body, Nouvelle-Zélande) a fait l'essentiel de la fête avec, notamment, une composition mêlant gamelan javanais et flûte saluang de Sumatra Ouest (Megan Collins et Rafiloza, Rato Nan Tuo), un mélange rare. Mais la clou de l'exotisme - vu d'ici - est venu de I.M. Harjito (Wesleyan University, USA) ; sa pièce pour gamelan et cornemuse écossaise, plutôt réussie, avait quoi en dérouter plus d'un. Au rang des compositeurs indonésiens, enfin, il faut mentionner les frères Dody S. Ekagustdiman et Dedy Satya Habiand, qui comptent parmi les compositeurs sundanais (Java Ouest) les plus doués de leur génération.
Le Canada aussi…
Grâce au cinquantième anniversaire des relations diplomatiques Indonésie-Canada, le YGF s'est enrichi de deux jours de spectacle supplémentaires. On a laissé de côté l'aspect formel de cet anniversaire pour n'en garder que la substance artistique, avec l'Evergreeen Club et la Maxine Heppner Dance Company. Le premier n'a rien d'un club d'amateurs toujours verts, c'est l'un des meilleurs gamelan-s contemporains, spécialisé dans la musique sundanaise. D'où un programme de choix, avec en particulier Palace (Jon Siddal) et L'Angoisse des machines (Alain Thibaut). Quant à Maxine Heppner, elle fréquente l'Indonésie depuis plusieurs décennies et c'est en habituée qu'elle se produisait à Yogya. Elle n'en a pas moins offert Nine Bronze Pieces, création mondiale chorégraphié pour trois danseurs, sur une musique de Mark Duggan.
Des festivals en série
Mais on ne saurait mesurer la vie musicale indonésienne à la seule aune de ce qui se passe à Yogyakarta, car ici aussi, la saison des festivals bat son plein. Cirebon (Java Ouest) a tenu son Festival Pantura début juillet, alors que le Bali Arts Festival couvre la plus grande partie du mois de juillet ; le 15 août il faudra choisir entre le Banjarmasin Performing Arts (Kalimantan Sud) et trois jours de world music à Bali (Jimbaran, 15-18 août), mais dès le 20 août, tous les festivaliers se retrouveront à Celèbes Sud pour suivre le Makassar Art Forum : avis aux voyageurs ! Et l'an prochain ? Pour le neuvième YGF, Sapto Raharjo, musicien et cheville ouvrière du festival, nourrit ses ambitions. Ayant en tête le modèle du Festival Interceltique de Lorient (!), il prévoit encore plus de musique, avec un festival éclaté en différents lieux de la ville, des défilés, des ateliers et des forums de discussion, de quoi réjouir les amoureux du gamelan du monde entier.
J.F.S.