Lo'Jo, une tribu<i> world</i> à la française
Des concerts-performances au théâtre de rue en passant par des expositions d'art plastique, de photographies et un recueil de poésie, les saltimbanques d'Angers ne cessent d'alimenter un certain courant alternatif en France, depuis vingt ans. Au-delà de ces expériences multiples, Lo'Jo est avant tout une formidable tribu nomade qui défend une musique sans frontières comme en témoigne leur dernier CD, L'une des siens. Rencontre avec le chanteur-leader du groupe, Denis Péan, artiste hors normes, inventeur, sans le vouloir, d'une world music à la française.
Nouvel album
Des concerts-performances au théâtre de rue en passant par des expositions d'art plastique, de photographies et un recueil de poésie, les saltimbanques d'Angers ne cessent d'alimenter un certain courant alternatif en France, depuis vingt ans. Au-delà de ces expériences multiples, Lo'Jo est avant tout une formidable tribu nomade qui défend une musique sans frontières comme en témoigne leur dernier CD, L'une des siens. Rencontre avec le chanteur-leader du groupe, Denis Péan, artiste hors normes, inventeur, sans le vouloir, d'une world music à la française.
RFI Musique : Votre dernier album L'une des siens reste fidèle à l'esprit nomade qui caractérise votre musique. Il y a des parfums du désert, des couleurs hispaniques, des touches de chansons néo-réalistes, etc… Comment vous créez ses télescopages sonores ?
Denis Péan : On ne sait jamais vraiment posé la question de savoir comment on pouvait fabriquer une musique aussi hybride ! Au départ, nous n'avons peur d'aucune influence, on se laisse simplement pénétrer par toutes. Nous ne savons pas aujourd'hui si nous sommes les enfants de Nina Simone, de Don Cherry, de Fela ou de Maurice Ravel ! Simplement, il se trouve que notre groupe a parcouru beaucoup de recoins du monde et vécu des situations musicales tout à fait différentes les unes des autres. Que ce soit dans les campagnes ou les montagnes les plus reculées de France ou d'ailleurs, dans les grandes cités urbaines, de l'Europe ou des Etats-Unis. Donc de quoi sommes-nous faits ? De tout cela. L'ensemble de ses ambiances deviennent nos racines. On vient d'un pays et d'une région -l'Anjou- où la culture musicale traditionnelle a quasiment disparu. En conséquence, nous avons été obligés d'ouvrir grand nos oreilles et de nous façonner un univers par nous-même. En d'autres termes, puiser dans le registre de l'imaginaire pour ponctuer nos sentiments. C'est maintenant un acte naturel d'amplifier tout ce qui se trouve sur notre chemin. Qu'ils s'agisse de sonorités, de philosophies, de poésie…
Parmi vos vagabondages, on dénote des escales africaines, notamment sur certains titres comme Le poème de Japonais. C'est évidemment lié à vos récentes expériences dans le Sahara, aux confins du Mali, du Niger et de l'Algérie ?
C'est vrai, il y a un certain attrait pour l'Afrique, notamment l'Afrique de l'Ouest, même si la teneur de l'album n'est pas uniquement tournée vers le Sud. Nous avons eu l'occasion de voyager et de rencontrer des amis très chers sur le continent africain. Après avoir fréquenté le théâtre Acte-Sept de Bamako, la fanfare béninoise du Gangbé Brass Band, pour ne citer qu'eux, nous sommes partis dans le Sahara avec le groupe Tinariwen, originaire du désert de Tin-Essako. Il faut savoir que c'est une région délaissée, minée par la sécheresse mais aussi un bastion de rébellion touareg. De cette amitié, est né le morceau Le poème de Japonais. Sur ce titre, Mohamed Ag-Illale, dit " Japonais ", l'un des plus grands poètes en langue tamachek, prête sa voix éraillée sur fond de youyous et instruments traditionnels. Ces apports nous ont fait réfléchir sur le monde, sur notre vie. Cela colore nos esprits, nos sons, nos manières.
A propos d'instruments traditionnels africains, les musiciens de Lo'Jo n'hésitent pas à jouer de la kora, du n'goni ou du balafon. Pourquoi ne pas avoir invité des instrumentistes locaux sur votre album ? En tant qu'occidentaux, vous n'avez pas le sentiment d'usurper une culture qui n'est pas la vôtre ?
Je crois que de tous temps, les humains se partagent les instruments. J'ai découvert Fela, qui jouait du saxophone. C'est un Belge Adolphe Sax qui a inventé ce cuivre et personne n'a jamais trouvé choquant qu'un Africain en joue. Il y a des musiciens afro-américains qui utilisent la plus haute technologie pour faire de la techno ou du hip hop ! Qu'un Blanc pratique de la kora, pourquoi pas ! L'Afrique n'est pas si loin de la France même si l'histoire aurait pu nous séparer à jamais parce que notre lien est douloureux et parfois terrifiant. Mais la musique peut transcender les rapports, faire que les hommes, les femmes puissent s'entendre. Causer ! J'ai remarqué que les Africains sont très flattés qu'un musicien de Lo'Jo, Richard Bourreau, utilise la kora. Il en joue à sa manière sans avoir la prétention d'égaler les grands maîtres maliens. Tout comme l'imzad, ce petit violon touareg à une corde, qu'il a ramené. Ce sont des instruments faits de cordes, de bois, de peau qui produisent un son. Tout humain a des doigts et un esprit qui peut aborder ces sonorités. Le bois que l'on fait résonner est à tout le monde et on se le partage dans la musique. C'est une bonne chose, non ?
Côté texte, il y a cette poésie à fleur de peau qui caractérise Lo'Jo depuis ses débuts dont l'essence même est de servir l'humain. Peut-on parler de militantisme poétique ?
Je crois que dès l'origine du groupe il y a une vingtaine d'années, nous avions pressenti l'arrivée d'une époque très cynique qui a malheureusement porté ses fruits amers il n'y a pas si longtemps lors du premier tour des élections présidentielles en France. Pour nous, c'est une nécessité instinctive de créer un contrepoison qu'on a appelé Lo'Jo à la mesure du mystère qui habitait nos esprits à nos débuts. Nous étions un peu ignorant à l'époque, mais cependant ouverts à cette énergie négative que l'on pouvait déceler autour de nous et qu'il fallait combattre. Concernant nos paroles, elles sont parfois sombres, c'est vrai. J'avoue que j'aime bien aborder le sentiment de tristesse, qui pour moi fait partie de l'être humain. Nous devons parler de cet état d'âme, porteur de grande force. La tristesse contient sa propre guérison en elle-même. Si on ne pleure pas, on ne consacre la vie qu'à la joie éphémère, futile ou superficielle ! On rate beaucoup de chose, l'homme est fait de tourment et d'espérance. Si l'être humain est honnête, il doit tenir compte de toutes ses choses et les raconter.
Depuis 1982, date de vos premiers concerts-performances à Angers, dans le Maine-et-Loire en France, quel regard vous portez sur le parcours de Lo'Jo?
Au début, nous sommes partis à l'aventure sans trop savoir où on allait. A l'heure actuelle, je sais qu'il y a des artistes, même très jeunes, qui commencent à planifier leur carrière. Nous ne l'avons pas fait parfois à nos dépends. Cela nous a amené vers des aventures un peu bancales, truffées d'erreurs et d'incompréhensions. Il y a eu des années de vache maigre avec des déboires, côté maisons de disques, par exemple. Notre chance a été que Lo'Jo a avancé pas à pas en se nourrissant d'expériences fructueuses basées sur l'échange. Il commence à y avoir des antennes un peu partout qui façonnent un monde naturel, saint, familial, convivial et bienveillant. Notre plus belle réussite pour nous, c'est de tisser ces liens. Il y a comme une " Internationale " de la réflexion humaine sur des choses que les gens et les artistes mènent. Des mouvements comme Attac (ndlr : Association pour la taxation des transactions financières pour l'aide au citoyen) en France en sont un exemple. Moi, j'ai donné un nom à quelque chose qui existait. Une énergie que j'ai sentie vive chez des personnes certes, en rébellion, mais qui allaient affirmer leur rébellion dans leur acte quotidien. Aujourd'hui, nous commençons à avoir une certaine audience sans forcément que cela se traduise par de grosses ventes de disques. Effectivement, on va jouer aux Etats-Unis, mais ce sont de petites salles. On se produit dans de minuscules clubs de Los Angeles comme si on était dans une ginguette à proximité de chez nous.
La musique est avant tout le cœur de Lo'Jo puisque nous sommes des musiciens tombés dans la magie de l'accord des sons, de la jonction des rythmes et marqués par le caractère dansant de la poésie. Ce n'est pas incompatible avec la vie de saltimbanques que nous avons menée de village en village pendant quelques années. Sans être nostalgique, nous avons joué le rôle des anciens bateleurs qui partaient en chemin dans les campagnes pour transmettre un message. Lo'Jo a un visage qui ne ressemble à aucun autre même si on peut se sentir proches de l'étiquette "alternative". Nous voulons demeurer à l'écart de la mode. Notre volonté est de simplement faire partie de ce grand tissu humain.
Vous êtes en tournée en ce moment pour promouvoir votre dernier album. Quel est le public de Lo'Jo ?
Je pense que ce sont les anonymes. Des gens qui un jour ont touché à une guitare et ému une petite assemblé de trois ou quatre personnes. Nous nous sommes produits devant un enfant, un vieux, un bourgeois, un baba cool, un loubard du quartier, un voisin râleur, etc… On a vu toutes ces couches de la société. Comment elles vivaient, comment elles s'entendaient ou se déchiraient. Pour nous, c'est comme si on entrait en amitié avec quasiment chaque personne. J'ai l'impression de reconnaître des amis, des proches, des connaissances que je peux aimer et qui sont devant moi. Notre public s'est façonné dans la compréhension de ce que l'on essaie d'évoquer. Les gens qui viennent nous voir sont en accord avec notre sensibilité. Ce n'est pas un hasard, ils sont à notre image...
Lo'Jo L'une des siens Universal Music 2002