Christophe parle...
Peu loquace, le chanteur Christophe a accordé une rare entrevue à RFI Musique lors de son passage aux Francofolies de La Rochelle le 13 juillet. A la veille de son passage au Paléo Festival de Nyon en Suisse, écoutons les propos riches et hésitants de celui qui, cette année, a effectué un retour retentissant sur scène.
...Et se met en scène
Peu loquace, le chanteur Christophe a accordé une rare entrevue à RFI Musique lors de son passage aux Francofolies de La Rochelle le 13 juillet. A la veille de son passage au Paléo Festival de Nyon en Suisse, écoutons les propos riches et hésitants de celui qui, cette année, a effectué un retour retentissant sur scène.
Mordu de blues, de musique électronique, et de course automobile, solitaire impénitent, capable de passer des nuits entières dans son home studio pour assouvir son amour maniaque du son, Christophe est un personnage multi facettes, qui intrigue autant qu’il attire. Sa dernière livraison, Comm’si la terre penchait est un modèle d’élégance, qui a su rencontrer son public et conquérir la critique. Et s’il est aujourd’hui de bon ton de se proclamer fan du chanteur des Mots bleus, le voir sur scène demeure un petit événement, puisque le bonhomme est plutôt avare de concerts.
Absent des salles depuis vingt-sept ans, il a entamé en février dernier une tournée parcimonieuse (huit dates en six mois !). Mais dès qu’il foule les planches, le musicien sait se montrer généreux. Son récent passage aux Francofolies de La Rochelle n’a pas déçu : des sons léchés, une mise en scène précieuse ont su créer une véritable osmose avec un public qui s’est fendu d’une standing ovation. Rencontre avec cet artiste insaisissable, au sortir de sa date rochelaise.
Quel est votre état d’esprit lorsque vous regagnez votre loge après un tel concert ?
Je me sens comme si j’avais fait une séance qui donne de l’énergie. Ce genre de rencontre avec un public qui ne joue que sur l’émotion me donne ce dont j’ai besoin. Naturellement je suis un peu sous pression avant, mais c’est un peu comme si j’avais fait une séance de shiatsu. C’est le genre d’expérience qui me laisse en suspension.
Vous dites que la scène est pour vous une sorte de thérapie. Une thérapie dont vous vous êtes passée pendant vingt-sept ans ! Vous avez emmagasiné beaucoup de pression ?
Non, parce que j’ai libéré cette pression par la création. Seul, dans mon petit coin, dans mon petit home studio. Dans ma solitude sauvage. J’adore être seul, c’est vrai ! Ceci dit, il n’y a pas que la musique. Heureusement pour moi, pour mon esprit, je suis attiré par plein d’autres choses, ce qui prend beaucoup de mon temps. Et le temps passe si vite !
Moi, je vis dans le présent. Je ne suis pas quelqu’un qui se projette vers le futur. Aujourd’hui, à 56 ans, j’ai toujours la même philosophie que quand j’avais 13-14ans. Je me rends compte que je n’ai pas du tout changé de ce côté-là. Mon entourage me le reproche parfois.
Pour revenir au concert de ce soir, j’étais un petit peu perturbé en arrivant, parce que je n’ai pas pu répéter, ce qui est un peu paniquant. C’est pour ça que je suis rentré dedans assez doucement, pour comprendre un petit peu où j’étais. Je n’ai effectivement découvert la salle qu’en montant sur scène. C’est étonnant, mais c’est comme ça ! J’ai commencé à écouter ce qui se passait au niveau du son au fur et à mesure, parce que naturellement, pour projeter quelque chose de fort et de vrai, la sensibilité, le feeling, il faut pouvoir entendre sa vibration.
C’est une manière de vivre chaque seconde intensément !
Oui, en se mettant dans un état de danger permanent. C’est un peu comme marcher sur un fil à trois kilomètres du sol sans balancier ! Mais comme je suis joueur, j’y vais ! Et puis tout à coup, il y a un petit moment (il claque dans ses doigts). Le début d’un concert, c’est un peu comme un départ de Grand Prix : on ne sait jamais ce qui va se passer - il peut y avoir un faux départ, une voiture peut vous faire une queue de poisson, etc. Là, il fallait que la technique s’installe... Enfin on ne va pas démystifier les choses !
Pour vous qui vivez plus la nuit que le jour, jouer à dix-neuf heures et apercevoir le soleil en sortant de scène, c’est une première ?!
Tout à fait. Mais chaque jour a sa différence. La plus belle seconde, c’est toujours celle à venir. On a roulé toute la nuit, ce qui est assez fatigant. On a dormi tard. Mais je pense que si j’étais passé à mes heures tardives, ça aurait peut-être été plus difficile. Alors que là, au niveau de l’organe, du son, je ne me sentais pas fatigué. Je parle pour aujourd’hui !
Aujourd’hui, c'est le treize juillet. Le treize est votre chiffre fétiche, non ? C’est peut-être pour ça que le concert s’est bien passé ?
Ah oui ! Je ne m’en suis même pas rendu compte ! J’aurai du y penser plus sur scène. Merde ! J’ai été con ! J’adore le treize, c’est vrai.
Quoiqu’il en soit, vous aurez des souvenirs palpables de cette soirée : des photos que vous prenez sur scène avec un appareil jetable...
C’est une idée qui a mûri en juin 2001. Je savais qu’à l’intérieur de mon spectacle, je voulais le noir pour pouvoir prendre des photos, puis à la fin poser mon appareil sur un coin de scène pour qu’un voleur vienne le prendre. Je trouve cette idée simple, mais belle. Enfin c’est mon avis.
Personne ne vous a jamais retourné les photos ?
J’en suis à mon huitième concert...
Multiplié par vingt-quatre poses !
Oui !(rire) Mais je pense que ça arrivera. Je ne m’étais jamais posé cette question, mais je le crois. Il y a des moments magiques qui font que tout à coup une chanson peut s’écrire... Moi je ne marche qu’avec ça : je n’écris que sur l’émotion. Tant que l’étincelle ne jaillit pas, je reste dans mon espace.
Sur scène, vous utilisez les mots avec parcimonie, et préférez le silence aux banalités débitées à la va-vite...
Comme je l’expliquais, chaque concert - plutôt chaque rencontre, je n’aime pas dire concert - a sa différence. Il m’est arrivé de faire le fou parce que j’étais dans un autre état ou que je jouais à une heure différente. C’est inexplicable. La plupart du temps, je suis tout de même dans le silence. Il faut que ce soit vrai, que je ressente quelque chose qui sorte de moi et qui soit un petit peu en marge de ce que je fais. Si c’est pour parler de musique quand on est en train de faire de la musique, c’est con, non ? Ce qui est bien c’est de partir ailleurs, je crois d’ailleurs que les gens aiment ça. Ce qui est intéressant, c’est le murmure émotionnel qui sort de ce moment, cette espèce de synthèse qui émane du public. C’est ce que je cherche quand je vais à un concert. Dernièrement, j’ai vu David Bowie, que j’aime beaucoup. Dans un moment comme celui-là, je suis comme tout le monde ! L’émotion, c’est universel...
Votre spectacle montre combien vous êtes un ardent consommateur de musiques électroniques...
Je ne baigne que dans le son électro, car il permet de vraiment créer sa différence. Une fois que l’on a créé son propre son, il devient inimitable. En ce moment, j’écoute beaucoup un groupe belge qui s’appelle Vive la Vie et qui reprend Lemon incest de Gainsbourg. Ils ont fait ça dans leur home studio, là où on fait les meilleures choses. Sinon j’aime beaucoup l’album d’Archive. C’est vraiment un disque que j’écoute en boucle. Côté Français, j’aime beaucoup Keren Ann et Benjamin Biolay.
Certains artistes s’efforcent de retrouver un son live dans leurs enregistrements studio, or vous semblez adopter la démarche inverse : coller le plus possible à un son très léché lors de vos prestations scéniques...
Au bout de huit concerts, je suis toujours dans une période de recherche. C’est vrai que quand je suis en studio, je ne cherche pas à obtenir un son live. J’adore créer dans mon home studio, être avec mes machines. Pour la scène, j’aime bien avoir une boucle de studio qui tourne, et la mélanger au jeu des musiciens. J’aimerais bien donner dans le minimalisme, avoir un trio par exemple, malheureusement ce n’est pas possible quand on a besoin des synthés. Mais pour le moment, j’analyse. Je prends des petits bouts, j’en enlève... Je suis toujours dans le début ! J’aime bien rester dans le rêve. Je vis beaucoup au jour le jour, sans grande prise avec la réalité. C’est peut-être ce que je transmets : les gens sentent que je suis moi-même, comme je respire. Après, on m’aime comme je suis ou pas du tout, mais je ne vais pas me refaire. Et puis, je n’en ai pas envie de toutes façons !...
Comm' si la Terre penchait (Mercury/Universal)