Chroniques rock
La vitalité musicale de l’Hexagone n’est pas l’apanage de la seule French Touch ou d’un R’n’B qui se contente le plus souvent de parodier son modèle américain. Trois groupes, Dolly, Dionysos et Kaolin, viennent nous rappeler que le rock français n’a jamais cessé d’être un genre majeur. Gros plan sur trois albums qui savent conjuguer décibels et élégance.
Dionysos, Kaolin et Dolly.
La vitalité musicale de l’Hexagone n’est pas l’apanage de la seule French Touch ou d’un R’n’B qui se contente le plus souvent de parodier son modèle américain. Trois groupes, Dolly, Dionysos et Kaolin, viennent nous rappeler que le rock français n’a jamais cessé d’être un genre majeur. Gros plan sur trois albums qui savent conjuguer décibels et élégance.
DOLLY
Le grand méchant rock
S’ils portent un nom de brebis clonée, les Dolly ne sont pas que de simples ersatz de groupes rock anglo-saxons ! Né au milieu des années 90, dans une ville qui a vu éclore les talents de Dominique A, Katerine ou les Little Rabbits, Dolly ne fait pas franchement figure de jeune premier. Il n’empêche : ces quatre Nantais sont de parfaits représentants des forces vives du rock français ! Plein air, leur dernière livraison en date, fait dans le brutal : un rock vif et musclé, plaqué sur des rythmiques implacables, et mu par une belle énergie puisée du live. Il faut dire que le groupe est vacciné à la scène, avec un passif de plus de trois cent cinquante concerts, dont quelques passages remarqués aux festivals des Vieilles charrues de Carhaix, et des Francofolies de La Rochelle.
Simple et direct, le style Dolly ne fait pas dans la fioriture, pas plus qu’il n’embarrasse ses mélodies d’artifice. Modèle du genre, il serait néanmoins presque un rien prévisible sans la voix de sa chanteuse Manu, également responsable d’une grande partie des textes. Bien plus qu’une caution féminine, la demoiselle apporte le petit supplément d’âme nécessaire à un grand méchant rock qui louche du côté de Placebo et des Smashing Pumpkins. Son timbre acidulé s’accorde à merveille à la rudesse des guitares sur des titres comme C’est pour toi, le premier extrait de Plein air. Mais aussi aux lignes de basse les plus entêtantes (Il fait si bon).
Ce nouvel album, réalisé par Clive Martin (Silmarils, les Négresses Vertes, et déjà le producteur du premier Dolly), s’offre également un détour réussi du côté des ballades (God), histoire de ménager les tympans les plus délicats. Mais c’est quand il aligne les riffs hargneux et les explosions de décibels que Dolly obtient un rendement optimal !
Dolly Plein Air (East West ) 2002
DIONYSOS
Il était une fois dans l’Ouest
Western sous la neige, le dernier album de Dionysos, est le témoignage d’un fantasme réalisé par le groupe de Valence : aller enregistrer aux Etats-Unis, histoire de puiser les racines folk-rock à leur source. Le rêve américain des Dionysos ne rime néanmoins pas avec débauche de moyens : featurings prestigieux, et tout le toutime bigger than life propre au nouveau monde… Ce n’est pas l’exotisme, mais le goût du blues rugueux qui a attiré les cinq jeunes gens outre-Atlantique. Et l’envie de se frotter à l’esprit des personnalités atypiques, insaisissables, les mavericks, comme en atteste Mc Enroe’s poetry, hommage décalé et inattendu au tennisman bouillonnant. Seule touche de luxe pour ce nouvel enregistrement : la présence aux manettes de Steve Albini figure mythique du rock alternatif, connu notamment pour avoir fricoté avec Nirvana.
Résultat : un mélange de titres français et anglais (ces derniers étant un peu moins digestes) aux refrains prenants et à la vitalité entêtante. Tantôt ballades bluesy, à l’image de Longboard blues, tantôt tourneries musclées (Surfin' Frog), ou encore pop aux accents psychédéliques (Coiffeur d’oiseaux), les compositions de ce Western sous la neige ressemblent à une carte des Etats-Unis chantée en VF ! Avec pour particularité des textes riches en cabrioles stylistiques, en associations de mots improbables ("dyslexie magique", "Goldorak érotique") et autres néologismes maison (le verbe "s’anorakissimer", entre autres trouvailles) qui forment un univers bien personnel et cohérent, loin du rock de supermarché. Les guitares saturées sous forte influence Pixies ne sont certes pas toujours débordantes de singularité, mais elles possèdent suffisamment de finesse pour faire de Western sous la neige un recueil de sonorités élégamment déglinguées ! Une vraie musique de cow-boy en somme –la poésie en plus !
Dionysos / Western sous la neige (Trema/Sony Music) 2002
KAOLIN
Le dur et le doux
Kaolin, c’est le nom d’une roche friable, utilisée dans la fabrication de la porcelaine. Soit une matière à la fois brute et malléable, qui à force de transformation, de raffinement devient noble. Cette définition convient à merveille à la musique de Ludwig, Julien, Olivier et Guillaume, bien inspirés quand il s’est agit de choisir le nom de leur groupe !
Ces quatre garçons de Montluçon – pas franchement la ville la plus rock'n'roll du monde ! - font effectivement souffler le dur et le doux sur les compositions d’Allez, leur premier album "pro" (comprenez non auto produit). Plutôt adeptes d’un rock down tempo, Kaolin ne fait pas pour autant dans la ballade FM inepte, encore moins dans le registre "variét’ rock molle du genou"… Au contraire, les ambiances planantes et les mélodies apprêtées d’Allez annoncent autant de débordements de vitalité. Le groupe a en effet le chic pour faire cohabiter sur un même titre les mélodies les plus délicates et la débauche de sons saturés – Pour le peu, le premier extrait de l’album, ou Devant ce site en sont la parfaite illustration. La pop ouatée du groupe peut à tout instant faire sonner la charge des décibels, sans pour cela donner dans la fusion indigeste. Sous la préciosité de ses arrangements (où l’on retrouve la patte de Jean-Louis Pierot et Edith Fambuena, alias les Valentins, co-réalisateurs de cet opus), Kaolin est un exemple parfait de puissance contenue. Soutenue par des textes convaincants, la "Kaolin’touch" est une manière de néo-romantisme raffiné, branché sur courant alternatif !
Après quelques premières parties plus qu’encourageantes (Dolly, Jean-Louis Murat, Stereophonics…) et une prestation remarquée au festival des Transmusicales de Rennes à l’automne dernier, Kaolin figure en bonne place dans le peloton de tête du rock français actuel. Allez, premier album qui sonne comme un cri d’encouragement, en fait en tous les cas des outsiders de choix !
Kaolin Allez (Barclay/Universal) 2002
Loïc Bussières