TTC l'ovni du rap

Avec leur premier album, Ceci n’est pas un disque les trois Parisiens de TTC frappent juste, servis par une fraîcheur évidente, un flow impeccable et un sens de l’humour mordant. Signé sur un label anglais, Big Dada, ce premier opus est une franche réussite. Rencontre avec Teki Latex, Tido Berman et Cuizinier.

Des forces vives pour le hip hop français.

Avec leur premier album, Ceci n’est pas un disque les trois Parisiens de TTC frappent juste, servis par une fraîcheur évidente, un flow impeccable et un sens de l’humour mordant. Signé sur un label anglais, Big Dada, ce premier opus est une franche réussite. Rencontre avec Teki Latex, Tido Berman et Cuizinier.

Comment passe-t-on de quelques maxi sortis dans une relative confidentialité à cet album signé chez Big Dada ?
Teki Latex :
Le premier maxi Game Over 99 est sorti en indépendant, mais la signature avec Big Dada s’est opérée juste après. A l’époque en France, c’était un peu difficile de faire un hip hop qui ne rentre pas forcément dans les cases des grosses radios hexagonales. Quand on essaie de s’éloigner de ce grand cirque, de ce formatage, les gens vous rendent la vie dure. En 99, c’était l’explosion de tous les gros médias hip hop, l’argent commençait vraiment à rentrer, et les gens n’étaient absolument pas prêts à prendre de risque.

Il y a une uniformisation du "rap fm" ?
Cuizinier :
Depuis très peu de temps, le rap français vend un peu moins, donc le public s’ouvre à une alternative. Mais le formatage a toujours existé. A partir du moment où il y a de l’argent à la clé, les gens ne font que copier le truc à la mode. C’est du recyclage. Au bout d’un moment, le public est fatigué d’entendre ça et une petite place se fait pour de nouveaux groupes. Mais elle ne va pas rester ouverte longtemps.

Le style TTC est une réaction à ce rap commercial ?
TL :
Personnellement, je n’ai absolument rien contre le rap commercial. Ces histoires d’"underground" contre "commercial", c’est une façon de voir les choses en monochrome. L’important, c’est que les groupes aient chacun leur identité, leur originalité.
Tido : Je dirais que le rap commercial a orienté indirectement notre style artistique, car on voulait faire une musique que l’on aurait aimé entendre et qui n’existait pas en France.
TL : L’idée de rap commercial n’est pas un problème en soi. En 99, et je pense que c’est toujours le cas aujourd’hui, tous les groupes se ressemblaient et il n’y avait plus de place pour la créativité. Il s’agissait d’appliquer les formules pour gagner un maximum d’argent en un minimum de temps.

Certains groupes de rap donnent involontairement dans la caricature. Vous êtes un des seuls à provoquer le rire intentionnellement…
TL :
(rires) Je ne trouve pas que le rap qui fait rire soit notre créneau. Pour moi, la musique est une sorte de psychothérapie, j’y mets énormément de souffrance. C’est très difficile quand on fait ce genre de hip hop de ne pas tomber dans le cliché et la naïveté genre dissertation scolaire ou rap de journal intime d’écolière ! Pour éviter ça, on injecte du second degré, du recul. L’humour est présent dans notre musique, mais il s’agit plus de sarcasmes ou de cynisme ! Parallèlement, beaucoup de nos morceaux n’ont pas un propos franchement humoristique comme Pas d’armure ou Subway. Le seul morceau à vocation purement comique. Ceci dit, il y aura toujours des éléments ici et là qui feront sourire, pour attirer l’attention.

L’humour est un outil, un prétexte et non une fin en soi ?
TL :
Exactement, un outil. Un bouclier, pour compliquer les choses et ne pas trop donner dans le premier degré. Le problème, c’est que ça peut vampiriser les autres idées. Les gens retiennent plus facilement le côté humoristique, rap rigolo. Si ça peut nous faire vendre des disques… Notre musique est libre d’interprétation, chacun en tire ce qu’il veut.

Ne craignez vous pas d’être catalogué comme le groupe de rap "qui fait rire" ?
T :
Non, car on ne fait pas que ça. On peut comprendre nos morceaux à plusieurs degrés. Un jour ils te font rire, le lendemain pleurer… Je ne pense pas qu’on va être catalogué dans un quelconque style. Ça ne me fait pas du tout peur !
C : On n'estime pas faire du rap comique. Ça nous dérange d’être catalogué là-dedans parce que c’est un style qui marche depuis Gomez et Tavares ou Disiz la Peste. Ce n’est pas que je ne veuille pas jouer dans la même catégorie que ces gens-là, mais on a absolument rien à voir avec eux. On n'avance pas dans le créneau du rap comique, ce n’est pas du tout notre truc ! Il faut arrêter avec ça, ça nous insupporte. Nous faisons du rap sensible ! Même si ce n’est pas ce que les gens ressentent…

Quel regard portez-vous sur vos collègues du rap français ?
T :
Je suis aveugle ! Il n’y a pas grand monde que j’apprécie. Certains groupes commencent à vouloir sortir du carcan, de ces formats, donc ça commence à être un peu plus intéressant.
C : A partir du moment où tu fais toi-même du rap, tu fais beaucoup moins attention. Plus jeune, j’ai eu beaucoup d’amour pour le rap français. Aujourd’hui il m’intéresse beaucoup moins parce que j’essaie de voir plus large.
TL : A une époque, vers le milieu des années 90, le rap français était de qualité, c’est un peu moins le cas aujourd’hui. Mais on a de moins en moins de contact avec l’extérieur, on fait notre musique dans notre coin. A part nos proches et quelques rares personnes qu’on apprécie, on ne s’intéresse plus trop au hip hop français et de moins en moins au hip hop en général.

Dans Toi-même, vous êtes très critiques à l’égard du rap français. Est-ce à dire qu’à part vous, les groupes de rap français ne valent rien ?
TL :
Il ne faut pas prendre ce morceau au sens littéral. Toi-même est un exercice de style. On a essayé de faire le morceau ultime de battle contre l’ennemi imaginaire : le mauvais MC¹ !
T : Le "whack" !

Traduisez…
TL :
Le mauvais MC, le MC médiocre ! Donc on essaie d’en rajouter et de se mettre en valeur en écrasant les autres. Cet exercice existe dans le hip hop depuis le début, nous ne l’avons pas inventé. On voulait s’y plier à notre manière, c’est à dire en poussant le truc à fond ! A un point tel que ça en devient presque une parodie et que ça relativise le propos. Alors qui est cet ennemi imaginaire, qui est le "whack" ?! Pas nécessairement les autres rappeurs français mais tout simplement ce qu’il y a de mauvais en nous. C’est une façon de se surpasser. Et puis peut-être que sans les mauvais MC, les gens ne pourraient pas voir les qualités des bons !

Quand vous dites que le hip hop est malade, c’est donc sous forme de boutade ?
TL :
Oui, le hip hop n’est vraiment pas malade et je crois que finalement on s’en fout un petit peu… C’est en fait en réaction aux gens qui clament que le hip hop est malade et qu’ils vont le sauver. Ce ne sont que des ambulances en panne comme je dis dans ce morceau.

Le hip hop n’est pas malade et le remède ne s’appelle pas TTC ?
TL :
S’il est malade, qu’il crève, ça ne nous empêchera pas de faire de la musique ! Même si on doit l’appeler polka soviétique ou tango oriental ! (rires)

Votre album est très musical. Vous vous permettez même de sampler un titre des Bar-Kays², Holy Ghost, qui n’est d’ailleurs pas crédité…
T :
Ce n’est pas du tout ça ! Nous sommes de grands musiciens, on a tout joué nous-mêmes ! J’ai personnellement fait le conservatoire…
TL : Je crois qu’il ne faut définitivement pas que les Bar-Kays ou leur maison de disque lisent cette interview… Il ne faut pas du tout parler de ça (éclat de rire).Les samples existent dans le hip hop depuis longtemps, bien avant nous.

Vous êtes plus 'old school' que la moyenne, dans la mesure où vous samplez des titres sans les déclarer comme on le faisait il y une vingtaine d’années…
TL :
Je ne suis pas au courant de ce que tu dis… (rires)
T : Qu’est-ce que tu entends par 'déclarer' ?
TL : Beaucoup de gens samplent des morceaux sans les déclarer… On en trouve dans tous les albums de rap. Ils sont juste plus obscurs, ou moins connus que celui-là. On voulait vraiment ce morceau et on a tenté le tout pour le tout… Mais il ne faut vraiment pas en parler !
T : Si on se fait griller, tu paieras pour nous !

¹ Master of Ceremony.
² Groupe soul des années 70 et musiciens d’Otis Redding.

TTC Ceci n’est pas un disque (Big Dada Recordings / Pias,) 2002