Patrick Saint Eloi

Après avoir été l'un des chanteurs de Kassav' pendant plus de vingt ans, Patrick Saint Eloi s'est affranchi définitivement de la célèbre formation des Antilles françaises. Un départ marqué par la sortie de Swing Karaïb. Un album fidèle au zouk de bonne facture qui a donné l'occasion à cet artiste guadeloupéen de changer de maison de disques. Rencontre avec ce quadra de charme, déterminé, qui se veut discret malgré son succès.

'Zoukeur' affranchi

Après avoir été l'un des chanteurs de Kassav' pendant plus de vingt ans, Patrick Saint Eloi s'est affranchi définitivement de la célèbre formation des Antilles françaises. Un départ marqué par la sortie de Swing Karaïb. Un album fidèle au zouk de bonne facture qui a donné l'occasion à cet artiste guadeloupéen de changer de maison de disques. Rencontre avec ce quadra de charme, déterminé, qui se veut discret malgré son succès.

RFI Musique : Votre dernier album Swing Karaïb marque un nouveau départ dans votre carrière puisque désormais vous avez quitté définitivement Kassav'. Qu'est-ce qui vous a poussé à rompre avec ce groupe ?
Patrick Saint Eloi : J'avais envie de poser mes valises chez moi en Guadeloupe. Je ne voulais plus partir en tournée toute l'année. Pour ce qui est de ma collaboration artistique au sein de Kassav', je pense avoir fait le tour et je vois désormais les choses autrement. C'est un choix tout à fait personnel, une remise en question, en quelque sorte, que je n'ai pas vraiment calculé. Je tiens à préciser que c'est une rupture sans aucune friction. J'ai conservé parmi les musiciens de la formation des amis qui ont compris ma démarche. Rassurez-vous, ce n'est pas aujourd'hui que je vais cracher dans la soupe ! Kassav' restera mon université, ma fac. J'ai appris le métier avec eux et ça je ne peux pas le " zapper " de ma mémoire…

Quel meilleur souvenir garderz-vous de l'expérience passée avec Kassav' ?
C'est difficile spontanément de se rappeler d'un moment particulier. En y réfléchissant, c'est peut-être la toute première tournée du groupe. C'était à l'île de la Réunion, l'ambiance était fabuleuse. Je me remémore aussi les répétitions. A une certaine époque, on répétait tous les jours à la cave. Des fois sans même savoir pourquoi ! Juste pour le plaisir d'être ensemble et de jouer de la musique. Il y avait une beauté, celle de l'acte gratuit.

Autre changement, c'est votre nouvelle maison de disques. Vous êtes le premier artiste antillais à signer chez Lusafrica, un label essentiellement axé sur les artistes lusophones. Comment s'est opéré ce transfert ?
Tout est parti de la rencontre avec Cesaria Evora. A l'époque de l'émission Taratata (animée par Nagui sur France 2, ndlr), je me suis fiancé le temps d'un duo avec cette grande dame du Cap-Vert. A partir de ce moment là, je suis entré en contact avec Lusafrica et de bonnes relations se sont nouées très rapidement. C'est une maison de disques très dynamique qui, de plus, a une bonne distribution. Tout comme mon départ de Kassav', je ne regrette absolument pas ce choix qui risque de m'ouvrir d'autres portes.

Venons en à Swing Karaïb, un opus ouvert sur la Caraïbe avec son titre mais tout de même très centré sur le zouk. Que représente pour vous cette musique emblématique des Antilles françaises, dont vous êtes l'un des porte-drapeaux depuis plus de vingt ans ?
Pour moi, le zouk est un outil magnifique que l'on peut mélanger avec plein de choses. En tant qu'artiste antillais, je me dois de véhiculer cette culture importante du bassin caribéen, car j'ai une foi profonde en cette musique. Avec le recul, je pense que peut-être au sein de Kassav', on n'a pas réellement pris conscience de la valeur de ce joyau musical. Quand je me déplace, en métropole ou ailleurs, et que je vois les gens se balancer sur notre rythme, cela fait plaisir de constater que le public n'est pas uniquement créolophone. J'ai envie qu'on sache que le zouk fait toujours bouger beaucoup de monde. Personnellement, j'essaie de faire un style écoutable par tous.

La onzième plage qui clôture l'album est un duo rap-zouk. Comment est né ce morceau à part ?
Un jour en Guadeloupe, j'ai rencontré un jeune qui voulait me faire écouter un truc sur lequel il bossait. On a discuté, j'ai trouvé l'idée intéressante, je lui ai dit de continuer à travailler dans ce sens et de revenir me voir. C'est comme cela que ce titre intitulé Remix grav' a vu le jour. Je suis satisfait du résultat car c'est une manière pour moi de partager ma musique. Ce tchacheur s'appelle DJ Jackson. C'est un artiste bourré de talent avec lequel il va falloir compter demain sur la scène antillaise.

Côté textes, vous allez à contrario d'un zouk aux paroles légères. C'est une manière de dire que l'on peut danser tout en réfléchissant ?
L'essentiel en ce qui me concerne, c'est de faire les choses du fond du cœur avec mes tripes. Sortir un disque tous les ans n'est pas une obsession. Je prends mon temps pour travailler car si on doit produire une galette uniquement pour mettre sa gueule sur la pochette, ce n'est pas la peine ! Sur cet album, en dehors des chansons d'amour, je parle de paix mais aussi d'écologie. Ce sont des sujets qui m'interpellent. Il faut sensibiliser les gens sur certains problèmes et en même temps, on se doit de les faire rêver pour qu'ils se lâchent. Modestement, je joue mon rôle en faisant en sorte de me donner à fond.

La scène artistique créole a été endeuillée par la mort de Georges Debs, le 2 juin dernier. C'était quelqu'un qui a beaucoup œuvré pour la musique antillaise, en étant notamment le premier producteur de Kassav'. Quelle a été votre réaction après sa disparition ?
C'est toujours délicat de faire des compliments à une personne qui n'est plus là. Toujours est-il que je lui tire mon chapeau. C'était quelqu'un qui croyait énormément aux artistes et qui n'hésitait pas à investir même sans garantie financière. Il ne mettait pas de mesure dans ses décisions. Le résultat c'est que notre musique a bercé pas mal d'oreilles de part le monde. Nous devons continuer aujourd'hui son travail, sans lui, afin de poursuivre son entreprise.

Vous êtes aujourd'hui un artiste reconnu dont le succès en solo a été maintes fois primé. Comment le chanteur de charme que vous êtes vit au quotidien en Guadeloupe ?
Je n'ai pas la grosse tête et déteste cette image d'Apollon qui me colle à la peau. Je viens d'un milieu très modeste et j'ai gardé les pieds sur terre. Le star system, c'est pas mon truc ! Je suis d'abord une personne avant d'être un artiste. Je ne me cache pas chez moi, je vis avec tout le monde, fais mon marché, promène ma fille dans les rues, bavarde à droite, à gauche. Vous savez, les Guadeloupéens ont l'habitude de me voir. Il faut savoir rester près des gens car c'est là que se déroule la vie. Le fait d'aller au devant des autres est aussi une source d'inspiration dont j'ai besoin.

Patrick Saint-Eloi Swing Karaïb (Lusafrica/BMG) 2002