Nuits Atypiques de Langon
Donner un supplément d'âme aux concerts par des débats, cultiver l'échange et la rencontre de différentes cultures... c'est la philosophie du festival des Nuits atypiques de Langon qui s'est tenu du 1er au 4 août 2002 dans le sud-ouest de la France.
Pow vow sous le tipi
Donner un supplément d'âme aux concerts par des débats, cultiver l'échange et la rencontre de différentes cultures... c'est la philosophie du festival des Nuits atypiques de Langon qui s'est tenu du 1er au 4 août 2002 dans le sud-ouest de la France.
Langon, 6.000 habitants, une poignée de producteurs de foie gras et un minaret... Cet édifice, construit il y a un siècle par un original local féru d'Orient, est devenu le point de ralliement de quelque 25.000 amateurs de musiques du monde. Planté au beau milieu d'un hippodrome désaffecté, cette bâtisse sans muezzin veille depuis dix ans sur un festival atypique et de plus en plus couru.
Pourtant, la onzième édition de ces Nuits atypiques commençait plutôt mal puisqu'on apprenait, à peine arrivé, que les voisins bordelais de Noir Désir qui devaient clore la soirée de lundi, annulaient pour cause de genou en capilotade de leur chanteur Bertrand Cantat. Mais les organisateurs ne ressentiront, finalement, pas trop cette défection de dernière minute compte tenu du reste des têtes d'affiche. Ainsi, jeudi, l'accordéoniste argentin Raul Barboza déroule un tapis de chamame, (style du "Nordeste"), sous les pieds (nus) de Cesaria Evora. La comtesse de Mindelo offrait, avec son groupe cubano-cap-verdien, un concert dont la qualité fut à la hauteur de la simplicité de la chanteuse.
Le lendemain, le public langonnais privilégié, assistait à un spectacle rare puisque le serbo-croate Goran Bregovic déplaçait son big band pour un concert de plus de trois heures. Une fanfare tsigane, un orchestre de cordes polonais, un trio de voix de femmes bulgares et un autre chœur d'hommes de l'église orthodoxe de Belgrade... la scène débordait de ces quarante musiciens et le public était comblé. Une ouverture avec un air de La reine Margot, le film réalisé par Patrice Chéreau, quelques airs entraînants de son prochain album qui doit sortir à la rentrée comme Hop hop hop, "une chanson sur les homosexuels" précise l'auteur qui trouve sa musique "ennuyeuse pour ce genre de festival rock". De fait, le plus ennuyeux n'est pas tant sa musique que son jeu de scène. Assis derrière son ordinateur d'où il lance des séquences, ou planqué derrière une guitare dont il égraine quelques notes rock, Goran Bregovic semble avoir laissé derrière lui son passé de rock star. Heureusement pour lui, le chef de chœur, accordéoniste, percussionniste et chanteur du groupe est un spectacle à lui tout seul. Une gueule d'Attila, des tatouages plein les bras et des muscles qui débordent des manches, il assurait à lui seul une bonne partie du spectacle. Résultat, le public en redemande jusqu'à deux heures du matin et chante en chœur le refrain de la chanson du film Arizona dream, In the deathcar, interprétée à l'origine par Iggy Pop que Goran chante seul à la guitare.
Nettement plus décevant, le concert le samedi soir de Youssou N'Dour aussi chaleureux et incarné qu'un séminaire de VRP en sous-préfecture de la Gironde. Au bout du quatrième morceau la star du m'balax se fend tout juste d'un "Merci, Thank youuuu" avant de s'enquérir d'un "Est-ce que vous êtes là, Langon ?!?" du plus bel effet... Pour le reste, le show déroule sa torpeur de fin de tournée. Les tubes Seven seconds ou Shakin' the tree arrivent à point nommé pour étoffer les applaudissements. Et on est tout de même gratifié, en avant-première, d'un titre du futur album : Doley, morceau qui fait sont petit effet auprès d'un public de connaisseur. Un album intitulé Nothing in vain où figurera une reprise aussi réussie que sobre de la chanson de Brassens, Il n'y a pas d'amour heureux.
Cette prestation de Youssou N'Dour aura au moins eu le mérite de provoquer, en Gironde, la première rencontre entre le chanteur et l'ex-ministre de la culture malien Aminata Traoré qui suivait le concert depuis les coulisses. Le musicien - soucieux de redistribuer un peu de gloire et de son savoir-faire auprès des artistes de son pays - et la sociologue écrivain - inquiète de ne pas voir le Mali produire et suffire à ses propres besoins - ont discuté pendant une demi-heure d'une éventuelle collaboration.
Débattre et échanger des idées sur le devenir de la Palestine, sur les enjeux de la question sahraouie ou sur la mondialisation marchande, c'est l'autre volet de ce festival dont le but est aussi de traiter le spectateur en acteur. Ainsi, dans le village, au beau milieu de hêtres centenaires qui avaient pour la circonstance la forme d'arbres à palabres, on a pu croiser Ray Lema accompagnant Aminata Traoré afin d'expliquer le sens du Réseau des intellectuels africains qu'ils ont co-fondé pour l'éthique et l'esthétique. Un peu plus loin, Danielle Mitterrand et Khadidja Hamdi (épouse du président sahraoui Mohamed Abdelaziz) débattaient de la question sahraoui avant que les femmes du groupe Sahra chantent leur condition de vie dans le camp de réfugiés de Tindouf (Algérie). Enfin, si Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France n'a pu venir à Langon, faute de visa, pour parler de l'avenir de la Palestine, tous les festivaliers sont restés sous le charme des frères Samir et Wissam Joubran, natifs de Nazareth et dont le jeu de oud a enthousiasmé le public.
Une onzième édition réussie, donc, pour un festival qui est sûrement en train de s'imposer comme le principal rendez-vous de musiques du monde de l'été en France. Festival qui fait des émules, puisque depuis 96 il existe une version burkinabé de ce festival à Koudougou en novembre. Et le guitariste de Sao Paulo, Carlinhos Antunes, envisage d'organiser des Nuits Atypiques au Brésil, dans sa propre ville...