JAMAÏCAN SUNRISE

Bagnols-sur-Cèze, le 8 août 2002 - La première édition du festival reggae Jamaïcain Sunrise a porté tous ses fruits. Pendant trois jours, du 6 au 8 août, vingt groupes français et jamaïcains se sont relayés sur scène dans une petite ville de la France, habituellement bercée par le blues.

Kingston/Bagnols-sur-Cèze

Bagnols-sur-Cèze, le 8 août 2002 - La première édition du festival reggae Jamaïcain Sunrise a porté tous ses fruits. Pendant trois jours, du 6 au 8 août, vingt groupes français et jamaïcains se sont relayés sur scène dans une petite ville de la France, habituellement bercée par le blues.

Pour sa première édition, le Jamaïcain Sunrise séduit par avance en proposant un plateau d’artistes en dehors des sentiers battus. Si la programmation fait la part belle aux vedettes jamaïcaines du reggae, dont quelques-unes viennent rarement de ce côté-ci de l’Atlantique, la scène française n’a pas été oubliée avec deux ou trois de ses représentants chaque soir. "Il y a des gens qui ont découvert le reggae d’abord à travers les disques de groupes français et qui, ensuite, ont continué à chercher et sont tombés sur le reggae jamaïcain" explique Emilie, jeune femme d’une vingtaine d’années, nourrie dès le plus jeune âge au reggae, et créatrice de ce festival.

Dans l’Algéco qui sert de bureau à la production, Brigitte, sa maman, répond aux incessantes sollicitations inhérentes au bon déroulement d’un tel événement. Grande connaisseuse es-reggae mais novice elle aussi dans le domaine de l’organisation des concerts, elle a mis au service de sa fille son expérience dans la production de films publicitaires, même si elle reconnaît en souriant que "avec les Jamaïcains, c’est un peu plus difficile à gérer…"

Il a fallu deux ans pour que leurs efforts aboutissent et que le rêve d’Emilie, partagé par sa mère, se concrétise. Grâce à l’association Festimusiques qui s’occupe chaque mois de juillet du festival Bagnols Blues, elles ont obtenu l’autorisation de la mairie après avoir vu leur projet annulé à Chantilly, en région parisienne. Le pari restait néanmoins risqué : sans sponsor, Brigitte a financé seule toute l’opération et réglé au passage 80 billets d’avions pour les musiciens ! Avec une affluence quotidienne de presque 5000 spectateurs pour les deux premiers jours et probablement autant le dernier, elles sont en passe de réussir leur incroyable challenge.

Alors que la pelouse se remplit peu à peu de spectateurs, le camping attenant affiche déjà complet. La veille, les organisateurs ont joué au chat et à la souris avec une poignée de fans obstinés qui essayaient par tous les moyens d’entrer sur le site du festival afin d’y planter leurs tentes.
Emilie a confié aux régionaux de l'étape, Ilé Ifé, l’ouverture du Jamaican Sunrise. Une tâche ingrate, devant un public très épars et peu attentif, mais que ce groupe de Bagnols, à l’aise et heureux de jouer chez lui pour une telle occasion, a assuré de son mieux. Le ton est vite donné par le chanteur qui évoque les discussions récentes sur le règlement de la dette africaine : "Depuis des dizaines d’années, on pille leurs richesses. Si on faisait le calcul, c’est nous qui devrions la thune aux pays africains." Dans le stand de l'association anti-mondialisation Attac, installé à quelques mètres, nul doute qu’on apprécie de tels propos. Passées les premières chansons, les musiciens se libèrent davantage. Lorsqu’ils se lancent dans un dub qui clôt leur prestation, Ivan, le batteur de Sinsémilia, venu en spectateur, se met à écouter des deux oreilles. La disposition des lieux, les stands reggae et africains tout autour de l’espace réservé au public lui rappellent le Summerjam, le plus grand festival reggae d’Europe qui se tient en Allemagne, à Cologne, et où il a joué il y a plusieurs années.

Avec le nombre de concerts qu’ils ont donné depuis dix ans, les membres de Sinsémilia, en semi-repos cet été, connaissent la presque totalité des groupes de reggae français auprès desquels ils font souvent figure d’exemple. Lorsque Positive Roots Band monte sur la scène du Jamaican Sunrise, Ivan ne cache pas qu’il aime beaucoup les qualités musicales de cette formation toulousaine. Pour construire son répertoire, elle a pioché dans les différentes époques de la musique jamaïcaine. Roots, dancehall ou rub a dub, trois genres de reggae qui correspondent aux goûts respectifs de chacun des trois chanteurs. Asney, l’un d’eux, a rejoint le groupe à la fin de l’année dernière. L’ancien chanteur du groupe bordelais New Deal, qui avait enregistré plusieurs albums dans les années 90, n’arrivait pas à faire décoller sa carrière solo. Malheureusement pour lui, Positive Roots Band peine aussi à se faire connaître. Leur premier CD Edition Spéciale (Next Music) est sorti quasiment dans l’anonymat au printemps, sacrifié par leur maison de disques qui avait pourtant fait de grandes promesses. La déception a été telle qu’un des chanteurs a jeté l’éponge.

Couchés à l’aube, les spectateurs ont pris les devants le deuxième jour en anticipant la fatigue d’une seconde nuit de veille. Sons of Gaïa en a fait les frais, jouant devant une assistance réduite. A cinq, avec deux anciens membres de Gang Jah Mind, les Marseillais se distinguent par leur efficacité, produisant un son brut dans la veine de celui de Sly & Robbie, le duo basse-batterie le plus employé en Jamaïque depuis 25 ans. Pour identifier leurs autres influences, il suffit de regarder leurs instruments : le mélodica, c’est en référence à Augustus Pablo, musicien et l’un des fondateurs du dub. Les percussions nyabinghi, ces tambours traditionnels, reflètent leur admiration pour Count Ossie et les Mystic Revelation of Rastafari, vétérans du mouvement rasta que les musiciens jamaïcains retrouvaient sur les hauteurs de Kingston pour des nuits musicales qui ont généré le reggae. Frustrés de ne pas avoir eu le temps de convaincre les absents à Bagnols, les Sons of Gaïa, de retour dans leur loge, préféraient discuter du projet Marseille Reggae All Stars auquel ils ont participé. Un album qui réunit une trentaine d’artistes reggae de la cité phocéenne et dont la sortie est prévue pour le mois de septembre.

Lorsque Djama entre en scène, les rangs sont toujours clairsemés. Leur moral aurait pu être atteint car deux jours plus tôt, ils se produisaient devant 4000 personnes lors d’un festival en Allemagne. Mais ce groupe basé à Nantes et dirigé par un trio comorien ne se déstabilise pas pour si peu. Tant pis si eux aussi sont pénalisés par l’horaire de passage, en plein jour, qui dénature leur jeu de scène et ne produit pas le même effet que dans une salle éclairée. Chez eux, le reggae est métissé et prend des couleurs rythmiques africaines. Leur discours rassembleur conquiert rapidement le public qui prête enfin attention, s’étonne de leur reprise reggae du Boléro de Ravel qu’ils n’ont pas eu l’autorisation d’inclure sur leur troisième album Rastaman (Next Music) alors qu’il s’agissait pour eux de rendre hommage à la France qui les a accueillis.

En coulisse, les Comoriens retrouvent Abdou Day, le Malgache qui a fait de l’est de la France "son" territoire qu’il alimente en reggae au point d’avoir un dossier de presse aussi épais qu’un annuaire. Adepte du système D qui lui a permis d’écouler 3500 exemplaires de son précédent disque, il distribue seul son nouvel album en allant de ville en ville et a profité de sa présence dans les environs de Bagnols pour confier à Djama 25 CD pour les magasins nantais.

Les voisins de l’océan Indien se rendent service mutuellement. Lady Sweety, dont le premier disque est sorti uniquement à La Réunion, n’a pas parcouru autant de kilomètres qu’eux sur les routes mais celle qui pourrait être le pendant féminin de Nuttea a aiguisé sa lame verbale avec les plus redoutables deejays jamaïcains. Au Jamaican Sunrise, elle aura l’opportunité de prouver une fois encore que le reggae n’est plus l’apanage des compatriotes de Bob Marley.

Bertrand Lavaine

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