Zebda
Le quatrième album de Zebda, Utopie d’Occase, est l’un des plus attendus de la rentrée. Moins festif ou dansant que le précédent, cet enregistrement confirme l’engagement des Toulousains à dénoncer, avec hargne ou ironie, les travers d'une société française qui a bien du mal à chasser les vieux démons du racisme et de la xénophobie.
De bruit et de fureur
Le quatrième album de Zebda, Utopie d’Occase, est l’un des plus attendus de la rentrée. Moins festif ou dansant que le précédent, cet enregistrement confirme l’engagement des Toulousains à dénoncer, avec hargne ou ironie, les travers d'une société française qui a bien du mal à chasser les vieux démons du racisme et de la xénophobie.
Utopie d’occase, qu’est ce que c’est ? Des idéaux bradés ?
Moustapha : Ce sont à la fois des idéaux bradés et en même temps, accessibles. Ceux du rêve et de la réalité. En gros, il s’agit des valeurs de la République qui, dans la vie, ne marchent pas. Nous, on essaie de vivre en cohésion avec ce principe et on essaie d’être heureux, d’agir, de se battre. On a une histoire, un vécu qui nous a marqués, traumatisés pour certains. Fils d’immigrés, arabes... on a vécu des discriminations, des chocs psychologiques. Moi, jusqu’à l’âge de vingt ans, j’ai dû subir une vingtaine de contrôles d’identité dans la rue. En gros, je sais ce que c’est que d’être suspect. C’est le délit de sale gueule. Par rapport à cela, on a des raisons d’être désillusionnés, désespérés.
Magyd : Je crois qu’il ne faut pas se faire d’illusions sur la société et c’est pour cela qu’on a choisi ce titre d’Utopie d’occase. L’utopie est essentielle à chaque individu. C’est une projection de sa vie vers le meilleur mais la réalité l’en empêche. Et donc c’est une espèce d’élastique qui nous fait nous rapprocher de l’utopie, reculer, rapprocher, reculer... Au bout du compte, nous, on a à distraire les gens pendant une heure et demi de voyage, de plaisir et on peut aussi s’arrêter là. Si le public perçoit cette réflexion derrière la distraction, c’est bien.
Après le carton d’Essence Ordinaire en 1998 (600.000 albums, plus d’un million de singles vendus), comment appréhende t-on la conception d’un nouvel album ?
Magyd : On a fait un album assez conforme à ce qu’on voulait faire : le noircir, l’assombrir un peu, le dénuder. Qu’il soit moins maquillé, moins apprêté, avec des voix qui conservent leurs scories, leurs défauts. Quand on fait un album qui nous ressemble finalement, cela nous fait du bien à la tête et à l’âme. On sent alors qu’on n'est pas trop faux cul par rapport à ce processus de création. L’objectif est compliqué : comment est ce qu’on peut sonner le moins faux cul possible, avec sept mecs aux goûts musicaux aussi différents ?
Moustapha : Avec Zebda, on a toujours été dans une gestion progressive de notre histoire. C’est à dire que l’on regarde toujours ce qu’on est en train de faire et où cela nous mène. Le succès d’Essence Ordinaire et de Tomber la Chemise, on l’a pris en jouant et en tournant. C'était effectivement hyper motivant. Cela nous a fait un bien énorme après toutes ces années passées sur la route. Maintenant, on ne se pose pas tellement de question par rapport au succès d’Essence Ordinaire. On se dit qu’on fera difficilement un succès comme Tomber la chemise. Si c’était le cas, peut être qu’on pourrait commencer à se prendre pour U2 ! (rires) Mais on y croit pas tellement.
Votre style est difficilement définissable et pourtant votre public augmente de plus en plus, comment l’expliquez-vous ?
Magyd : C’est ce qu’on est, tout bêtement ! Moi, je suis un mec qui n’a pas adhéré à des courants stylistiques, politiques, philosophiques. J’ai toujours été dans pleins de trucs en même temps entre Pierre Perret et Rage Against The Machine. T’écoutes Pierre Perret, tu prends ton pied, t’écoutes RATM, tu prends ton pied aussi et tu n’as pas envie de faire un choix entre les deux. L’essentiel c’est d’être cohérent dans cette multiplicité et dans la complexité des thèmes qu’on aborde. La chanson qu’on va chanter doit correspondre à ce que je fais quand je me lève le matin, à l’attitude que j’ai au quotidien envers les autres. Je prône le respect ? Donc j’essaie de voir si je ne fais pas chier les gens. Je prône la fraternité ? Mais est-ce que j’ouvre assez mon cœur, est-ce que je laisse assez de place aux autres ? C’est une prise de tête permanente. Notre succès, on ne le gère pas vraiment. Notre quête, c’est cet espèce de Graal qui est de savoir quelle est notre vérité ?
Le public, les premières années, c’était l’angoisse. Après des centaines de concerts quand tu sens que le public n’adhère pas vraiment, tu te dis qu’il faut peut-être arrêter les conneries. Et puis, à un moment donné, il y a une adhésion de gens qui disent : "c’est le bordel, mais cela nous va. Moi aussi, j’ai envie d’écouter Pierre Perret et du hardcore. J’ai pas envie de choisir". Les gens nous disent : "Bon, finalement, vous n’avez pas de style mais vos albums, vos morceaux, on s’en fout. C’est l’ambiance qu’on prend". Le public adhère à cela.
En 1995, vous repreniez la formule de Jacques Chirac sur le bruit et l’odeur que faisaient, selon lui, les immigrés en France. Cette année, qu’avez vous fait lors du second tour des présidentielles ?
Moustapha : Zebda a toujours eu ce trait de caractère d’être raisonnable, responsable. J’ai toujours voté utile. Donc là, j’ai fais la même chose. Je me suis persuadé que je devais voter Chirac. Le soir-même, il y a eu une espèce d’amertume. Je me suis dit que c’était reparti pour cinq ans de droite bien musclée avec la répression, une tendance à faciliter l’humiliation des gens dans les quartiers. Et quelques jours plus tard, tu avais à Dammary-les-Lys, trois cents appartements perquisitionnés, pour rien ou presque. Quand je te parle de traumatismes, de chocs quand tu es gosse, c’est de cela dont il s’agit.
Magyd : Quand je suis allé poser mon bulletin Chirac dans l’urne, je me suis dit que c'était quand même fabuleux : Jacques Chirac, il y a dix ans mettait l’immigration dans une poubelle qu’il fermait parce que ça puait et que ça faisait du bruit. Et nous, on sort de cette poubelle pour lui mettre une couronne sur la tête. Une couronne de sauveur de la République avec cette image des beurs dansant, applaudissant, l’embrassant…
Sur Utopie d’occase, les chansons dénonçant le racisme, la xénophobie en France ne manquent pas : Le paranoïaque, Mélée ouverte...
Moustapha : Parce qu’il n’y a pas le choix ! Qu’en est-il des Arabes en France ? La France veut bien de Zidane, la France veut bien de Khaled, de Zebda. Mais qu'en est-il des Arabes ?!? Le truc dangereux dans cette vision des choses qui a été portée à son paroxysme par la victoire de 98 au Mondial de football, c’est l’arbre qui cache la forêt. En résumé, on veut bien des Arabes qui réussissent mais pas des autres. Désolé, on est des prolos à la base !!! On est dans la merde et vous nous traitez comme de la merde. Ne nous demandez pas en plus d’avoir tout compris et de prendre du recul par rapport à tous ces problèmes. C’est ce constat que l’on fait, nous aussi, Zebda, quand on va dans les "quartiers" pour encourager les jeunes à aller voter à se prendre en main... On entend en réponse : "Va te promener !".
Jean-Marie Messier, qui se servait de votre nom et de celui de Noir Désir comme caution culturelle quand il était à la tête du groupe Vivendi Universal, vous a-t il invités à son pot de départ ?
Magyd : Non. Messier, finalement, c’est vraiment anodin parce que si ce n’est pas lui, c’est un autre. Ces gens-là nourrissent la mécanique du profit et ils ne sont vraiment nos ennemis. Messier ce n’est qu’une péripétie dans la mécanique libérale. Le mal essentiel, c’est la mécanique ultra-libérale : le profit, le plus fort qui écrase l’autre. Nous nous battons pour des notions de solidarité, d’équité. Pour l’instant, on ne pèse pas lourd face au char d’assaut libéral et donc, on perd. On passe notre temps à perdre.
A quand des concerts en Algérie ?
Moustapha : Dès qu’on aura une opportunité. On aimerait y jouer, mais dès qu’on aura un moyen d’y aller correspondant à notre envie, c’est à dire avec une certaine liberté. Khaled, Faudel... c’est du raï. Ils peuvent se permettre de le faire très facilement. Je ne pense pas qu’on ait le même public, aussi nombreux qu’eux. Mais ce serait formidable d'aller jouer en Algérie. Pouvoir dire aux Algériens qu’on aime ce pays de manière indiscutable, affective et animale!
Cet automne doit sortir un film d’Eric Pittard intitulé Le bruit et l’odeur sur un jeune beur tué par un policier. Vous y participez, pourquoi ?
Magyd : Il nous a semblé qu’on avait toute notre place dans ce film. Nos chansons s'y intégraient parfaitement. Il suffit d’évoquer la moindre situation d’immigration pour que toute l’exclusion, toute la méchanceté de la société apparaisse. Ce film est vraiment un témoignage. Dans les livres sur l’histoire de France, on ne trouve pas trace de notre existence. Ni hier, ni aujourd’hui. On est des centaines de milliers derrière cette porte qui s’appelle France, en train d’implorer qu’on ouvre cette porte. On veut juste avoir quelques pages dans cette histoire-là.
Moustapha : On ne peut pas tuer un jeune parce qu’il vole une voiture. La peine de mort a été abolie dans ce pays, il y a vingt ans. Ou c’est une réalité ou alors il y en a qui peuvent mourir et d’autres non. C’est flippant comme dérive !
Zebda Utopie d’occase (Barclay/Universal)