Dupain provençal
Paris, le 2 septembre 2002 - Après L'usina paru il y a deux ans, les trois compagnons marseillais sont de retour avec désormais un quatrième larron, pour défendre Camina. Un nouvel album fidèle au chant provençal et à la vielle à roue mais plus personnel dans l'écriture. L'occasion pour les Dupain de réaffirmer une Occitanie plurielle, d'aujourd'hui et de demain. Entretien croisé, à lire "avé" l'accent, avec Samuel Karpiénia, le fondateur du groupe et Noël Baille, le nouveau venu.
Occitans pluriels
Paris, le 2 septembre 2002 - Après L'usina paru il y a deux ans, les trois compagnons marseillais sont de retour avec désormais un quatrième larron, pour défendre Camina. Un nouvel album fidèle au chant provençal et à la vielle à roue mais plus personnel dans l'écriture. L'occasion pour les Dupain de réaffirmer une Occitanie plurielle, d'aujourd'hui et de demain. Entretien croisé, à lire "avé" l'accent, avec Samuel Karpiénia, le fondateur du groupe et Noël Baille, le nouveau venu.
RFI Musique : Votre dernier opus s'intitule Camina. Un titre naturellement en langue occitane. Quel est l'esprit de ce disque ?
Noël Baille : A l'impératif, Camina signifie "prends ta voie", "prends ton chemin". En un mot, chemine. C'est un peu l'idée de l'album. Quoi qu'il arrive, il faut garder la foi dans tout ce que l'on fait et savoir défendre ses idées. Par exemple, le titre Lo Carejaire va dans ce sens. C'est l'histoire d'un gars qui nage sans arrêt afin d'arriver sur l'autre rive. Il est obligé d'aller de l'avant, n'ayant pas le choix. On a écrit cette chanson lorsqu'on était à Tanger au Maroc, de l'autre côté de la Méditerranée. Tout d'un coup, nous trouvions bizarre le fait d'être face à l'Occident ! Regardez l'Europe, celle des richesses, depuis l'Afrique. Pour nous, ce morceaux reflète ce sentiment. C'est-à-dire que ce bonhomme qui avance, est porteur d'une culture qui va venir enrichir le tissu français. L'idée, c'est d'arriver à faire comprendre que notre culture, chez nous, est perpétuellement alimentée par d'autres civilisations. C'est pour cela qu'elle est vivante, parce qu'elle évolue.
Vous définissez votre style sous le terme de "tradinnovation". C'est une manière de contourner l'étiquette "néo-folk" ou au contraire s'agit-il d'un véritable concept musical ?
Samuel Karpiénia : D'un côté, nous puisons dans les musiques traditionnelles du bassin méditerranéen. Cela va des mélodies napolitaines du sud de l'Italie, aux couleurs flamencas et andalouses, en passant par toute la rive du Maghreb et même les musiques orientales, notamment égyptiennes. De l'autre, on innove parce que nos compositions sont des créations originales. D'où "tradinnovation". En fait, notre démarche est une hypothèse de la musique traditionnelle provençale marseillaise d'aujourd'hui. Une proposition tournée bien sûr vers l'avenir. Après, dans l'interprétation, chacun d'entre nous essaie tout simplement d'y mettre de la vie. Cette approche est indispensable, sinon ça s'appellerait de la musique folklorique ! Au départ, les disquaires nous rangeaient dans les bacs world music, mais on ne s'y reconnaissait pas. Dupain se considère plus comme un groupe de rock français avec notre manière complètement intuitive d'utiliser les instruments traditionnels. On ne s'enferme pas dans la technique du jeu originel comme le font certains musiciens traditionnels. Si les cultures ancestrales ne se renouvèlent pas, elles finissent par mourir avec le temps. C'est ce qui est arrivé en France avec les musiques régionales qui ont quasiment toutes disparues, à part quelques provinces vivaces.
Concernant l'instrumentation, outre la vielle à roue qui est désormais la marque de fabrique du groupe, le climat de cet album est plus acoustique que le précédent puisque la guitare basse a remplacé le séquenceur. Pourquoi avoir choisi cette réorientation?
Noël Baille : Etant désormais bassiste du groupe après avoir accompagné, entre autre Jo Corbeau, je pense qu'une véritable ligne de basse manquait à la formation. Cela donne une dimension plus humaine car les machines qui envoient les basses sont parfois un peu froides. C'est également une manière de se retrouver. J'ai fait mes débuts en même temps que Samuel. On se connaît depuis qu'on est minots, on a grandi à Port-de-Bouc, cette ville ouvrière près de Marseille. A l'époque, Samuel était plutôt rock'n'roll et moi reggae. C'est l'histoire qui continue ! En ce qui concerne la vielle à roue, Pierre-Laurent Bertolino a un jeu très particulier. Il aborde cet instrument à touches et à cordes frottées par une roue comme un clavier. La vielle n'est autre que le clavier du Moyen age ! Pour lui, c'est comme un synthé ou un sampleur…
Dupain est né à Marseille, qui avant d'être la deuxième ville de France, est tout d'abord la capitale de la Provence. Que représente pour vous cette identité régionale ?
Samuel Karpiénia : Pour nous, la cité phocéenne est une capitale méditerranéenne. On ressent les mêmes choses quand on est à Naples ou Athènes, ce côté mosaïque avec ce mélange de communautés. Il s'agit d'une culture plurielle à travers laquelle tout le monde se ressource. Elle n'est pas fermée sur elle-même. Mais pour que cette identité perdure, elle ne doit pas réprimer toutes ses influences qui sont présentes dans le quotidien méridional. C'est cette idée-là de l'Occitanie à la marseillaise que l'on essaie de véhiculer. Surtout pas un repli identitaire qui a peur de la mondialisation. Notre mondialisation à nous, dans les quartiers, c'est notre ouverture aux autres, même s'ils sont différents. On a fait une chanson sur les prisonniers politiques qu'on dédicace à José Bové. C'est vrai que pour certains vieux, l'identité provençale se limite aux souvenirs d'enfance. Pagnol et compagnie ! Nous respectons cela, même si on arrive là-dedans et qu'on chamboule tout. En plus, nos origines ne sont pas forcement occitanes de part nos parents et grands-parents. En ce qui nous concerne, cette notion de l'Occitanie appartient à celui qui la vit. Si un Arabe, aujourd'hui à Marseille, veut chanter en provençal, moi, je suis super content ! Parce que cela veut dire que c'est une culture toujours existante, qui intéresse des gens venant d'ailleurs. C'est comme cela que l'on fait bouger les choses.
Il y a toute une vague occitane qui émerge depuis quelques temps, à laquelle vous appartenez, qu'il s'agisse des Fabulous Troubadors ou de Massilia Sound System. Comment expliquez-vous ce retour à des valeurs du terroir ?
Noël Baille : Vous savez, à force de s'ouvrir sur les peuples et donc sur le monde, on est obligé à un moment donné de s'ancrer dans le quotidien. Pour nous, c'est la vie des quartiers. Quand tu as des idées humanistes, il faut les appliquer dans ta vie de tous les jours. Le message doit passer à chaque coin de rues. Cette prise de conscience doit être au cœur de la culture locale, celle des faubourgs. On ne va pas s'amuser à faire de la musique sénégalaise. Les Sénégalais la feront mieux que nous. Donc, il faut créer là où on habite. Ces valeurs du terroir, nous les puisons dans différentes cultures en s'immergeant dans les pays que nous avons eu l'occasion de connaître. C'est une manière de renforcer nos propres racines. Dans le groupe, on le vit vraiment comme ça.
Le fait d'avoir signé il y a deux ans, dès votre premier album, avec une major parisienne, ne semble pas vous avoir tourné la tête. C'est sans doute parce que le groupe s'est longtemps cherché avant d'arriver à ce style qui cultive la différence, que vous avez gardé les pieds sur terre ?
Samuel Karpiénia : Je fais partie de la préhistoire de Dupain, puisqu'au départ c'était un duo de musique expérimentale. Pierre-Laurent était uniquement au séquenceur avant de flasher sur la vielle. Moi, je jouais des percussions avec des trucs récupérés dans les poubelles. Puis l'envie de chanter s'est faite sentir avec cette belle langue provençale que je me suis mis à apprendre. D'où la naissance de Gacha Empega, formation de polyphonies marseillaise en Occitan avec qui j'ai produit un album. Fort de cette expérience de chanteur, je rencontre Sam De Agostini, qui enregistrait des groupes de raï dans un petit studio à la Porte d'Aix (ndlr : quartier arabe de Marseille). Il devient alors le troisième larron et se met aux percus. C'est comme cela que l'aventure a commencé et se poursuit aujourd'hui avec Noël, un quatrième pote. Je reconnais qu'on a tâtonné pendant des années avant de trouver cette formule qui nous est propre. Vous savez, nous n'avons pas fait le conservatoire, ni appris le solfège ! Dupain a eu de la chance d'être remarqué par une major de la capitale. Il faut dire qu'à Marseille, il n'y a pas tellement de grosses maisons de production. Toujours est-il qu'on s'est retrouvé à signer à Paris, à notre grand étonnement ! Car il faut avouer que notre genre avec la vieille à roue et les paroles en patois est assez en marge. Sans doute que notre musique touche les gens, les vieux comme les jeunes. Vous ne croyez pas ?
Un mot sur vos projets ?
Noël Baille : On a envie de faire quelque chose, l'année prochaine pour le Festival d'Essaouira au Maroc, avec le "Dar Gnawa" avec qui on s'est lié d'amitié lors de notre passage à Tanger. Mais c'est trop prématuré pour en parler…
Propos recueillis par Daniel Lieuze
Dupain Camina (Virgin) 2002