Country québécoise
S'il est une musique qui aurait dû disparaître depuis longtemps au Québec, c'est bien la country. Raillée et snobée par l'intelligentsia québécoise, marginalisée davantage par des productions bâclées et une absence totale de structure d'industrie, la musique country a pourtant résisté, preuve que ses racines sont bien plus ancrées dans l'histoire de la Belle Province que certains veulent bien l'admettre. État des lieux.
État des lieux
S'il est une musique qui aurait dû disparaître depuis longtemps au Québec, c'est bien la country. Raillée et snobée par l'intelligentsia québécoise, marginalisée davantage par des productions bâclées et une absence totale de structure d'industrie, la musique country a pourtant résisté, preuve que ses racines sont bien plus ancrées dans l'histoire de la Belle Province que certains veulent bien l'admettre. État des lieux.
Qu'est-ce qui est 'country' et qu'est-ce qui est 'western' ? Si au Québec on prend plaisir à brouiller les pistes en appelant la chanson country chantée en français 'western', la distinction est ailleurs beaucoup plus manifeste. Le terme 'western' désigne un genre littéraire ou cinématographique alors que la country est un genre musical. Selon deux éminents anthropologues, auteurs d'un excellent ouvrage historique sur l'univers du western (1) cette culture est apparue au Québec dans les années 40 et découle directement de la musique traditionnelle franco-canadienne qui partage avec la country bien plus qu'une simple filiation. Dès le début de la colonisation, les premiers colons-aventuriers ont exorcisé et exprimé leurs peurs et leurs rêves à travers la musique et des textes qui, aujourd'hui encore, font les beaux jours de la country en anglais, comme en français. Le chagrin, l'amour, la patrie, l'injustice, la famille, l'amitié sont autant de thèmes simples mais efficaces qu'elle véhicule comme une critique sociale qui n'est pas sans rappeler, dans un autre style, le discours du rap.
La musique country est née dans le Tennessee, très loin du Old West où l'image des cow-boys s'est forgée au fil des ans et des interprétations. Ils furent tour à tour hommes de main pour guider d'immenses troupeaux à travers les prairies, bandits ou chevaliers des cœurs. Leur règne ne durera qu'une trentaine d'année avant de devenir un mythe. Mais si le développement du rail, l'éclatement de la Seconde guerre mondiale puis la conquête spatiale ont remisé au musée ces garçons de vache, la musique country est restée pour témoigner de leur esprit libre. Elle est certes beaucoup plus présente aux États-Unis et au Canada anglophone mais il ne faut pas néanmoins en banaliser l'impact et l'importance au Québec.
A cheval et en musique
Willie Lamothe est pour toujours, le roi des cow-boys québécois. Auteur et compositeur de quelques cinq cents compositions originales, trois cents versions de succès américains, ce petit homme né à Saint-Hugues à endisquer cent seize albums en 30 ans. Dès 1946, il remporte un succès sans précédent auprès des Québécois et des Franco-américains avec Je suis un cow-boy canadien et le fameux Je chante à cheval. Son triomphe est tel qu'en 1982, il reçoit un Disque d'or pour la vente de plus d'un million de disques... aux États-Unis. Son succès restera le plus flamboyant de l'industrie country québécoise et ce, malgré le mépris des radios nationales ou privées qui jugent cette musique primaire et ses artistes comme Bobby Achey, La famille Daraiche, Renée Martel, Edith Butler, Jeff Smallwood, Denis Champoux, peu représentatifs du vrai Québec.
En 2002, les choses n'ont guère changé. On ne se désigne pas encore naturellement chanteur country de peur d'être traité de has been. Les bars, les festivals restent donc les lieux de prédilections pour faire son coming out de cow-boy puisque les grandes salles de concert ne souhaitent pas mélanger les genres. Qu'importe puisque la country vend et vend beaucoup. La preuve incontestable de sa bonne santé reste le Festival Western de St-Tite (2) qui attire chaque année près de 500.000 visiteurs venus voir artistes, rodéos, mariages western et concours de danses en ligne. Autre signe clair du renouveau de ce genre, de jeunes artistes arrivent pour remplacer la vieille garde et insuffler un son nouveau. Comme aux États-Unis, la musique des cow-boys d'ici se fait plus trash et plus rock et la critique sociale plus virulente.
Une musique engagée
Les Cow-boys Fringants (3) sont sans aucun doute avec Les Ours, ceux qui incarnent le mieux ce renouveau. "Dans ce royaume de la poutine, on s'complaît dans' médiocrité/Ben satisfaits de notre routine et du bonheur préfabriqué", le texte de En berne se veut le portrait d'un peuple amorphe et désabusé par l'absence de projet de société. Les textes sont engagés et la musique festive à l'image d'un Québec qui veux encore croire à la fête malgré l'écœurement du statu quo ambiant.
La vocation de critique sociale reste donc encore son principale moteur, mais pas le seul. Comme ses voisins canadiens et américains, la country québécoise est de plus en plus perméable aux courant musicaux. Mara Tremblay ou le groupe Tremblay 73 par exemple, ne sont pas particulièrement estampillés artistes country mais tous deux reconnaissent son influence. Isabelle Boulay sortira bientôt une compilation Ses plus belles histoires réunissant des succès revisités façon country-folk. Desjardins, La Chicane, Les frères à cheval, Laurence Jalbert, Noir Silence, ont tous en commun une musique teintée country mais pas l'étiquette car contrairement à nos voisins du Sud, cette musique est en nous et n'a nul besoin de s'affranchir. Elle est là, c'est tout. Et le résultat de cette chimie des genres donne une country acide, alternative ou foncièrement rock, une musique pop un brin moins creuse. Finalement, tout cela correspond d'avantage aux cow-boys urbains que nous sommes devenus.
Mais honnêtement, doit-on continuer à parler de retour alors qu'il serait si simple d'admettre que la country est l'essence de la musique québécoise à laquelle certains artistes puisent d'avantage que d'autres. Oublions l'insipide répertoire de Natasha St-Pier qui n'a de québécois que son artiste. Regrettons les ballades country d'un Roch Voisine qui pour retrouver la gloire d'antan passe aujourd'hui un pacte avec une variété française lisse et uniforme. Renier la country revient à nier son identité. Quelques soient les efforts que certains artistes mettent à la gommer, la musique country reste notre emprunte. La country est au Québec ce que le blues est la New Orleans, son âme.Pour ma part je crois que cette musique porte sur ses épaules notre mal légendaire, cette fameuse ambivalence québécoise entre les Nord-américains que nous sommes et les Européens que nous n'aurions jamais voulu cesser d'être.
Malgré les trahisons et le rejet, la country québécoise reste imperturbable et terriblement authentique. Avec sa relève contestataire et fière, un discours plus engagé et soucieux de la réalité des gens d'ici que ne le fait la musique commerciale québécoise, elle s'assure de belles années on the road.... again.
(1) Cow-Boy dans l'âme (sur la piste du western et du country) de Bernard Arcand et Serge Bouchard aux Editions de l'homme. http://www.edhomme.com/
(2) Site du Festival de St-Tite qui se déroule cette semaine : http://www.festivalwestern.com/
(3) Site des Cow-Boys Fringants : http://www.cowboysfringants.com/